katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, décembre 26, 2011

une ville-nef







Il y a quelque chose de grisant dans le fait de se promener en étant malade. La sensation d'avancer comme sur pilote automatique, sans guider grand chose. La musaraigne, danseuse émérite, me dit souvent combien elle est impressionnée par la mémoire du corps ; je crois que c'est de quelque chose de cet ordre qu'il s'agit. Ainsi mes pieds m'ont-ils guidé, hier, sur des tracés familiers.


Tout d'abord en direction du fleuve, sur lequel la ville semble posée, comme l'écrit José Cardoso Pires dans le fabuleux petit livre qu'il lui a consacré. Lisbonne est « une ville-nef, une barque avec des rues et des jardins à l'intérieur. »


Je suis ensuite remonté jusqu'au miradouro de Santa-Catarina, Adamastor pour les intimes, bien calme en ce dimanche de Noël. Pas un seul pelé pour me demander si je voulais quelque chose à fumer ou à sniffer.


Je me déplaçais un peu plus rapidement que le jour précédent, un samedi qui m'avait permis de mieux appréhender le rapport à l'espace et au temps de certaines personnes âgées, par ici. Il ne faut pas longtemps pour comprendre que le moindre déplacement devient vite laborieux.


Commençant enfin à avoir faim, je suis allé manger chez la fille (soeur?!?) spirituelle de Cesaria Evora, dans la Mouraria. Elle était encore tout endeuillée, je me suis donc fait le plus discret possible ; quelque chose pour quoi je sais être assez doué.


C'est au moment de bouger la tête un peu rapidement que je mesure combien elle est douloureuse. L'impression de sentir mon cerveau qui tape contre les parois de mon crâne. On dirait qu'il y a quelque chose, là-dedans, sur le point de se renverser ; du coup, si je ne la maintiens pas tout à fait droite, survient comme une décharge électrique me rappelant à l'ordre.


Je suis ensuite monté, avec le souffle un peu court, jusqu'à un autre point de vue, normalement le plus panoramique de la ville, mais plus depuis qu'il est en travaux. Pour y accéder, on passe par la rue Damasceno Monteiro, le nom d'un jeune homme qui a été retrouvé décapité, dans un parc qui est désormais une jardin communautaire ; charmant, non ?!? Antonio Tabucchi romance à ce sujet, dans un livre qui me laisse un excellent souvenir.


Pensant à cela, je me suis dit que, sur le moment, je n'aurais pas été complètement contre l'idée de perdre ma tête. Cela aurait atténué les vertiges, et m'aurait peut-être, qui sait, permis d'écrire des poèmes aussi déroutants que ceux de Mario Cesariny, surréaliste de génie, dont l'atelier se tenait non loin d'ici.


« [...]

je connais ta voix comme mes doigts

(avant de te connaître j'allais déjà t'embrasser dans ta maison)

j'ai un soleil sur la plèvre

et toute l'eau de la mer m'attend

quand j'aime j'imite le mouvement des marées

et les assassins les plus vulgaires de l'années

[...]

Je suis, dans le sens le plus énergique du mot

un wagon à propulsion de souffle

les amis que j'ai eus les femmes que j'ai émerveillées les rues par lesquelles

je suis passé ne serait-ce qu'une seule fois

tout ceci vit en moi pour une histoire

au sens encore occulte

magnifique irréel

comme un peuplement abandonné aux loups

lapidaire et sec

comme une ligne ferrée outragée par le temps

[...] »


Extrait d'autographie I, dans le recueil Peine Capitale ; traduction de votre serviteur.


N'ayant pas envie de m'arrêter en si bon chemin, malgré la fatigue qui commençait à poindre, je suis allé jusqu'à un des endroits préférés de la musaraigne. J'y ai commencé, au soleil, un bouquin intitulé, précisément : « au soleil. » J'ai siesté un peu, aussi. Grâce absolue que de s'endormir sur un banc sous un ciel avenant.


Après ces heures de flânerie dans un état particulier, je me suis décidé à rentrer. Au moment où j'arrivais à la maison, que je venais de glisser la clef dans la porte d'entrée de notre bâtiment, j'entendais des Parisiens en train d'arriver dans notre fabuleux petit Largo : « Franchement, Montmartre, à côté de ce qu'on a vu jusqu'à présent, c'est de la rigolade, non ?!? ».


Oh que oui.

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samedi, décembre 24, 2011

dans le cirage, en partie











Essaie par ici ; ça ne passe pas. Tente le coup plutôt par là ; eh non, manque de nouveau un chouilla. Peut-être que, non, rien à faire ; il va te falloir attendre un peu mon gars.


Une petite vieille a joué à ça pendant un bon moment avec moi, sans même s'en rendre compte. Longtemps que « hâte-toi lentement » rythme ses rares sorties, du coup, le gustion qui « trace » on ne sait pas trop pourquoi, derrière elle, ça lui passe des années lumière au-dessus de la cabeça.


C'était un trottoir étroit, y avait pas mal de circulation dans les deux sens, je me dépêchais pour réussir à passer à la bibliothèque avant d'aller chercher Sara. J'y suis arrivé, les doigts dans le mais. Les doigts dans le mais ?!? Dans le mais quoi ?!? Le mais elle est fermée, tronche de cake. Cake. Katch. Cakatch.


A part ça ça va, le niveau du colinet. Il nous pond tout juste un texte par mois, et voilà qu'en plus il s'agite au niveau des pâquerettes.


Ben ouais, c'est que je suis malade. Ca me pendait au bout du nez, après deux mois bien trop effrénés. Dès que le corps et la tête allaient pouvoir lâcher du leste, faudrait être vigilant, pas trop exigeant. La musaraigne m'avait prévenu. Quand je me suis quand même extirpé du lit, pour ma semaine de retour à une bien relative normalité, à ces moments du quadrant où, en hiver, on n'est même pas certain que le jour reviendra. Deux trois heures plus tard, on ne sait toujours pas. Si ça trouve le soleil a enfin décidé de nous laisser nous entre-tuer dans le noir. Bref, la musaraigne m'a expliqué le bien que ça me ferait de rester tout contre elle peluché. Surtout qu'elle était sur le point de s'en aller pour les fêtes de fin d'année.


Mais non. Imaginons ici un mot commençant par « C », qui après avoir été « scrotumisé », se terminerait par « -on ». Je tiens à mon phrasé légendairement châtié.


Le fait est que voilà, blaireau que je suis, je me retrouve, le vendredi soir du WE de Noël, avec pour seule compagnie les symptômes bonnard d'une grippe qui a décidé de me servir de falzar. Y a pas de hasard, mec, y a pas de hasard.



Lambuzar = barbouiller, tacher.


Juste en passant.


Hier, pour annoncer ça, le dedans et le dehors avaient disparu; les deux se confondaient, pas en excuses cependant, alors qu'avec le brouillard qu'ils nous conjuguaient alentour, ils auraient pu. Pas gênés les gaillards. Déjà que c'est tous les jours comme ça au niveau de la température – poser la question de l'isolation, dans notre appartement, serait tellement injurieux que je vous prie d'y renoncer séance tenante -, là j'avais carrément la totale.


Bref, ce soir, cassé mais sans envie d'aller me coucher, je me suis dit : chauffage et déblogage – de bas étage, mais bon, juste vous signaler que ne suis qu'en partie dans le cirage.


Et que, malgré le ton plus posé de mes précédents incidents textuels, il y a toujours dans mes parages un slammeur de garage.


Vous aimeriez que je finisse sur quelque chose de plus sage ?!? Je peux toujours vous traduire deux petits trucs que j'ai soulignés dans un livre de Gonçalo Tavares :


« Une question se dilate : elle est devenue un vers.


Une question diminue d'intensité : elle est devenue une réponse. »

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dimanche, décembre 04, 2011

frôler la poussière








C'était tout d'abord une ligne lumineuse parallèle au fleuve, elle effleurait le château de Palmela exactement en son sommet. Le soleil précisant son ronronnement, les étages de nuages sont devenus des bas reliefs ; des couleurs qui les magnifiaient montait le chant de quelques anges blessés. Quand le soleil s'est faufilé dans le petit espace entre la colline et le plafond duveteux, l'intensité de ses rayons a pendant un bref instant négligé les détails du tableau : il y avait une évidence en son centre.


Puis, emportée par son mouvement, l'empreinte du peintre s'est calfeutrée derrière la toiture moutonneuse. Un vol d'étourneaux s'est alors glissé dans le décor, ondulant tout d'abord faiblement, puis s'étirant jusqu'à former un étrange châle céleste recouvrant les épaules de l'horizon.


J'ai pensé à Kubola, un des gardiens du portail situé en face de chez nous. Je me suis dit que c'était exactement cela, que son rire est une nuée d'étourneaux dans un ciel de grâce, il vibre d'une beauté insaisissable, il caresse la parcelle du monde que nous partageons pour un moment.


Quand on interroge de plus près cette invitation répétée, on comprend combien un rire peut faire de l'échange qui s'ensuit une terre meuble où glisser ses mains. On peut y déposer des graines de curiosité. On peut juste sentir le frôlement d'un peu de la poussière à quoi il est écrit que nous retournerons.


J'écris devant la mort. Tout ce que l'on fait, dans nos vies, on le fait devant la mort ; mais en lui tournant le dos. Du moins en essayant. Notre seule certitude, on la craint ; pour la repousser au loin, on vit dans un écrin.


Marguerite Duras : « J'écris à la recherche de la mort. » J'aime cette phrase au-delà de l'entendement. Probablement parce que c'est exactement de cela qu'il est question : chercher la formulation de ce qui restera à jamais informulé. Un au-delà de l'entendement où s'entend l'au-delà. En écrivant, je tente de l'écouter, tiraillé que je suis par l'envie de répéter. Seules des bribes éparses apparaissent, sans que jamais je puisse affirmer que c'est cela qui a vibré; sans même pouvoir certifier que quelque chose, échappé de l'autre monde, s'est manifesté. Peu importe. Gavés que nous sommes, c'est précisément le peu qui importe.


A Lisbonne, les saisons de l'existence, pour une grande partie de ceux, de celles, aussi bien que de « ce » qui la peuplent, ne peuvent pas tricher. Ceci m'ausculte le regard encore plus quand je chemine dans la ville qui dort. Les lampadaires sont consciencieux, soucieux d'épargner nos petits yeux. Rien d'agressif dans l'alignement tout relatif de ces phares urbains. Dans cette atmosphère feutrée, on distingue mieux certaines peaux qui composent la scène, les rideaux, le décor et les personnages considérés secondaires de ce théâtre baroque à ciel ouvert. Je me déplace dans des gradins dégarnis, sautillant d'un pli du temps à un autre. Je secoue la tête en me rappelant que les souffleurs sont mandatés par le FMI, cet indigeste mélange d'indignité, d'indécence et d'absurdité.


Pendant mon tracé tant de fois ressassé, lancé quelque part entre présent, avenir et passé, je passe à proximité d'Anjos. J'y distingue un homme, probablement "habité", qui roupille; on le dirait sans tête, engoncé qu'il est dans le manteau qui lui sert également de couverture et de maison.


Plus loin un arbre, habité aussi, différemment. Cela donne l'impression de se chamailler et de brailler dans les entrailles boisées. Choeur de passereaux plein de gouaille. A son passage, ils raillent un type débraillé en train de ripailler.


J'ai pensé à Kubola, un des gardiens du portail situé en face de chez nous. Je me suis dit que c'était exactement cela, que son rire est une nuée d'étourneaux dans un ciel de grâce, il vibre d'une beauté insaisissable, il caresse la parcelle du monde que nous partageons pour un moment.


Peut-être ne s'agit-il que de se bâtir des référents moins artificiels. Sara, dans le métro, apercevant un tag minuscule, même pas, à peine quelques traits gribouillés en vitesse :


« Regarde, Karim, ce sont des artistes qui ont fait ça. »


Il y a, sur le bureau où je suis accoudé, un lys déposé dans une bouteille qui, quand elle n'est pas un vase, est un rouleau à pâte de première qualité.


Oui, peut-être ne s'agit-il que de se proposer de nouveaux référentiels, de moins institutionnalisés rapports au ciel.


Les teintes de ce lys sont proches de celles de l'aube que j'ai tenté de vous esquisser à l'entame de ce déblogage. Des cinq fleurs composant la branche, une a déjà perdu tous ces pétales, deux sont encore pratiquement à l'état de bourgeons.


Pérégriner d'un mot à l'autre, parfois maladroitement, me permet de réfléchir à l'émerveillement provoqué par cette observation; une joie simple qui n'a pas toujours été, un souci de ce qui s'offre au regard qui a été cultivé, dans les deux sens non exclusifs de ce terme.


J'ai pensé à Kubola, un des gardiens du portail situé en face de chez nous. Je me suis dit que c'était exactement cela, que son rire est une nuée d'étourneaux dans un ciel de grâce, il vibre d'une beauté insaisissable, il caresse la parcelle du monde que nous partageons pour un moment.


Quand on interroge de plus près cette invitation répétée, on comprend combien un rire peut faire de l'échange qui s'ensuit une terre meuble où glisser ses mains. On peut y déposer des graines de curiosité. On peut juste sentir le frôlement d'un peu de la poussière à quoi il est écrit que nous retournerons.


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