katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, janvier 25, 2010

ce qui va nous atteindre









Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


Je m’étais, pour les laisser affleurer, posté dans le tunnel où nous allions pendant les longues soirées d’été, avec ma grand-maman. Nous longions l’Arnon, guettant d’éventuelles couleuvres, remplissant nos poches avec les scintillements distraits de la rivière ; nous observions les hérons cendrés, ces oiseaux dont la taille ne cessait de m’interpeller ; nous voyions parfois cet homme étrange qui lâchait les corbeaux qu’il avait patiemment dressés.


Nous nous engagions sur les Chevalençon - ce bout droit qui n’en finit pas, où j’aime venir m’essoufler en courant, dernières minutes d’effort intense quand je suis allé « faire la boucle » par Fiez et le Moulin de Péroset -, puis tournions en direction du lac, histoire d’aller écouter l’écho dans le passage situé sous l’autoroute, qui permet de rejoindre Grandson par les routes agricoles.


Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


Repas avec ma maman le jour de mon anniversaire, ce qui, doux sauvage que je suis, n’était pas arrivé depuis longtemps.


Ces mots de Julie Delaloye comme plus étincelant cadeau :


« Donne-moi ton sourire,


que ma vie s’y forme,


que ma peur s’y fige. »


Cette jeune poétesse habite à Lausanne, son premier livre a été publié en 2008 par Cheyne Editeur ; on y entend battre son cœur à fleur de paupières, on y aperçoit le nôtre, bousculé par les mots, réhaussé par eux, aussi.


« Dans un ciel de février » est un verre d’eau débordant de bleu, on peut y boire, on peut s’y noyer.


« Elle est là, elle est seule,


plus douce que l’aurore.


La mort a roulé,


comme une framboise sous la langue. »


Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


Virée à Lausanne avec Joana et Vivette, slalom entre boulangerie légendaire, donc inexistante, et objets éteints, donc à la recherche d’un nouveau regard.


Nous nous sommes régalés de miettes, puis avons sortis les pinceaux de notre besace; nous avons colorié les minutes, elles souriaient sur la toile improbable.


Nous sommes ensuite allés cueillir Juliane, Cloé et Raoul, crêpes et cinéma entraient dans la danse.


Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


Samedi, en début d’après-midi, grande-sœur et petit frère optent pour une balade depuis chez la Grossmutti ; à peine sortis, croisent les parents de Rocco, son frère, sa nièce; on papote, tout le monde est content ; être grand-papa défie l’impensable, Agripino sourit, longtemps, sans faillir.


On fait quelques mètres, je ne peux m’empêcher de dire à Leila combien cela m’outrage de savoir que Rocco et Mario ne sont pas considérés comme des citoyens suisses ; décideraient-ils de quitter le territoire plus de neuf mois, il leur serait difficile de revenir ; il y a des ingratitudes et des indécences séculaires qui gâchent la paisibilité du paysage, qui en modifient sa lisibilité.


Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


Pendaison de crémaillère chez Line et Yann, samedi soir. Line, la fillette dont j’ai été follement amoureux pendant toutes mes années d’école ; pas la poussière d’un baiser à la clef.


Nous nous étions perdus de vue, quelques années, puis retrouvés par des connaissances communes ; depuis, une telle intensité dans l’échange, les rares fois où nous nous croisons, que ma petite tête peine à chaque fois à s’en remettre.


Line porte un tel intérêt à son domaine, la psychologie, qu’elle réussit l’exploit de rendre évident et vivant un savoir souvent englué dans la schématisation et la classification.


A ses côtés, je bouillonne d’interrogations ; ils ont une valeur inestimables, les amis qui étoffent la curiosité.


Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


Après avoir disparu de chez Line, je suis allé dormir chez Cicic, un pote qui se conjugue à tous les temps ; en guise de refrain, les verbes jouer, rire, grandir, questionner ; pour orchestrer le brunch du dimanche matin, il m’a sorti sa malle à photos : bouffée de sensations fortes en respirant ces images remémorant d’autres âges jamais tout à fait sages.


Ces derniers jours, des échos d’enfance se sont répercutés de partout.


« T’es un heureux de la vie » m’a dit Pauline, la semaine dernière, alors que je gesticulais de manière hautement ridicule en faisant le café.


Cette formulation, qui nous a beaucoup plu, à Béatrice et moi, me revient ce matin, alors que je me laisse foudroyer par ces mots de Carole Darricarrère.


« On ne sait jamais ce qui va vous atteindre dès lors que l’on lève les yeux sur le monde, quelle averse de lumière, quel champ de blé, quelle balle pure cherchant à se loger. »

Libellés : ,

mercredi, janvier 20, 2010

l'âme est notre aventure






Lorsque le ciel est dégagé, en hiver, la journée ne se défait pas de ses teintes matinales; le soleil reste bas, c’est une lumière immaculée qui rythme les respirations glacées; un réveil étendu sur plusieurs heures, jamais complètement accompli; puis voici la nuit, survenue dans un somptueux crépuscule, à peine entrevu, disparu.


Posté devant l’écran, l’obscurité appuyée sur les épaules pour encore quelques heures, j’ouvre mon petit calepin, histoire de voir ce que j’y ai noté, brindilles pas toujours sensées qui participent à la rédaction de mes déblogages.


Ces mots d’Evelyne Trouillot, survenus après, surgis depuis le désastre qui a frappé Haïti:


« J'entends l'humanité survivre dans les voix autour de moi, railleuses envers le malheur, envers soi-même, comme pour dire à quoi ça sert de pleurer, tu es vivant, oui ou non ? Des voix pleines de compassion pour soulager un autre et l'aider à porter sa peine. Des voix qui protestent et réclament plus de justice, plus d'efficacité dans la distribution de l'aide. Des voix pleines de dignité qui disent que la vie ne peut être accueillie à genoux, mais debout, toujours debout, il faut vite se relever et lui faire face.


Nous n'avons jamais eu un autre choix.


C'est ce qui me vient en tête alors que je suis couchée sur mon lit de fortune, une nuit de plus à attendre que la terre se calme. Couchée à contempler les étoiles de ce ciel qui me fait signe jusqu'aux tripes lorsque je suis trop longtemps absente, je me rends compte que ce que nous écrivons en fin de compte est en deçà de la vie, et que c'est l'éternel défi de l'écrivain que d'arriver à faire sentir ne serait qu'un infime souffle de l'humanité dans son immense vitalité.


Si tu es en vie, prends ton courage à deux bras.


Le pays attend, il n'ira nulle part. Le ciel est bien trop beau. »


Laferrière est allé trouver Frankétienne, ce type inclassable qui, notamment, écrit ce genre de choses:


“Nous vivons une époque innommable. Pour étayer nos souvenirs, nous devrions parler à nous-mêmes à chaque carrefour, avant de poursuivre le voyage. En cours de route, happer la lumière, frôler l’échec, voguer à l’aventure, reprendre pied au hasard des éclaircies. De toute manière, certaines expériences ne sont plus à renouveler, tant que nous n’aurons pas rompu les chaînes de la solitude amarrées à la nuit du doute.”


Il l’a trouvé en larmes, il l’a encouragé à continuer la pièce de théâtre que ce dernier a l’impression de ne plus pouvoir monter, parce qu’elle parle d’un tremblement de terre. Au contraire, a-t-il insisté, c’est la culture qui a toujours sauvé ce pays, alors il faut insister, créer, bousculer, refuser.


Quand les milliers de militaires ne servirons plus à rien, soit très vite, ce sont ceux qui ont pour leitmotiv cette phrase de Chappaz, “l’âme est notre aventure”, qui redonneront du souffle, qui découvriront ce qui se joue, en-deça et au-delà.


Je pensais aux absents, qui ne sont pas toujours morts, en regardant la place de jeu des footeux, à la Mottaz. Les pas ont effacé la neige autour du terrain, il n’y a personne, entre les cages, et pourtant cette trace rappelle le mouvement. On y entend rires et soupirs.


“, nous devrions parler à nous-même à chaque carrefour,”


Serait-il possible, alors, de consulter son responsable de la communication?


Non, il buterait probablement sur un terme aussi obscur que “soi-même”, peut-être même sur “carrefour”, une fois précisé qu’il ne s’agit pas d’un magasin.


J’aime l’impression d’être mis au ban des RH, de préférence sur un banc me permettant de me réconciler avec ces beaux mots que sont pourtant “ressources” et “humanité”.


Je sors alors mon couteau suisse pour graver la voix de Frankétienne:


« Le vent se lève, faiblit, puis s’éteint. Face à face, deux coqs pétrifiés de peur. Dans un vrombissement de mouches excitées, la bataille des chiens recommence près des poubelles, pour des os sans substance.


Comment recoudre le ciel à l’horizon avec une aiguille cassée ? »

Libellés : ,

vendredi, janvier 15, 2010

de discrétion barbouillé







J’étais posé sur un fauteuil, je lisais “Le Londres – Louxor” de Jakuta Alikavazovic; la table était mise, le repas préparé, j’attendais Raphu et Anne qui dansaient du tango, quelque part.


Du coin de l’oeil, je devinais la porte du salon qui se fermait lentement; ce qui ne manquait pas de m’intriguer. Quand j’interrompais ma lecture pour regarder cela de plus près, elle faisait l’air de rien.


Ce mouvement a duré près d’une heure. Ce n’est pas que la porte soit spécialement massive. Ce n’est pas qu’elle bougeait de manière alternative, une fois dans un sens, une fois dans l’autre.


Non, c’est simplement qu’elle ne s’est en fait pas déplacée d’un centimètre.


C’est dans ma tête que cela tourbillonne en permanente.


Comment?!?


Ah oui, plutôt en permanence.


Encore que.


Prenez mes chaussures, par exemple.


Ramuz commence son essai “La taille de l’homme” en citant un passage du Journal de Gide dans lequel ce dernier mentionne un homme à qui le simple fait de changer de chaussures provoque une grande tristesse; Ramuz écrit ensuite: moi.


Je note alors dans la marge: non, moi. Pis ta soeur?


Tout ceci pour vous dire qu’il y a un peu moins de deux ans, j’avais fait l’effort d’acquérir une nouvelle paire de chaussures pour l’hiver; elles sont noires, très simples; je crois que je ne connais personne, m’ayant vu avec, ne s’étant senti obligé de me dire combien il les trouvait hideuses.


Personnellement, elles me conviennent à merveille, sauf qu’un problème est survenu il y a peu: celle de gauche couine.


Tout à fait, elle couine.


La semaine dernière, comme je devais marcher sur une distance plus conséquente, dans des endroits somme toute assez peu fréquentables, j’ai mis mon autre paire, moins dommage, celle que je traîne depuis bien longtemps.


J’ai constaté que celle de gauche couine aussi.


Comme je suis d’une lucidité à toute épreuve, j’ai tiré le constat qui s’imposait.


Mais je n’ai pas envie de changer de jambe tout de suite, je vais donc me faire à ce petit désagrément.


D'autant plus qu'un exploit retentissant est venu atténuer le fait qu'une partie de mon corps grince: j'ai pour la première gardé un porte-minse suffisamment longtemps pour pouvoir le recharger.



Je n'espère pas que cette remarquable marque de responsabilisation de ma personne suffira à faire de moi un adulte bien comme il faut.



Un adulte bien comme il se faut étant généralement aussi mal qu'il se doit.



Quoi?!?



Je vais me lancer bientôt dans la lecture du livre de Manfred Lütz, psychiatre, psychothérapeute et cabarettiste, dont le titre est : "Irre - wir behandeln die Falschen".



"Erreur - nous traitons les faux."



Quand je suis arrivé chez mon oncle, dimanche dernier, je n’ai pas allumé les lumières, je me laissais guider par celles que les lampadaires m’offraient.


Je déambulais silencieusement d’une fenêtre à l’autre.


Voir sans être vu.


Se déplacer sans être entendu.


J’adore quand, tôt le matin, je parviens à m’éclipser sans réveiller personne.


J’excelle aussi dans l’art de la disparition en soirée. Je salue à gauche à droite, j’échange deux banalités.


Je suis là. Je ne suis plus là.


Vous avez pas vu Katch?!?


Si, si, il était dans les parages, mais il a manifestement de nouveau fait une Katch.


Être de discrétion barbouillé.


C’est Rodrigo Fresan qui a écrit quelque part que, dans certaines situations, on a parfois l’impression de repérer davantage de données que d’autres acteurs de la scène quotidienne.


Pour ma part, c’est en partie cette innocente vanité qui m’a mené à l’écriture.


Que je malmène.


Et inversement.


On se démène en coeur.


Vous êtes bien amènes de nous supporter.

Libellés : ,

mardi, janvier 12, 2010

"Il faut avoir beaucoup de souffle, être prière et vent"







“-Oui, je vais entrer dans l’autre monde, balbutie le vieillard.


Ses mots tombent dans le ruisseau d’ombres puis s’égrènent, se dissipent en lui.

-Et le monde me flatte.


Il avance dans des débris, des morceaux de passé, comme des épaves où l’on se réfugie.”



Je vous ai dit une bêtise, le dernier livre de Maurice Chappaz s’intitule “Le roman de la Petite Fille”, il vient de paraître chez Fata Morgana.


Il est inachevé, il a mis au net les chapitres terminés six jours avant de ne plus ouvrir les yeux.


La mort de ce nonagénaire, celle aussi de personnes qu’il a aimées, repose en douceur dans chacune de ces pages.


Rien de pathétique ou de complaisant, bien au contraire, l’apaisement face à la venue de l’Inconnue Fondamentale.


Cet ouvrage superbe a été tiré à mille exemplaires.


J’ai placé les quatre que Sylviane a commandés à côté de la pile de ceux de Chessex, qui partent à la pelle parce qu’il y a du salace, du scandaleux. En Suisse, il se vend sous cellophane avec un avertissement rouge: réservé aux adultes.


Le marketing étouffe le monde, je déteste chaque jour un peu plus la manière dont il nous met la tête sous l’eau.


Pendant qu’un film apparemment à ne rater sous aucun prétexte, une prouesse qui cartonne au box-office, entame sa x-ième semaine dans les salles, “Bright Star”, de Jane Campion, donne à la poésie ses lettres de noblesse sur écran.


Il y a une constellation de pétales dans ma définition de la Beauté, la chorégraphie que Béjart avait composée sur “La solitude” de Barbara y est en bonne place; les minutes retraçant l’amour entre John Keats et Fanny Brawne viennent se glisser tout en haut de la liste, près de ces moments de grâce qui aménagent le regard.




Quand je suis arrivé chez ma grand-maman, dimanche en fin de journée, Lulu, ma cousine, mon petit chameau, venait de s’en aller.


Il restait la petite table qu’elle avait dressée pour que l’on puisse profiter de ses prouesses culinaires.


“Je lui ai dit qu’elle devrait faire pâtissière, quand elle sera grande” m’a dit ma grand-maman.


“Tu sais ce qu’elle m’a répondu? Elle préfèrerait être seulement gâteau-lière.”

Libellés : ,

vendredi, janvier 08, 2010

une perspective poétique










« […]

Et dans le bec des oiseaux des brindilles qui annoncent des alphabets. »


Quand le film se terminait, je me glissais dans mon short, je me chaussais à l’extérieur, je traversais la pinède pour la rejoindre : la mer, me concernant, ne s’impatiente jamais, ni ne me fait de reproches. Il n’y a guère qu’elle et Raoul pour m’accorder cette faveur. Je leur rends cet amour comme je peux. Avec ferveur. Mais pas assez.


J’ai passé trois semaines entre Narbonne et Perpignan, avec ma très chère maman, des heures à nous bercer de livres, de promenades, de discussions et de DVD. La parcelle de méditerranée qui nous berçait a connu d’inégales agitations. Un des jours où elle « brassait » le plus, il n’y avait pas un souffle, le vent batifolait ailleurs. J’avais constaté ceci pendant mon pas de course. Comme le crépuscule pointait, j’avais accéléré pour proposer à ma maman de venir profiter de cette incongruité. Nous étions retournés ensemble sur la jetée, nous avions laissé les vagues enlacer le sable de nos âmes, sans détruire les châteaux cathares déjà bâtis grâce à lui.


Un matin, j’ai ouvert les yeux au moment où, dans mon sommeil, je me disais que j’aurais voulu dormir sereinement, mais que je n’y arrivais pas, comme si la nuit incarnait toute l’insécurité du monde. C’était exactement la formulation, entre rêve et réveil, à l’instant précis où les deux se confondent : « comme si la nuit incarnait toute l’insécurité du monde ».


Je ne sais pas si j’étais dans ma tête. Je dors tellement bien, m’endors tellement vite. C’est étrange.


Je vais quand même proposer à Morphée d’installer une vidéosurveillance.


Il me semble que l’outrage langagier va jusqu’à dire vidéo-protection, parfois.


Ou quand le pathétique de l’époque entache le vocabulaire.


Quand le film se terminait, je me glissais dans mon short, je me chaussais à l’extérieur, je traversais la pinède pour la rejoindre : la mer, me concernant, ne s’impatiente jamais, ni ne me fait de reproches.


Un jour, la séance s’étant acheevée un peu plus tard, mes foulées s’étaient accordées à l’obscurité.


Plage déserte, goélands silencieux ; énormes vibrations en moi, bonheur intense de l’instant dans l’éclat de sa nudité.


Moi : rien ; dans cette aire en plein air : tout.


L’infiniment petit qui jouit de se sentir dans un absolu indéfini.


Indétermination salutaire: j’ai une foi énorme. LA foi ? Connais pas.


Une de mes découvertes de fin d’année, grâce à une petite librairie narbonnaise : Antonella Anedda. « Et dans le bec des oiseaux des brindilles qui annoncent des alphabets. », c’est elle.


Je n’achète presque plus que de la poésie. Je suis heureux de soutenir tant que faire se peut cette pratique si contraire à l’époque. Une antynomie du XXIème siècle, la poésie. Elle est lente, contre-productive ; d’aucuns ajouteraient inutile et inefficace, ce que je ne peux ; elle m’aide à respirer bien trop puissamment pour me permettre de lui faire un tel affront.


« Supporte tes pensées dans l’ombre épaisse


Pour qu’elles avancent en cohortes de mémoire. »


Port-Leucate et Le Barcarès - nous étions tapis au milieu - ne sont pas des endroits charmants ; leur configuration, en grande partie des sortes de HLM construits pour accueillir un maximum de gens quelques mois dans l’année, explique le pourquoi du comment.


En hiver, la multitude absente confère aux barres d’immeubles une dimension qui oscille entre sinistre et ridicule.


Par contre, le reste, le cadre privilégié, prend sa vraie dimension. Du coup, la petite maison de mon oncle, située dans « Le hameau des pêcheurs » - le nom est déjà plus plaisant que celui des autres lotissements : Dallas, Hawaï,… -, permet de jouir de la mer et, si l’on effectue une rotation, de la vue, notamment des massifs montagneux, quelques uns ornementés d’éoliennes, qui trônent au loin.


Depuis que j’ai écouté Nedim Gürsel parler de son dernier roman, « Les filles d’Allah » – sache que je vais te le piquer, sœurette -, je pense à lui à chaque fois que je contemple les montagnes. Un des personnages de son livre est un petit garçon qui les regarde chaque matin, les montagnes, histoire de voir si elles ne sont pas en train de « se mettre en marche », pour annoncer la fin du monde telle qu’elle figure dans le Coran ; un passage répété chaque vendredi par l’Imam.


Cet ouvrage, selon son auteur, interroge non seulement la foi, mais pousse à s’en défaire.


On pourrait proposer aux chantres de l’UDC de le distribuer à la sortie des mosquées.


L’exhorte de l’archange Gabriel à Mohammed n’était d’ailleurs pas autre :


« Lis ! »


André Agassi vient de sortir une autobiographie. Il a accordé un grand entretien au quotidien « L’Equipe », il y explique qu’il a mis trois ans pour la rédiger, que cela lui a semblé être une fabuleuse thérapie, qu’il a appris beaucoup sur lui, ce faisant.


« Cela vous a donné envie d’écrire d’autres choses ? »


« Non, cela m’a donné envie de lire plus. »


Laferrière, à son neveu qui lui demande quels exercices faire pour améliorer son écriture :


« Il vaut toujours mieux lire. »


Parmi les hauteurs qui se déroulent à l’horizon, il y a un sommet qui m’intriguait particulièrement, depuis le premier jour ; un peu de neige tentait difficilement de s’accrocher à son extrêmité, les nuages venaient souvent le courtiser.


Le Mont-Canigou.


Nous sommes allés l’admirer de plus près, avec Caroline, Luca et Raphu, pour marquer le début de 2010. Nous avons franchi en voiture le col qui est juste avant, quand on vient depuis le littoral, nous lui avons caressé le menton.


Il n’a pas bronché.


Deux jours plus tard, nous avons repris la route pour la Suisse avec ma maman. La joyeuse bande avait levé le camp avant nous. C’est un message de Raphu qui m’a appris la nouvelle.


Lhasa de Sela ne montera plus sur scène.


Elle ne m’avait jamais semblé tout-à-fait vivante, elle ne sera jamais entièrement morte.


Elle danse à présent avec les fantômes qui voltigeaient dans sa voix et son regard.


« Bientôt cet espace sera trop petit ».


Les trois fois où elle m’a subjugué, en concert, elle a terminé avec cette chanson.


Elle y murmure que la poussière dira ce que sa chair ne disait pas.


Saurons-nous l’entendre ?



Je suis de retour à Fribourg pour de nouvelles aventures avec Béatrice. Hier, je suis allé à la bibliothèque, j’ai emprunté le dernier livre de Maurice Chappaz, « La pipe qui prie et fume ». La mort de ce dernier n’a apparemment pas bousculé beaucoup plus la curiosité au seuil de la poésie. Ce bel ouvrage attendait d’être ouvert depuis plus d’une année. Je vais le plier et l’annoter pour lui rendre justice.


« Depuis ici je crois entendre Dieu ou le chat qui miaule.


Un chuchotis insinue dans ma pipe les trois demandes (Qui sommes-nous ? – D’où venons-nous ? – Où allons-nous ?) qui s’envolent en même temps.


J’écoute les vieilles montagnes sombres. L’insaisissable nuit se promène.


Une étoile se fixe et s’argente au milieu du ciel à l’entrée de ma porte. »


Alors que je feuilletais différents journaux et revues, j’ai croisé cette interrogation : « Existe-t-il encore une perspective pour l’homme ? ».


Elle me trottait dans la tête alors que je courais près de la chapelle de la Lorette, enivré par le panorama unique qu’offre la vieille ville de Fribourg.


J’écoutais la réponse que murmurait des bribes de lumière sur de petits îlots neigeux.


La réponse ne venait pas de Copenhague, pas des innombrables listes dressées pour marquer la fin de la première décennie du troisième millénaire, pas du taux de chômage.


Non, elle s’accordait au souffle rauque et indocile de Chappaz :


« Je l’écoute avec ce qui se cache en moi. »

Libellés : ,