katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, février 27, 2008

A la recherche d'un feu perdu

Il pleut du gris. Même lorsque la pluie s’arrête, il pleut du gris. Le sol suinte de poussière. La vie s’est enfuie. A moins qu’elle ait simplement disparu. L’homme et l’enfant vont au Sud pour s’éloigner du froid.


Cormac Mac Carthy a écrit un livre qui reste en travers de la gorge, qui coupe l’appétit, durablement. Des pages qui donnent la gueule de bois, transforment votre cerveau en bûche et l’envoient brûler dans le Néant. Il n’y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes. Directe dans le ventre, la garde est alors baissée, crochet près de l’œil gauche déjà douloureux. Dans les cordes.

Mais il ne faut pas passer sa route, il faut faire passer ce livre sombrement et sobrement terrible : « La route ».

Parce que l’enfant croit que nous avons le feu. Que tous peuvent avoir le feu, que quelques uns l’ont sûrement, ce feu. Que son papa et lui ne mangeront jamais d’hommes, parce qu’ils font partie des gentils. Continuer d’y croire, mais rester vigilants. Pistolet prêt à être avalé, au cas où, au cas fort probable où.

L’absurdité incontestable du monde ne doit pas nécessairement mener au nihilisme ou au désespoir, comme le disait. Je vous laisse deviner. Un Monsieur que j’aime beaucoup.

« La part du Diable » de Denis de Rougemont. Chapitre intitulé « Notre primitivisme ». Le christianisme visait à nous faire prendre conscience que le Mal, la possibilité du Mal est en nous, en chacun de nous. Mais nous continuons à vouloir, comme dans les sociétés que nous qualifions de primitives, construire des incarnations du Malin. Nous allons manifester. Bien. Pas Bien. Parce que nous savons. Parce que nous devons savoir. Pourquoi si peu de gens nous accordent le droit de ne pas savoir, de ne pas comprendre ? De penser qu’il convient surtout de rassembler quelques brindilles pour allumer ses yeux et rayonner à sa modeste échelle ?

L’avocat qui a fait condamner Dutroux, qui avait insisté sur le fait que le belge tristement connu était encore pire que ce que nous pouvions imaginer, parce qu’il avait été jusqu’à monter un réseau pédophile. L’avocat tant admiré qui avait participé avec éclat aux marches blanches, pour dénoncer, pour hurler que les méchants, c’est pas nous, c’est les autres. Ce monsieur du barreau est aujourd’hui inculpé parce qu’il a téléchargé quantité d’images d’enfants sexuellement explicites.

Alors quoi ? Qui a le feu ? Qu’est-ce que c’est que ce feu ?

La présidente du groupe des psychiatres de l’Association des médecins de Genève (voilà qui ne s’invente pas) lance un appel pour que la dépression soit reconnue dans toute sa gravité. Il faut moins de restriction touchant les professionnels. Insister sur le fait que tout le monde a le droit aux soins appropriés.

Une étude sur le Prozac montre que ses effets sont équivalents à ceux d’un placebo. Sans blagues ?

Mais si vous êtes au bout, que vous demandez de l’aide aux personnes compétentes, même si vous dites que vous n’êtes pas trop médicaments, « il faut les prendre quand même. Il faut être gentil et écouter ce que le docteur dit ».

Tu vas voir ce qu je vais te faire bouffer moi ?

Quand est-ce que le problème sera pris en amont ? Quand est-ce que ce ne sera plus seulement la guerre aux symptômes ? Quand proposera-t-on de véritables alternatives aux personnes qui pataugent ? Quand est-ce que la question sur le feu et le droit de ne pas savoir seront considérés comme essentiels ? Quand est-ce que l’incompétence ne sera pas considérée comme le défaut le plus terrible d’un être humain ? Quand est-ce qu’on proposera à ces prétendus incompétents autre chose que des médicaments ou des travaux considérés comme lamentables ?

Quand est-ce qu’on écoute ? Qu’on offre la possibilité de s’exprimer ?

Combien de fois ai-je entendu « tu veux pas finir caissière ou quoi ? » avec un ton laissant entendre que ce serait vraiment le comble du misérable ?

Pourquoi, avant toute chose, ne nous murmurons-nous pas à l’oreille que c’est ce petit feu que chacun se dessine, entre doutes et envies, que chacun est libre d’esquisser comme il veut, de partager ou pas, que c’est ce feu toujours changeant qui est le plus efficace des placebos ?

On peut appeler cela niaiserie, spiritualité, religion ou humanisme, mais cela est en tout cas loin, très loin, très très loin de notre nouvelle Bible : la réussite sociale mâtinée d'allégeance à la technologie.

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mercredi, février 20, 2008

L'éternité d'un murmure

Se laisser glisser sur l’éternité d’un murmure.

Paupières délicatement allongées sur un lit de songes fuyants.

S’imprégner d’une onde ensommeillée.

Oscillations de grâce.

Assoupissement qui libère, offre à la réalité la joie de l’incertain, les contours flous d’un rêve qui s’étire.

D’une étoile qui soupire.

Les mots palpitaient de cela, une présence intrigante sur le fil de la déraison.

Cœur d’une poésie qui illumine le regard.

Qui abat les barrières de la colère.

Toujours guetter la Beauté.

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jeudi, février 14, 2008

L'indignité comme fond de teint, la futilité comme fond de commerce

« Le docteur Christianssen s’est révélé un salaud. C’était son tour d’être un salaud. Car il ne faut pas croire, ils ont des salauds au Danemark aussi. C’est leur côté démocratique. Les Danois choisissent chaque année des personnes qui assument le rôle fraternel de salauds, par rotation. Les Danois sont très conscients et solidaires du reste du monde et ils ne veulent pas rompre les liens. »

Etre rattrapé par la réalité. Mange ta soupe, il y a des enfants qui meurent de faim. Le moment où cette vérité devient effective, n’est plus une sorte de parole aussi pertinente que les Ca va ? dont on ne sait plus s’il s’agit d’un simple balbutiement, lâché par inadvertance au moment de croiser quelqu’un, ou véritablement d’une question. Il fait beau aujourd’hui.

Il y a quelques jours, deux trisomiques ont été utilisés comme bombes humaines. Ou lorsque conviction rime avec abjection. Et ce sont des humains qui ont fait ça ? Quand va-t-on retrouver notre capacité d’indignation ? Un cri de ralliement au milieu du théâtre globalisé des horreurs. Choisir entre haine et folie, une fois de plus. Choisir ? Ici ? Vraiment ? Choisir quoi quand des expressions aussi creuses qu’insécurité de l’emploi et pouvoir d’achat rythment notre quotidien ?

Réussir à croire que les mots ne sont pas vidés de leur substance ne signifie-t-il pas le refus d’à-peu-près tout ce qui nous est proposé par ici ?

Un caricaturiste danois est menacé parce qu’il a dessiné Mahomet. Pratiquement tous les journaux danois ont enfin décidé d’être solidaires en publiant les reproductions blasphématoires. Et puis ? Et puis dans quelque temps plus que des journaux gratuits parce se poser la question de la signification d’une presse de qualité est plus difficile que de regarder une série télé. Et puis s’enflammer pour un SMS qu’un personnage ridicule de suffisance aurait envoyé. Et puis se dire que le people, c’est pour se changer les idées, pour ne pas se prendre la tête.

Et si, pour nous qui ne serons jamais « nés en 17 à Leidenstadt », se prendre la tête était la seule possibilité de dignité ?

« Je ne connais pas le danois, mais insuffisamment. »

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mardi, février 12, 2008

L'élan absurde du monde

« Pour qu’une pensée s’engage dans le réel, il ne faut pas ni ne saurait suffire qu’elle se soumette à des réalités dont elle ignore ou répudie la loi interne : la tactique d’un parti, par exemple. Ce n’est pas dans l’utilisation accidentelle et partisane d’une pensée que réside son engagement. C’est au contraire, dans sa démarche intime, dans son élan premier, dans sa prise sur le réel et dans sa volonté de le transformer. S’engager, ce n’est pas se mettre en location. Ce n’est pas « prêter » son nom ou son autorité. Ce n’est pas signer ici plutôt que là. Ce n’est pas passer de l’esclavage d’une mode à celui d’une tactique politique. Ce n’est pas du tout devenir esclave d’une doctrine, mais au contraire, c’est se libérer et assumer les risques de sa liberté. »

Denis de Rougemont


Bien que fort peu porté aux déambulations festives, je me suis, la nuit de dimanche à lundi, laissé entraîner par l’idée de découvrir le fameux Morgenstreich bâlois. Le défilé de lanternes commençant à 4h du matin, nous sommes, en attendant, allés boire quelques verres dans une ancienne caserne « alternativée ».

Les cafés améliorés aidant, Sergio et moi nous sommes laissés aller à échanger quelques théories sur nos visions respectives du monde, notamment de l’enseignement et de la politique.

J’ai été sommé de répondre du toupet qui avait été le mien, voici quelques mois, lorsque j’avais exprimé en ce lieu à quel point je me sentais peu représenté par les candidats affichant leurs sourires forcés à tous les coins de rue. Qu’ils soient à droite, à gauche ou au centre.

Agissant comme cela, invitant même à ne pas voter ou voter blanc, je fais le jeu des grands méchants nationalistes. Ce qui n’est pas complètement faux.

Je lui disais que j’avais de la peine à opter pour le « moins pire », que je me sentais plus « utile », plus proche de ce qui me brûle les yeux et le coeur en écrivant et en discutant avec les personnes très différentes que je croise, plutôt qu’en allant manifester pour dire que ce Blocher, décidément, il est vraiment trop con.

Cette manière de m’enfermer dans des principes « idéaux », d’après Sergio, est du même tonneau que ma volonté farouche de ne pas rentrer dans le système éducatif, elle limite grandement la portée de mes convictions. Ce qui n’est pas complètement faux non plus.

D’ailleurs, pourquoi je ne vis pas dans un squat avec des punks si la société est si terrible ?

Il me semble qu’il y a une immense marge de manœuvre sans en arriver là, je crois farouchement qu’il y a une énorme différence entre se mettre complètement « hors jeu » d’un système, ce qui revient à se punir pour quelque chose que l’on a pas choisi, ou ne pas cautionner ce système, en entendant par cautionner aussi bien refuser de réfléchir qu’accepter d’occuper une place à un échelon supérieur de la mascarade, de rentrer dans la valse du pouvoir sur autrui, quel qu’il soit.

J’ai toujours été un élève plutôt tranquille, avec un fort esprit de contradiction, mais toujours très courtois, je n’ai jamais appartenu à aucun parti ou syndicat, mais je veux croire que je me sentirai toujours du côté de l’étudiant puni ou de l’ouvrier exploité, pas de celui qui œuvre « au-dessus », enseignant ou patron, aussi « juste » soit-il.

Aucune heure officielle ne peut remplacer les secondes de fraîcheur d’un échange inscrit dans le respect de l’élan absurde du monde.

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mercredi, février 06, 2008

Quand la littérature réalise le lecteur

« Je voulais rejoindre, pas

à pas, le soleil

et ce n’était

qu’un trou dans la terre. »

Claude Esteban, « La mort à distance »




Je ne sais pas exactement quand la question du suicide est devenue un élément primordial dans le champ de bataille de mes pensées. Je sais que c’était avant de lire « Le mythe de Sisyphe » où se trouve l’affirmation de Camus selon laquelle il s’agit du seul problème philosophique. Il est clair que c’est bien avant ma fascination pour la vie de Gary, et donc pour sa mort. Une balle dans la tête en décembre 1980. Je ne suis par contre pas certain que ce soit beaucoup avant d’avoir écouté « J’appuie sur le gâchette » de NTM. Je viens de me rendre compte que, alors que je ne l’ai pas entendue depuis bientôt dix ans, j’en connais encore les paroles par cœur.

« Tout a commencé sûrement le jour où je suis né, le jour où je n’ai pas croisé la bonne fée qui aurait fait de moi ce que je ne suis pas ce qu’il m’arrive d’envier parfois ceux que la vie a doté d’une chance mais moi malheureusement voilà je n’en suis pas là et privé de ça pour qui devrais-je mener un combat de toute façon pas la peine je connais la rengaine mais j’en ai pas la force. Mon amour pour la vie s’est soldé par un divorce. »

Je récite ceci intérieurement et ne peux m’empêcher de penser que j’ai, vous me passerez l’expression, la gueule de l’emploi. Particulièrement aujourd’hui. Il est 6h, je suis dans le train, j’ai en dessus de l’arcade droite un pansement fortement imbibé de sang suite à un choc tête contre tête à l’entraînement hier soir. Il ne me resterait plus qu’à glisser mes pantalons dans mes chaussettes et le tour serait joué. Je m’en garde et laisse un autre souvenir lié à ce morceau me revenir à l’esprit. Je m’étais enregistré en train de le déclamer sur un appareil que mon petit frère avait reçu pour ses deux ans, mon père l’avait écouté et m’avait demandé si je voulais en parler avec lui. Il pensait que j’avais écrit ce texte, que j’étais terriblement mal dans ma peau. C’est la première fois que j’ai réussi à lui dire que le soupçonnais fortement d’être paranoïaque. Je trouve aujourd’hui que cette réaction était déplacée, pas adéquate, cependant je me console assez vite puisque cela ne compense pas toutes les fois où j’aurais eu raison de le lui dire mais ne l’ai pas fait.

C’est étrange où me mène le clavier lorsque je commence à le caresser. Au début de ces lignes, je voulais parler d’un article que j’ai lu dans le journal samedi, un chiffre qui s’est inscrit dans le courant de mes tracasseries cérébrales et ne veut plus me quitter. Et voilà que je me mets à parler de mon enfance.

Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. L’endettement est un facteur, mais pour le reste ? Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. Pas de geste plus singulier que celui de se donner la mort, et pourtant, lorsque cela atteint une telle ampleur, on n’arrive même plus à individualiser cet élan morbide. Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. Plein de réminiscences sortent de la nuit en lisant ceci, je repense notamment à ces paysans chinois qui s’étaient tués violemment, en public, lors d’une manifestation pour protester contre certaines directives de l’OMC. Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide. Je pense à la « mode » des suicides collectifs qui sévit chez certains jeunes japonais.

Chaque trente minutes, un paysan indien se suicide.

J’ai passé beaucoup de temps avec mon grand-père jusqu’à ce qu’il nous quitte. J’avais alors douze ans. Beaucoup de mes intérêts et des mes émerveillement viennent de lui. Beaucoup de mes incompréhensions et de mes colères aussi. Je me souviens très bien qu’il estimait qu’un homme ne devait pas se suicider, autrement il aurait été « maudit », ou quelque chose d’avoisinant. C’est pour cela que je ne comprenais pas pourquoi tout le monde insistait pour me dire, alors qu’il, mon grand-père, avait été brièvement maintenu en vie suite à une attaque cardiaque, qu’il « n’avait pas voulu revenir », « qu’il avait souhaité s’en aller ». Il m’a fallu longtemps pour comprendre que ce n’était pas un désaveu, bien au contraire, que dans sa vision du monde et de l’au-delà, quel qu’ait été son niveau de religiosité, une existence artificielle était encore plus « maudite ».

Benoît a la lourde tâche de lire une partie de mes épanchement littéraires. Il constate souvent, prenant les pincettes de circonstances, que mes mots, dès qu’ils prétendent s’aventurer sur le terrain de la fiction, perdent pratiquement toute leur substance. Ma plume se débat dans le vide. Il n’y a pas nécessité, aussi pompeux que se terme puisse paraître. Mon cœur ne bat alors pas au bout de mes doigts, le relief se refuse à la feuille.

Je partage cet avis. Cela me désole en partie, mais est fidèle à ma manière de vivre la littérature. Si je crois aussi intensément dans mon œil, de lecteur et d’homme curieux, c’est que je sais combien certains livres m’ont permis de garder toujours la tête haute, sans fierté, avec seulement la certitude que je me dois de fixer chaque minute dans les yeux. Un regard qui ne se dérobe pas. Cela je le dois aussi à mon grand-père. Ne jamais laisser la personne qui te fait face te négliger, sans arrogance, avec même, dans le scintillement des pupilles, une main tendue, mais ne pas accepter d’être déconsidéré. Cela indispose, parfois, mais cela permet aussi des rencontres fabuleuses. La confiance en soi comme moteur interne pour garantir l’intensité d’une vie, pour préserver de l’ennui, pour allumer quelques unes de ces flammes que trop de monde étouffe.



« Avec des mots très vieux

écrire

la même phrase ou presque

encore un jour. »

Claude Esteban, « La mort à distance »

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