katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, avril 25, 2011

des réalités trop pressées







Au bord de la Sarine se trouve un chemin répondant au doux nom de Promenade du saumon. Quand on y marche, on remonte le courant de ses songes, on croise des réalités trop pressées, on les entend se fracasser sur des rochers, là-bas derrière, quelque part. Si on se retourne, on ne voit que de la fumée. Arrivé au bout du sentier, il est question de les pondre, ses rêves ; en espérant que les œufs ainsi nés ne seront pas roulés qu'à Pâques. Ni trop souvent dans la farine.



A l'entrée de Champagne, un panneau interpellant : village fermé. Il est précisé que cela concerne le 6 mai, que la cause en est le Tour de Romandie. Village fermé. Gavé d'information – ainsi sommes-nous, des oies avec des entonnoirs dans les oreilles et dans les yeux, bien empâtés pour donner des foies gras en quête de divertissements – cela me faisait plutôt penser à un contexte plus radioactif. Je me remémorais Oops, la grenouille à 5 pattes que j'avais trouvée au bord du lac alors que je devais avoir 12 ans. Je l'avais embarquée pour la montrer à l'école, elle avait traîné son moignon plusieurs années dans l'aquarium de la salle de science du collège de Grandson. Malgré les dénégations du prof – un type de toute manière impossible à prendre au sérieux , féru qu'il était de gags Carambar ; merci le niveau du gaillard -, je savais très bien d'où venait cet être difforme. Il était tombé du nuage noir en forme de radio que nous guettions chaque jour avec Rocco, quand c'était Tchernobyl qui obnubilait le petit écran. Nous l'avions loupé. Il était passé de nuit, pendant que nos parents nous refusaient le droit à l'éveil prolongé. Oops était restée pour témoigner. Qu'elle en soit ici remerciée.

Liquidation. J'allais bien tranquillement faire mes courses, et voilà sur quoi je trébuche : Liquidation. Grand appartement de luxe, était-il précisé. Curieux, je suis les affichettes pour aller voir de quoi il en retourne. Plusieurs pièces, tout ce qui s'y trouve a un prix indiqué. Une caisse à la sortie, qui est aussi l'entrée. Aucune émotion particulière sur le visage des personnes présentes. Au moment de m'en aller, soit assez vite parce que je n'aime pas vraiment avoir l'impression d'être un charognard, je vois les mémoires d'outre-tombe de Châteaubriand. Salut mec, je te chiperais bien du bout du bec, mais t'es trop volumineux pour mon baluchon bientôt sur le point de reprendre ses droits. Ceci dit, mes amitiés aux liquidés.



Comme je travaille pas mal, ces derniers temps, je ne note pas grand chose dans mes carnets ; je me retrouve dans un état, une fois sorti du café, comment dire ?, très très dissipé. Pour la peine, je vous sers avec plaisir un petit passage de « Fragmentation d'un lieu commun », de Jane Sautière :



« La peur d'être tout, la peur de n'y rien pouvoir. Tout, rien. Les grands récits, les monuments. Être là, c'est le moins facile. Être là, face à face. Il y a de beaux regards, yeux dans les yeux, ces histoires qui se déplient, ces visages qui prennent figure. Ces silences qui sont comme un repos. On finit par l'oublier qu'il y a cela, ce silence, après que l'on s'était parlé. »

vendredi, avril 15, 2011

avoir en épuisement






A Pully, alors que je découvrais, de nuit, la vieille partie du bourg, j'ai vu des traces de pas sur le sol. Blanc sur noir, ou plutôt : blanches dans le noir. Bizarre, bizarre. Elles menaient à une maison où Ramuz a habité pendant 17 ans. Devant cette grande bâtisse, j'ai sorti le livre de Chappaz acheté le jour-même, intitulé « La Mort s'est posée comme un Oiseau » ; s'y trouvait ceci, que le Charles-Ferdinand aurait sans doute fait sien :


« J'ai répondu toute ma vie à une absence, à un rien qui sort de quelque chose et, vice-versa, à un quelque chose qui se transforme en un chemin venu de nulle part et qui cependant me mène à moi-même. »


Chez le Maurice, pour ma part, je trouve toujours quelques délices.


Au parc de Montbenon, par beau temps, on peut contempler le lac, les alpes derrière, pis, devant votre nez, des badauds qui passent ou se prélassent. Avec un peu de chance, vous pourrez causer un brin avec Edmond. Dans l'élan de nombreux postillons, il vous demandera un petit millier de fois de décliner votre nom, ainsi que celui de vos parents. Il a un tic nerveux qui le fait « slamer » l'arbre généalogique de ceux qui le croisent sans l'éviter. C'est délicieusement décalé.


Après lui, l'autre jour, c'est une figure des skaters yverdonnois qui est venue s'asseoir vers moi un moment. Xavier, pas vu depuis belle lurette ; cheveux courts, ce qui n'est pas habituel, regards venteux, ce qui l'est. La coupe, c'est pour être plus crédible dans ses recherches d'emploi, m'a-t-il dit ; les yeux, leur intranquillité, probablement que jamais je ne lui demanderai.


Dans le parc, il y a deux Osso bucco (je ne saurais pas les assaisonner, déjà que je suis emprunté pour les accorder) géants, sculptures visant à « savoir comment l'art interpelle la ville ». Je les ai regardés un moment, j'y suis même allé déposer mon fessier ; pas de réponse à vous proposer.


A la Poste, j'ai entendu une dame qui fustigeait la personne qui mendiait à l'entrée, « qui n'était même pas capable de travailler » ; elle a tout naturellement enchaîné avec « ces Noirs qui vendent de la drogue » autour de la gare.


« Ces Noirs, madame, il y a plein d'enfants de bonne famille qui sont leurs clients. »


« Pardon ?!? »


« Vous m'avez très bien compris, madame. Que fait votre fils le samedi soir ?!?


« Pardon ?!? »


« Vous savez ce qui est écrit, dans les cabines téléphoniques, lorsque vous arrivez au bout de votre crédit ?!? Avoir en épuisement, voilà ce qui est écrit. Et voilà ce que je vous souhaite. Bonne journée madame, salutations chez vous ! »


Maintenant, j'arrive à me permettre ce genre d'incartade avec le sourire ; tout en légèreté pour plus de portée.


Au Bar Tabac, alors que je lisais une formulation lumineuse s'appliquant à l'emploi des sans-papiers, notamment dans l'hôtellerie (l'auteur assimilait cette pratique à de la « délocalisation sur place »), j'avais dans l'oreille les détails, étalés par mon voisin, concernant l'enterrement de sa grande tante. Je lui aurais bien volontiers mis une burqa insonorisée, à ce gustion.


« Excusez-moi, votre avoir ne serait pas bientôt en épuisement, par hasard ?!? »



samedi, avril 09, 2011

des mots comme des (vieilles) branches







A Port-au-Prince, les Haïtiens ont donné un nom au tremblement de terre du 13 janvier 2010 : Goudougoudou. C'est, selon ceux pouvant revendiquer la paternité de l'appellation, le bruit produit lors de ces secondes de funeste mémoire. Le même que celui d'une cafetière italienne. Voilà qui sonne aussi presque comme la manière dont ma maman, affectueusement, s'adresse à moi. Encore que, depuis peu, pour ne pas me couvrir de ridicule en public – tout de même, un grand garçon comme moi -, elle me sert du : fils. Absolument, quand elle me parle, elle dit : fils.


Entre nous, j'aime beaucoup mieux être du café qui tangue sur l'échelle de Richter.


Pour ce qui est des expressions improbables qui ont rythmé nombre de mes années, elles ont souvent été inaugurées par Petchal et Sergio. Ils nous ont presque offert une mythologie, concoctées à base de films, chansons, ou autres délires vécus ici ou là. Le baron, surnom du deuxième larron, est venu passer un peu de temps par ici, de dimanche à mardi.


Comment ?!?


Non, non, je ne vous propose pas un moment facebook, promis. Je suis désolé, j'ai cette faiblesse d'avoir l'impression que « n'importe qui » écrivant sur un traumatisme consécutif à des mois passés dans un vide-poche, ou Vila-Matas racontant ses déambulations avec son ombre, ce n'est pas pareil.


Je ne suis par Vila-Matas, et Sergio n'est pas l'ombre d'un vide-poche ; vous n'avez pas tout à fait tort. Mais je suis parfois, quand il s'agit d'écriture, un acharné tranquille.


Nous pensions tout d'abord partir pour une randonnée de deux jours, mais comme le temps n'était pas clément, lundi au réveil, nous avons opté pour une solution fragmentée. Tour du lac de Péroles, lundi. Vallée du Gottéron, mardi matin. Ce n'était pas prévu, mais la deuxième boucle a été faite en partie en ayant l'impression que nous étions des figurants dans un volet inédit de Star Wars ; il y avait des gaillards de la protection civile qui sortaient de partout, avec habits oranges et tout et tout.


« Vous venez nous donner un coup de main ?!? »


« Pas vraiment. »


« Un coup de pied ?!? »


« Euh... »


Ils font un sacré boulot, ceci dit. Dès que le temps n'est pas au beau fixe, il y a pas mal de glissements de terrain et autres réjouissances, par ici. J'avais, cheminant, les mots de Chappaz qui figurent sur un marque-page de la bibliothèque : « Va-et-vient des mots comme des branches : où allons-nous ?!? ».


En ce qui nous concernait, nous filions vers une röstizza – poëllée de patates garnie comme la pizza de notre choix - bien méritée. Déjà nos ventres qui s'égayaient. Mais non, le Café de l'Ange était monopolisé par la bande qui réaménage les sentiers. Du coup, Soleil Blanc. Comme je l'ai expliqué à Sergio, il y a, pratiquement en face de la terrasse où nous nous sommes prélassés, un petit lieu privilégié.


Sur une des dernières portes de la rue de la samaritaine, on peut en effet souvent distinguer une petite plaque. Il est écrit dessus : jardin de lecture, ouvert. Le curieux qui entre va alors, au bout du couloir, découvrir sur sa droite une étagère avec quelques livres. Il glissera ensuite son nez dehors, puis le reste du corps, pour se poser tranquillement autour de la table accueillante, surplombant un petit jardin. Juste plus loin, la Sarine, qui coule gaillardement. C'est endroit inattendu, et pour tout dire inespéré, est à la disposition de tout un chacun.


Je passe par là avant d'aller travailler à la marionnette. Je m'assieds d'abord sur un banc ensoleillé, devant la fontaine de Sainte Anne, puis je viens humer cette belle disponibilité. Je pense alors à Gombrich. Il dit, dans l'introduction à son « Histoire de l'art », qu'il aimerait que son livre aide les yeux à s'ouvrir et non les langues à s'agiter.


On a fait les deux, avec Sergio; trop longtemps que ce n'était pas arrivé. Il trouve très drôle cette manière que j'ai de parler de personnes que mon interlocuteur (ou mes lecteurs...) ne connaît (connaissent) pas forcément en utilisant simplement leur prénom, comme si c'était évident. Ça l'est vraiment, je crois. On sait et sent qui ils sont à travers ce que j'en dis. Il s'agit de déplier le monde sur notre intimité, plutôt que le contraire. C'est aussi là que réside la différence entre facebook, de la mauvaise autofiction et une écriture qui nourrit.


Umberto Ecco a accordé un entretien au Monde, dernièrement. Quand le journaliste lui demande à quel moment la matière qu'il accumule pour ses recherches théoriques devient celle d'un roman, il le renvoie au terme de « catastrophe », en mathématique. Avant, il y a un certain état ; après, un autre. Le sommeil est de cet ordre, dit-il.


Certains livres et certaines rencontres sont des catastrophes indispensables.

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vendredi, avril 01, 2011

être obligé de vaciller




Avec force, quand je trébuche sur des souvenirs indociles, l'impression qu'il est nécessaire de perdre certaines personnes, pour enfin les retrouver; ne serait-ce que dans une parcelle de ses pensées. Ce qui fait la balance avec les fois où l'on se trouve, où l'on entrouvre son horizon, au moment où l'on accepte de se perdre.



Entre égarements et révélations, tout juste une plume qui voltige, échappée d'une aile de musaraigne.



Aperçu, lors de mes premières foulées, samedi, un ange qui lisait, assis sur des racines volumineuses. Les chapeautant et les prolongeant, un arbre ; il écoutait le temps barboter dans la Sarine. Et si c'était ainsi que Fribourg se laisse toucher.



Spectacle musical, l'expression vaut ce qu'elle vaut, à savoir pas grand chose, bref, spectacle musical à la Marionnette, la semaine dernière. La comédienne, à un moment, a un blanc. Lorsqu'elle reprend, au lieu de dire : « notre vie nous file à travers le corps », elle balbutie : « notre vie nous file entre le corps ». Peut-être encore plus juste, on y entend la pluralité et les failles de cette enveloppe qui nous porte.



Bon, t'en est où katchon ?, tu nous fais une session fragments et aphorismes de talus ?!?



Ça se pourrait bien.



Avant de me mettre au lit, lundi, j'ai jeté un œil sur d'éventuelles actualisations des sites que je consulte régulièrement ; j'espérais des mots qui me borderaient. Ils étaient là, ils formaient le titre d'un article que je n'ai pas lu : « être obligé de vaciller ». Je n'en avais pas besoin de plus pour aller me coucher. J'étais exprimé.



Je feuillette mon cahier, à la recherche de mes tempes perdues, envolées dans les battements de cœur d'une course effrénée. Je feuillette mon cahier, quêtant des étincelles à partager, mais je suis obligé de constater que mes notes se réduisent déjà comme peau de chagrin. La Toile m'apprend alors que, derrière cette expression, se cache du turc, remodelé par Balzac. J'y lis un éloge de la disparition quand elle se fond dans l'imagination.



Ben voyons.


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