katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, août 26, 2011

l'impasse de soi-même







En sortant du cinéma, je savais que, pour parler de ce film sans galvauder les mots, je devrais en passer par l'écriture. « The tree of life », à mes yeux, réussit quelque chose de rare: il interroge tout ce qui permet de ne pas tomber dans l'impasse de soi-même.



Posés à Clara-Clara, le kiosque situé dans le jardin où, alentour, se tient deux fois par semaine la Feira da ladra (Foire de la voleuse), nous voyions une énorme traînée noire en train de « tagger » allègrement le bleu du ciel. Nous faisions des mouvements du menton pour que les têtes se tournent. Cela se passait de l'autre côté du fleuve, pas très loin donc. On s'interrogeait en sirotant de la limonade. Cela aurait pu être des émanations dangereuses, nous n'en avions aucune idée. Nous profitions du soleil, discutions des émeutes en Angleterre, de la prochaine présidentielle en France, et d'autres choses plus légères. Étrange sensation d'être dans la réalité et en même temps pas du tout. Nous étions devant un écran, mais il n'y avait pas de liens interactifs, ni de bande-annonce ; pas davantage de générique. Nous étions un peu tout ça. Cette fumée avait quelque chose d'inquiétant qui était complètement endormi dans un détachement et une distance illusoires ; quelque chose d'inquiétant qui n'était pas dénué d'une certaine beauté. On regardait un potentiel lambeau de fin du monde, une saveur citronnée dans la bouche.



Ne pas tomber.


Parfois c'est juste quelques brindilles. D'autres fois cela a davantage d'ampleur. Il arrive que ce soit carrément des arbres. C'est un des détails mettant en évidence combien les saisons de l'existence sont présentes, à Lisbonne : le nombre de constructions sur lesquelles la végétation grignote ses droits. Une maison qui meurt peut, à moyen terme, devenir une petite forêt ; un sous-bois entre quatre murs. Ce n'est pas une règle, mais le contraire, à savoir le combat contre cet élan du vert contre le gris, pourrait le devenir, dans les zones les plus potentiellement carte-postalistiques.



En rentrant de la Casa da Achada, endroit agréable où sont organisés différents type d'événements culturels, nous nous sommes arrêtés dans une petite échoppe proposant, notamment, de beaux objets conçus de manière artisanale, en Alentejo. Les prix, trop élevés, ne s'adressent pas aux habitants « historiques » du quartier de la Mouraria ; la dame qui tient le magasin est française, elle nous a appris que, dès cet automne, des travaux vont être entrepris pour valoriser le patrimoine (il y a, devant la boutique, une placette jonchée de voitures ; dissimulée par l'une d'elle, semble-t-il, une fontaine ; en-dessous, au-dessus, entre les carrosseries usagées : des gosses qui jouent sans souci de l'heure) et rendre ainsi la zone uniquement piétonne.



Un peu plus tôt, nous étions à Belém, un endroit qu'on peut absolument se dispenser de voir, mais considéré comme un incontournable par tout manuel de bons petits touristes. Parce que s'y trouve la fameuse Torre et le monastère des Hyéronymites. Aussi parce qu'on y déguste les pasteis de nata, une pâtisserie dont le mérite principal est de vous permettre, après ingurgitation, de jeûner pendant dix jours aisément ; votre estomac vous en sera même reconnaissant.



Ce que ceci, le côté vendeur, a construit : un lieu sans saveurs autres que celles de ses concentrés de crème et d’œufs, où déambulent des personnes qui rêveraient d'avoir plus de bras ; cela leur permettrait de s'en sortir mieux avec leurs guides et leurs appareils photos.



Souvent, quand je prête attention à l'instantané en train d'être pris devant un monument quelconque, je pense à la première photo que j'ai vue des « insurgés » lybiens, ou alors à « Billet aller simple » de Blaise Hofmann. Pourquoi ?!? Il y a toujours, dans un coin, le maillot de foot d'une équipe à la renommée internationale ; très souvent celui du Barça.



Leur première réussite, dans le match retour contre le Real, correspondait, bien plus que presque tous les clichés ramenés de vacances, à cette définition de la photographie que donne Bernard Noël : un regard signé. Là, il y en avait même deux, celui de Messi, qui porte le ballon, élimine deux adversaires, accapare l'attention de tous les joueurs madrilène ; et celui d'Iniesta, qui profite de ce numéro pour faire un appel lumineux, « dans le dos de la défense » comme le consacre l'expression.



Ensuite la passe, puis le petit ballon piqué.



Contrairement à ce que j'ai enfourné mardi matin, qui n'avait plus de brioché que l'intention présidant à sa réalisation, ce but était une madeleine, de A à Z.



Ne pas galvauder les mots.



La sortie s'est avérée brutale. La poésie non seulement ne s'accorde pas avec le consumérisme carnassier, mais elle souligne, plusieurs fois et en gras, sa vulgarité. Voilà ce qui a rendu la sortie si brutale. Après plus de deux heures troublantes, de beauté et de questionnements, malgré une composition inattendue, mal équilibrée, après tout ce temps à scruter les tourments et les fulgurance de la vie et de la mort dans dans le cerveau de Terrence Malick, après avoir quitté nos sièges délicatement, en ayant pris soin d'écouter la musique jusqu'à l'ultime goutte (enfin presque, parce que la femme de ménage estimait qu'on exagérait quand même un peu), se retrouver dans la brouhaha d'un sous-sol de centre commercial, avec plein de personnes, au goût extrêmement raffiné, venant prendre ici leur repas de fin de journée, eh bien cela s'est révélé pour le moins violent.



Dans l'impasse de soi-même.


Le matin, le soleil, s'élançant dans la Rua da Palmeira, se pose en douceur sur l'angle de la Praça das Flores, où sifflote un petit kiosque, vêtu du plus charmant des violets. Il fait bon y lire Cingria, son irrévérence joyeuse.



« Il est certain que personne ne m'entend. Le village entier est livré à la lune. S'il y a quelque part des habitants, ils dorment et si profondément que leur présence n'est pas plus à redouter que s'ils étaient en rocking-chair en train de se balancer dans les canaux de la planète mars. »



J'y parcours aussi l'entretien qu'a accordé une philosophe portugaise à Ler. Elle y dit qu'enseigner l'histoire de la philosophie ne lui semble ni souhaitable ni profitable, non, ce qui compte, c'est de donner aux élèves des pistes pour s'interroger sur les oscillations de la vie, petites et grandes.



Les oscillations de la vie, petites et grandes, qu'il convient de détacher de l'actualité qui nous rive à un présent perpétuel construit par d'autres. Questionner hiérarchie et autorité. Scruter la beauté, ses chorégraphies contrariées, ses manifestations discrètes. Se mesurer à tout ceci, qui chemine dans le labyrinthe qu'abrite notre tête, un labyrinthe en poupées russes : chaque sortie débouche sur d'autres haies bien taillées, s'emmêlant par inadvertance.



Ne pas tomber dans l'impasse de soi-même.


Sur la plage du Guincho, je m'amusais avec l'Océan, balle aux pieds ; je titillais l'écume, redoutable concepteur de courses d'obstacle pour grand enfant. En levant la tête, j'ai vu le soleil qui s'en allait, ce n'était plus qu'une question de minutes ; j'ai aussi distingué Léandre qui s'éloignait, sans crainte des vagues et de la marée capricieuse. Inquiet pour deux, je me suis porté à sa hauteur, confirmé dans mes doutes par la force de l'eau et par les mots de l'intrépide. Il n'arrivait plus à revenir, pris dans des courants contraires. Grande frayeur qui parcourt alors le corps ; tout ce concentre dans l'instant. La Faucheuse nous rappelle qu'elle est une de nos peaux, en permanence.



Nous sommes finalement parvenus à rejoindre le bord. Nous nous sommes assis pour que le crépuscule nous apaise. Il faisait froid, nous avions tous un bout de tissu plus ou moins adéquat sur les épaules ; boire quelque chose de chaud s'imposait. Jouxtant ce paradis pour surfeur, il y a un café/bar/restaurant étrange. On y entre avec l'impression que ce doit être fermé, ou qu'on est arrivés dans un décor de film et que c'est la pause entre deux prises ; mais il n'en est rien. Le cadre est plutôt sympathique, bien qu'un peu trop chargé d'éléments disparates. Nous avons grignoté, puis à nouveau perdu Lélé. Alors le piano s'est fait entendre, avec lui cette voix aérienne qui aime à se polir un peu partout. Quelques curieux se sont amassés, tout surpris de voir se renforcer le côté décalé du mobilier.



Passer par l'écriture.



J'ai entendu plusieurs fois que ce film pourrait faire une demi heure de moins ; peut-être. Il pourrait aussi faire une heure de plus. Considérer le temps, le sentir qui file sur notre nuque ou nous fourmille les pieds, c'est une des cordes de cette réalisation déroutante; un arc qui nous envoie tutoyer le bleu.



Pour dire la vérité, je n'ai pas tout aimé, dans ce film inclassable. Il a un rythme étrange, avec des refrains qui n'en sont pas. Il prend par surprise ceux qui, j'en suis, avait été touché par la grâce de « The thin red line », dont l'équilibre est parfait. Celui-ci est en excès, puis, la seconde d'après, en ellipse.



Quoiqu'il en soit, depuis lors, ses litanies qui n'en sont pas s'accrochent à chacun de mes pas. Il faudrait parler de ce film en allant à l'essentiel, mais, évidemment, cela s'échappe. Alors à mon tour je déborde et j'ellipse.



Peut-être que parfois, on ne peut pas faire autrement, quand on veut ne pas galvauder les mots ; on les confronte ainsi à l'impasse d'eux-mêmes.



Lobo Antunes, à chaque fois que je m'y risque, me donne l'impression de prendre de la hauteur. Dans une chronique où, comme à son habitude, ses fantômes, ses désirs et ses douleurs se confondent pour mieux se distinguer, l'écrivain, à la fin, s'interpelle : et maintenant, comment tu vas t'en sortir ?!?



En mettant un point final. Le voici : .


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vendredi, août 19, 2011

attraction illmitée











Le vent rehaussait encore d'un ton la fin d'après-midi ; notre point de vue nous proposait, au loin, un fragment de Tage, alors que devant nous, d'autres morceaux de la ville étaient sur le point de s'accorder avec la nuit.



Il y a plusieurs accès au Jardim de Torel : d'un côté, des travaux qui avancent plutôt bien, probablement bientôt des immeubles « haut standing » et des parkings ; ailleurs, des ruelles et des maisons qui se morcellent, qui ne savent pas trop sur quel pied danser. Il leur manque souvent quelques dents, c'est vrai. Cela aère leurs sourires, tout en les mettant au diapason des vieilles dames aux fenêtres.



Cet endroit n'était pas accessible, lors de mon premier séjour par ici. En rénovation. Chaque fois que je passais, je fulminais un peu. Il était censé être rouvert depuis quelques mois, mais non ; et je ne comprenais pas pourquoi cela prenait tant de temps, étant donné la placette que j'apercevais.



C'est que je ne voyais pas la majeure partie de l'endroit, qui ouvre une partie de Lisbonne de fort plaisante manière. On se sent chirurgien au quotidien, ici, à force de croiser des dépouilles d'habitations et des interventions plus ou moins esthétiques. On ne cesse jamais d'être surpris en constatant combien c'est dans les carcasses de bâtisses que l'on sent le plus fort un cœur qui bat, le sien et celui de ce pan d'histoire où l'on se risque du bout des paupières.



« Le coeur, s'il pouvait penser, s'arrêterait. »



Quand j'ai découvert Pessoa, ce fût par l'intranquillité de son hétéronyme Bernardo Soares ; je rêvais de pouvoir un jour le lire dans sa langue. Désormais, je le fais par petites lampées ; je laisse dévaler en moi ces pensées drapées d'une inquiétude délicieuse.



« O coração, se pudesse pensar, pararia. »





C'est qui le monsieur ?!?



Nous étions encore dans le sud-ouest de la France, je faisais un peu l'autiste, impatient que j'étais de terminer Les Jardins statuaires, Jacques Abeille en est l'auteur, oubliés à Toulouse l'hiver dernier. Pendant que la musaraigne discutait avec des amies et collègues de sa cousine, par un délicieux début de soirée en bordure de Garonne, j'étais appuyé contre un mur, tout près d'un lampadaire. J'avais salué, dans un premier temps ; tout de même.



C'est qui le monsieur ?!?



C'est tout auréolé de ce titre prestigieux de mystérieux monsieur que je m'étais senti les mollets suffisamment ailés pour marcher d'Auch à Pau. Chargé comme un mulet, j'ai vite déchanté. Livres, dictionnaire et ordinateur, dans un sac, ce n'est pas à proprement parler l'idéal pour randonner dans la joie et la légèreté.



C'est qui le blaireau tout voûté?!?



J'ai quand même tenu jusqu'à Marciac, soit une cinquantaine de kilomètres. Largement de quoi donner envie à mes épaules et à mon dos de me faire la gueule pendant une petite semaine.


Ce qu'ils n'ont pas fait, je suis un monsieur tout de même.



Ensuite, pour récupérer avant de prendre la route pour le Portugal, j'ai respiré les Pyrnénées pendant une dizaine de jours, depuis chez Céline et Thomas. Je suis allé plusieurs fois chercher de quoi leur proposer une poëllée de cèpes, sans succès.



J'ai lu un petit livre. Deux fois. L'envie de l'envoyer à Daniel n'eut-elle été si grande, je l'aurais assurément grignoté encore. Et encore. Il m'avait hélé, chez un bouquiniste de la ville rose. J'avais hésité, pour la forme, avant de le glisser dans ma besace.



« J'ai toujours eu la marotte de chanter en marchant de-ci de-là par les rues ; c'est une manière d'orner le temps à mesure qu'il se dévide, je le festonne. »



Ces franges de Paris que l'on parcourt en écoutant Henri Calet, c'est bien simple, elles m'ont traversé avec tellement de conviction que je considère ces pages comme un petit sommet, en termes d'écritures limpides, lucides et acides. Les grandes largeurs, voilà pour le titre. Une toute petite clameur, qui se déchire en douceur, voilà pour la trace que vos larmes laissent entre vos joues et le dos de votre main.



Cela a bien fait rire Maria, quand je lui ai dit que si, à présent, la croûte de mon pain est si tendre, c'est parce que j'ai appris à avoir davantage confiance en ma pâte. Et pourtant.



Bon, c'est vrai, mettre un petit récipient rempli d'eau dans le four joue aussi un rôle.



Erri de Luca, quand Alain Veinstein lui fait remarquer qu'il écrit toujours des livres proches de sa vie : « Oui, je ne suis pas un professionnel qui peut raconter n'importe quelle histoire ; je suis à traction limitée. »



Je vais ajouter cette réponse à celles que j'ai déjà en réserve quand on me sert la fameuse question faisandée, vous savez, celle qui demande ce qu'on fait dans la vie.



Moi ?!? Je prends soin de ma traction limitée.


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