katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, septembre 24, 2010

un revolver rempli de pétales de tournesol







On dirait une vieille machine à écrire martelée par un écrivain en train de perdre la raison. On perçoit juste le bruit, clairement, mais on devine des signaux de fumée émis par des mots enragés. Ce n'est pas dans ma tête que ça se passe. Un peu tout de même, c'est vrai. Mais principalement sur le toit, grâce à la pluie qui, aux platines et au micro, envoie du lourd.


Vues d'ici, dans la nuit, toutes les gouttes sont noires; elles doivent sans doute incommoder quelques chats, qui paraît-il sont gris.


Ayant laissé entendre à Ralph l'effet que m'avait procuré « Le fond du ciel », le dernier livre de Fresan, il m'a demandé ce que j'avais fumé; je crois qu'il était intéressé. J'avais fait des inhalations d'un futur déjà advenu, mixé avec un passé toujours à venir, saupoudré de présent inexistant. Avec beaucoup de musique.


Comme je lui l'ai expliqué, Fresan m'a plaqué un revolver rempli de pétales de tournesol dans la bouche, ça avait un goût de miel, pis j'avais l'impression que ça aiguisait mes pupilles; allez comprendre. C'est délirant, mais je n'en démords pas, il est comme ça cet Argentin déluré. On dirait Messi et Maradona qui jouent au basket avec une balle de tennis, donnant ainsi une leçon aux plus grands théoriciens de handball. Allez comprendre.


Il y a cette citation d'Héraclite dans « Le Tigre »: « Un tas de gravats déversé au hasard: le plus bel ordre du monde. » Une partie de la production artistique dite contemporaine tente de (dé)figurer ceci, j'en ai eu une nouvelle piteuse illustration au Carré de Baudoin, qui « s’annonce comme le centre de gravité de cette manifestation (la Biennale de Belleville). Il accueille une exposition (solde migratoire) mettant l’accent sur les similitudes et connivences entre démarches artistiques et flux démographiques ». Blablabla. Blablabla.


Ils feraient mieux de lire Fresan plutôt que d'auto-digérer une soupe mitonnée avec des concepts et des sceptres de.


A chaque fois que je traverse le boulevard périphérique, je ne peux m'empêcher de secouer la tête. Douce mignardise pour s'aérer les poumons que notre civilisation. J'ai aperçu des tentes disposées dans la partie « verte » qui borde ce défilé permanent; une parade qui fait donc office d'horizon et de bande-son pour ces campeurs d'infortune. Si c'est pas bonnard un peu de poésie d'échappement en attendant que vienne le générique de fin.


Je prends ce jour mon sac et mon bâton direction Bordeaux.


Dans mon sac se trouvent quelques habits ridicules et des livres. Notamment trois que je me réserve pour Lisbonne: « La solitude heureuse du voyageur » de Depardon, que m'a offert Luca; « Autoportrait de l'auteur en coureur de fond » d'Haruki Murakami, cadeau d'Anna; « Nach Hause schwimmen » de Rolf Lappert, présent de Béatrice.


Des titres qui cernent plutôt bien le bonhomme à salopette de vent que je suis.


Sur mon bâton est inscrit Katch 6; je vais y ajouter la superbe formule de C. :


conteur

d'errance choisie

avec les mots de l'intime.


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jeudi, septembre 16, 2010

tricoter le chandail de la vie



Séjournant du côté de Montreuil, je suis passé voir, en me doutant bien du résultat de cette inspection, s'il y avait encore des Roms sur une friche où j'avais eu plaisir à en découvrir, il y a de cela environ une année. Pas même la silhouette d'un mégot ne m'a accueilli. Et vu la hauteur de la végétation, l'interdiction d'y séjourner ne date pas d'hier.


Jouxtant la place du marché en chantier, le bâtiment squatté jusqu'à l'été dernier n'est plus non plus.


Un vent de disparition s'entortille dans mes oreilles, il y souffle un refrain où une trop certaine idée du vivre ensemble m'indispose grandement.


Sur une place toute proche, un monument, d'une laideurs confondante, en hommage aux Résistants. Des vers d'Eluard sont inscrits sur son socle: « Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons. » J'ai lu ceci en pensant combien leurs acquis sont laminés l'un après l'autre par le Medef, entre autres philanthropes avertis.


Petit soulagement, aujourd'hui, en apprenant que vient d'être lancé un appel par des « économistes atterrés », qui dénoncent la persistance du modèle financier, et rappellent que « l'explosion des dettes publiques résulte de tout autre chose que les dépenses sociales inconsidérées. Elles sont la conséquence des plans de sauvetage de la finance et de la récession provoquée par la crise bancaire. »


C'est jour de marché, je suis donc venu y humer l'atmosphère de bon matin; avec fromage et crudités, j'ai emporté un petit livre de Patrick Deville intitulé « Une photo à Montevideo », que j'ai lu sur une terrasse que j'affectionne, en une petite heure, bercé par son ton familier.


« Le livre et la photo n'avaient objectivement rien à voir, comme peut-être n'ont rien à voir les deux pelotes de l'espace et du temps, dont l'entrecroisement des brins finit cependant par tricoter le chandail de la vie et vous habille pour l'hiver. »


Hier soir, je me suis glissé dans la peau d'un espion, j'avais l'impression d'être pour quelques minutes le narrateur d' «Étrange façon de vivre » de Vila-Matas. La cible de ma curiosité: Richard Millet, à qui j'ai écrit de longues et parfois virulents lettres, dans ma tête, quand je cours. Des missives qui ne se sont jamais aventurées ailleurs que dans le brouillard de mon cerveau.


J'étais donc dans une bouquinerie, quand j'ai presque buté contre un homme qui reposait un livre pour s'en aller; c'était lui. J'ai tout d'abord eu de la peine à le croire, puis je me suis rendu compte que cela n'était en fait, au vu de l'endroit où je me trouvais, pas si étonnant. Je l'ai suivi, sans trop savoir pourquoi, peut-être parce que je me proposais d'enfin l'apostropher vraiment. Le fait est qu'en personne, il perd singulièrement de la superbe de ses harangues. Je l'ai observé un moment, alors qu'il sirotait un jus d'orange en attendant quelqu'un qui ne daignait pas venir; un malaise profond et ancien se dégageait de son corps maladroit et des regards inquiets qu'il promenait à la ronde.


Je ne voulais pas creuser encore davantage le lit de l'étang asséché où il semblait choir péniblement. Je l'ai laissé en guerre, avec lui et l'ombre de ses contemporains qui l'indispose tant.


Je m'en suis alors allé écouter Maryline Desbiolles. Du moins était-ce ce que je croyais, peu au fait des us et coutumes de la librairie où elle venait présenter son nouvel ouvrage. Mais il n'en fût rien, elle était simplement là, disposée à distribuer des dédicaces et à tenter de ne pas mourir d'ennui en écoutant la bonne société parisienne. Ce que je n'ai pas réussi à faire. Je me suis donc permis une approche assez rapidement, pour discuter un peu avec elle, sans trop l'accaparer. Nous avons évoqué John Berger, Zouk et le Portugal.


Desbiolles est un membre de choix dans ma famille d'écrivain, pas uniquement parce que je la lis avec bonheur depuis quelques années, mais aussi parce que j'ai un souvenir bien précis lié à sa voix. Je découvrais les chutes du Rhin par un inquiétant matin d'automne, je m'y étais rendu pour interroger mes pas, comme on le fait parfois quand on a l'impression qu'ils sont devenus trop convenus; je marchais dans la bruine, écoutant l'émission où, face à Alain Veinstein, elle présentait « C'est pourtant pas la guerre. » Elle m'avait offert quelques réponses, sans s'en douter; ou plutôt précisément parce qu'elle doutait.


« Bien sûr qu'écrire ne fait pas danser, mais au fond je ne m'y résous pas. Je voudrais que cette troisième voix ondule, qu'elle danse une danse que j'aurais vue les yeux bandés, les oreilles bouchées de cire, et que je connaîtrais cependant à la lettre. »

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mercredi, septembre 15, 2010

ce qui nous dispose dans le jour







C'est vrai, peut-être que c'est cela, je tombe dans mon regard. A force de laisser mes yeux s'éprendre un peu partout, ils sont entraînés par leur élan.


Bernard Noël dirait que j'ai trouvé l'ouverture.


Trouver l'ouverture, c'était ajuster une louche pour Jules par-dessus deux défenseurs tout déconfits; ou simplement le sentir partir dans mon dos, après un amorti de la poitrine, alors le lancer dans la profondeur.


Trouver l'ouverture, c'est s'engouffrer dans le sillon de mots indociles, tenter d'y façonner des points d'appui; pour soi et quelques autres.


Pourquoi certains mots sont-ils une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour?!?


Je ne sais pas, mais ce matin, dans le frémissement de l'aube, c'est « s'ébrouer » qui me chavirait.

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