katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

dimanche, septembre 21, 2014

il vient pour se rappeler








Tous les jours il vient s'asseoir ici, qu'il vente, pleuve ou que l'ombre des parasols soit bienvenue. Il vient pour se rappeler (relembrar; et là il faudrait entendre un de ces "r" portugais qui vibrent de la gorge au nez, que les Brésiliens aspirent, les adoucissant; moi, c'est ce ressac tonitruant qui me bouleverse) quand lui aussi il allait et venait. Parce qu'il a voyagé, trop, même. Il est, comme il me le dira les yeux fermés, un "vagabond du monde". Il a été. Désormais, ses seules déambulations s'effectuent entre son petit appartement et cette terrasse minuscule. Seul, tellement seul.

Devant nous, les personnes qui débarquent, après une journée de travail à Lisbonne; quelques touristes, aussi, à qui on a vanté combien la vue sur la ville était fabuleuse, de l'autre côté du fleuve.


A quelques kilomètres, en aval, le ronronnement incessant du pont du 25 avril.


La vie n'est pas facile, tu sais. Ce refrain, entre deux gorgées. La vie n'est pas facile, tu sais.


Il salue des habitués, me gronde des fragments de leurs jours et de leurs nuits. Une dame vient s'asseoir à côté de nous, regard dans le vide. Elle ne prononce pas un mot. Il m'explique qu'elle a eu une opération difficile, qu'elle espère le retour d'un mari mort à l'étranger. Elle, toujours silencieuse, a les yeux perdus dans une dimension qui nous échappe. Elle écrase sa cigarette, se lève, lui pose la main sur l'épaule, repart comme elle est venue, en boitillant.


Deux naufragés partageant leur solitude en silence, par-delà compréhension ou malentendu. Deux noyés qui respirent encore, par habitude.


La vie n'est pas facile, tu sais.


Il m'avoue avoir écrit deux livres de poème. "Tout le monde s'est alors demandé comment un homme aussi rustre pouvait écrire de la poésie", me dit-il, s'efforçant de m'offrir un sourire qui n'en est pas vraiment un.


J'apprendrai qu'il s'appelle Senhor Ledo; Monsieur Joyeux. Comme une mauvaise blague de mauvaise série B.