katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, avril 29, 2008



"Il restait là, à l'écoute des battements de son cœur, comme s'il redoutait que son cœur s'annule. Le monde, maintenant, passait trop loin pour qu'il prétende s'en approcher, participer de son ardeur par un désir , une soif, un geste. Et comme d'autres, plus exigeants que lui, mouraient de ne pas mourir, il comprenait peu à peu que la plus grande souffrance d'un homme était de n'en éprouver aucune et d'accueillir en soi, par mille démissions infimes, le triomphe du néant."

Claude Esteban, La mort à distance

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vendredi, avril 25, 2008

Baiser émietté

M’étant rendu compte, réfugié au Café de la Marionnette, que ma pressante envie de salade allait se trouver contrariée par le fait que j’étais désargenté, je décidais de m’éclipser discrètement, laissant en l’état le chantier en quoi j’avais transformé ma charmante petite table.

Alors que je marchais à la recherche de quelques pièces perdues, tout content de mon évaporation, un mot s’en est venu papillonner à ma suite : Songe.

S’inscrivant aussi bien à l’orée de mes oreilles que dans le miroitement de mes pupilles, il se décomposait alors en deux pétales brûlants : Sang et Ange.

Je les laissais infuser dans la théière de mes rêveries, ne pouvant m’empêcher de sentir à l’œuvre un des aspects éclatants de l’écriture, cette possibilité offerte, en permanence, de cristalliser ce qui ennuage le ciel de ses pensées, de donner à voir les ailes et les blessures qui se cachent sous un mot, sous ce mot : Songe.

Une pâte à modeler qui permet de façonner les figurines qui peuplent vos nuits, puis de les déposer sur le rebord de la fenêtre donnant sur votre cour intérieure.

Un bourdon sans vie, allongé entre deux pavés, petite peluche impeccable donnant l’impression d’avoir été empaillée ; l’attroupement provoqué, sous le pont du milieu, par un morceau de pain lancé à un canard égaré ; les intermittences du soleil ; la personne âgée qui avançait à peine, souriant, une « pizza à l’emporter » dans les mains.

J’aime aussi me persuader qu’écrire consiste à consacrer la victoire de ces images sur celles, étouffantes, des prétendus rois de l’éloquence qui déferlent sur les écrans, de la marée (ou de l’armée, à choix) automobile, des téléphone qui semblent « piercés » tant ils ne se détachent que rarement des têtes dépensantes.

Ecrire, pour moi, c’est espérer très fort être ce petit bout de pain, hasardé dans la Sarine, provoquant un léger trouble à la surface de l’eau, attirant quelques curieux, puis disparaissant après avoir constitué un bref instant de grâce, sur la langue, autour de la langue.

Etre un minuscule baiser émietté de mots savoureux.

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jeudi, avril 24, 2008


"S'il n'y avait pas des choses comme ça, l'écriture n'aurait pas lieu. Mais même si l'écriture, elle est là, toujours prête à hurler, à pleurer, on ne l'écrit pas. Ce sont des émotions de cet ordre, très subtiles, très profondes, très charnelles, aussi essentielles, et complètement imprévisibles, qui peuvent couver des vies entières dans le corps. C'est ça l'écriture. C'est le train de l'écrit qui passe par votre corps. Le traverse. C'est de là qu'on part pour parler de ces émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins, tout à coup, s'emparent de vous."

Marguerite Duras, La mort du jeune aviateur anglais

mardi, avril 22, 2008

Fais de beaux rêves








Un petit losange de terre que j'arrose régulièrement sans savoir si cela fleurira un jour:

Allons sur un toboggan, par exemple, rappelons-nous plutôt ça. Moi je fais comme ça, je repense à la joie quand mon papa me descendait de ses épaules pour me déposer près de cette pente en plastique qui était la promesse de sensations folles. C’est ce moment là que je tente de revivre chaque jour, l’instant où j’étais sur le point de m’élancer à la conquête de ces quelques mètres de bonheur qui me faisaient tellement vibrer.


Une petite peur, d’abord. Fermer les yeux. Respirer un grand coup. Ne faire plus qu’un avec le mélange de rires et de cris d’insouciance qui m’enivrait. Puis s’élancer. Et hurler. Et rire. Et hurler de rire pour me moquer de ce doute qui avait cru un moment prendre le dessus. Les premières fois, c’était de savoir que des bras bienveillants m’attendaient en bas qui me donnait l’impulsion. Puis, très vite, il fallait que mes parents aillent s’asseoir sur le banc, ou ailleurs, mais qu’ils me laissent seule, seule avec mes copains et copines, seule avec toutes les histoires que je brûlais de me raconter et de vivre, que je brûlais de raconter pour les vivre.


Je crois que c’est juste ça, que vous devriez essayer de faire, écouter votre cœur d’il n’y a pas très longtemps, celui qui palpitait dans tout votre corps quand vous étiez à la place de jeu, celui qui, lorsque vous repartiez en direction de la maison, refusait de vous suivre, restait à chanter sur une balançoire.

Le seul moment où il acceptait de revenir vous trouver, c’était plus tard, beaucoup plus tard, lorsque vous étiez dans votre lit et qu’une des personnes que vous aimiez le plus au monde vous murmurait une de ces formules indépassables, une phrase qui marche sur l’eau avec « Merci » et « Je t’aime ».

« Fais de beaux rêves. ».

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vendredi, avril 18, 2008


Je suis en équilibre près de la fenêtre, la bougie, qui a pour joyeuse mission de maintenir chaude la théière « chipée » à ma grand-maman, me sourit, semblant se demander à quoi je joue, jonglant avec les livres qui m’entourent.

Ils forment une tente de mots dont la toile est perpétuellement en mouvement, dont les sardines, taquines, sortent de terre pour me confectionner des chignons fous.

A ma droite, la première partie du « Journal » de Gustave Roud qu’un bouquiniste fribourgeois m’a presque donné, la semaine dernière, tout étonné qu’un jeune homme puisse vouloir faire pareille acquisition ; mieux, qu’il se soit presque assommé au plafond lorsqu’il a aperçu les deux ouvrages.

« 25. VI. 18

je n’ai rien voulu dire, il y a quelques heures, de ce soleil tout proche de moi et que de temps à autre ma main caressait comme une chose vivante, ni de ces chars craquants aux routes avec l’éclat soudain d’une voix vigoureuse, ni de ces champs nus où des corps submergés d’une épaisse lumière se penchaient et se redressaient, les bras soulevés. »

A ma gauche, reçu hier de Montréal par la grâce de Benoît, « Le Monde sur le flanc de la truite » de Robert Lalonde :

« Quand on écrit, et si on écrit vraiment, avec tout son corps, comme un peintre-danseur, si on lutte amoureusement avec les phrases, on trouve. Quelque chose qui ressemble à ce qu’on cherchait, qui est à la fois plus et moins que ce qu’on voulait, mais qui peut drôlement faire l’affaire, si ça s’installe bien et nous permet d’avancer. »

Entre les deux, les trois volumes qui composent mon « Dictionnaire Quillet de la langue française » de 1946.

Là-dessous, s’imprégnant de toute cette fraîcheur, aimant se reposer dans les flaques de douceur formées par ces ombres d’encre, un petit bonhomme se rêve jardinier des mots.

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dimanche, avril 13, 2008

Heimatklänge


82 minutes qui cernent parfaitement une partie de la palette d’interrogations qui tempêtent dans mon crâne, une valse de rires et de larmes puisant aux sources de l’essentiel qui illustre à merveille ce que l’écriture, cette quête inépuisable, représente pour moi.

Heimatklänge.

Depuis que je suis allé voir ce documentaire, lundi dernier, tout ce que j’ai vu, lu ou entendu semble y faire écho, de près ou de loin. Ce qui est d’ailleurs la meilleure définition que je puisse donner de l’essentiel : une force qui palpite dans tout ce que le cœur embrasse.

J’y pensais lorsqu’une jeune fille m’a demandé si j’étais argentin, lorsque ma maman me parlait de son enfance, lorsque je jouais au foot (espérant secrètement que c’est là, improvisant d’envoûtants tangos balle aux pieds, que je ressemble le plus à un argentin), lorsque je lisais le nouveau livre de Richard Millet, chargé de ressentiments mais aussi d’interpellations indispensables, lorsque je déambulais au marché, lorsque je saluais la vieille dame (vietnamienne ?!?) qui habite au début de ma rue, avec qui je n’ai jamais parlé mais dont le signe discret de la main me manque lorsqu’il ne m’est pas adressé.

J’y ai fortement pensé, et c’est là que je me suis dit qu’il fallait que je démêle cela sur le papier, en parcourant l’article que « Libération » a consacré à Carl Bernstein, le journaliste qui, avec son frère de plume Bob Woodward, avait révélé le Watergate, faisant ainsi chuter Nixon.

Bernstein est en France pour la promotion de son livre « Hillary Clinton, une femme en marche », une biographie commencée avant qu’il ne soit question de sa candidature à la maison blanche. Après avoir fait part de sa grande antipathie envers Bush, il parle de « la presse [qui] aujourd’hui ne fait pas son travail », consacrant le triomphe de « la peoplisation, le commérage, la controverse fabriquée. » Jusque là rien de bien nouveau, je vous l’accorde, même si c’est transpirant d’une vérité qui m’agace, c’est la dernière phrase qui m’a titillé : « […] nous sommes dans la presse du plus petit dénominateur commun ».

Je crois qu’on ne peut pas expliquer de manière plus juste cette citation de Nabokov qui m’obsède depuis quelque temps : « La curiosité est la forme la plus pure d’insoumission», et, par extension, ce que j’ai adoré dans « Heimatklänge ». Ce documentaire, pour moi, la formation intérieure de ses trois protagonistes, c’est exactement cela, la curiosité, donc la recherche de soi, des autres, le besoin de savoir ce qui brûle en nous, enflammé par une infinité de possibles ; mais ici et maintenant, deux détails essentiels qu’il est souvent difficile de considérer à l’ère de la toute-puissance de l’image. Ici et maintenant. Donc loin de ce « plus petit dénominateur commun » qui est partout / tout le temps et qui uniformise même quand il vante la différence.

Refuser absolument de se contenter de ce que l’on nous sert sur un plateau, refuser le « prêt-à-penser », s’autoriser le temps de la réflexion, s’autoriser un « je ne sais pas » ; pas encore ; peut-être jamais, mais j’y réfléchis, oh oui, j’y réfléchis.

Je laisse le mot de la fin à Foglia :

« Je termine par une parenthèse qui n’a rien à voir, juste vous dire attention, ne confondez morale sociale et éthique globale. Ça, de l’éthique globale, c’est pas ce qui manque, y’en a plein partout ces jours-ci, en particulier sur le passage de la flamme olympique. L’éthique globale, c’est cette capacité à se mobiliser pour des causes lointaines, à épouser des religions lointaines. En fait je soupçonne que l’éthique globale, comme les habits pour hommes, comme les jouets et les toasters est désormais manufacturée en Asie. »

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vendredi, avril 11, 2008



"Le néant ne se place au cœur de l'homme que lorsqu'il n'y a pas de coeur."

Romain Gary, Pour Sganarelle

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mercredi, avril 09, 2008

La compensation parfaite


"L'homme propose et dispose. Il ne tient qu'à lui de s'appartenir tout entier, c'est-à-dire de maintenir à l'état anarchique la bande chaque jour plus redoutable de ses désirs. La poésie le lui enseigne. Elle porte en elle la compensation parfaite des misères que nous endurons."

André Breton, Manifeste du surréalisme (1924)

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dimanche, avril 06, 2008

Un bruissement entêtant

"Petites fleurs des voyageurs, petits anges gardiens des talus je ne me noierai pas, je ne me pendrai pas, je ne me tuerai pas. Je créerai quelque chose dans la battement de mon cœur qui m'emportera."

Alors que mon regard se faisait petite plume charriée par le flot apaisant du ruisseau, ce joyeux sentier d’eau que mes yeux aiment caresser depuis le train, me revenaient à l’esprit ces phrases de Maurice Chappaz venues s’échouer dans ma tête peu avant midi. « Le Livre de C », textes et poèmes murmurés en pensant à Corinna Bille, son épouse, décédée en 1989.

L’écho d’une autre lecture enténébrait mon esprit : il faut marcher longtemps, très longtemps, pour que parfois surgisse une seule pensée limpide. Je ne prends pas la peine de l’orner de guillemets, parce qu’elle est inexacte et que je ne sais plus avec certitude qui de Claude Esteban, Philippe Jaccottet ou Gustave Roud, qui m’ont accompagné cette semaine, a formulé cette impression qui m’habitait alors avec force.

Moitié parce que, comme me l’ont dessiné dans les oreilles des lèvres qui m’émerveillent, il est bienvenu de marcher vers son destin, plutôt que d’y courir en prenant le risque de ne pas voir s’éveiller les fleurs ; moitié parce que, soucieux de m’ouvrir à l’avis de chacun, il devient toujours plus difficile de ne pas émietter tout jugement se prétendant définitif.

Des miettes que je recueille dans le creux de ma main pour les offrir à la bienveillance des mésanges.

« L’art est en chacun mais le moyen de l’exprimer avec bonheur n’est donné qu’à ceux qui savent croire et douter à la fois, chercher et attendre, aimer et refuser l’aveuglement. Combien sont-ils ? »

Noyé dans mes références réelles et fantasmées, je me suis dit que déguster le « Petit éloge de la mémoire » proposé par Boualem Sansal serait bienvenu. Je ne m’étais pas trompé.

"On ne peut rien de plus que reconnaître les points apparents, le reste revient à l'imagination, et tout le bonheur est là. Alors, mettons-nous en mouvement, donnons libre cours à nos émois et partons à la recherche de nous-mêmes et de ce que fut notre mère patrie. Quelque part, ne l'oublions pas, nous sommes des chasseurs d'impossible."

Puis le lac a lentement et majestueusement déployé un de ses bras pour me saluer. Ne pouvant pas résister à cet appel amical, je suis descendu du train pour marcher jusqu’à la limite de ce bleu capricieux. La plage m’a embrassé de toute sa printanière nudité.

Les battements de mon cœur d’encre faisaient frémir mes cils.

L’écriture frappait à la porte de l’inexprimé.

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jeudi, avril 03, 2008

Cabinet de curiosités


Bien que souvent un brin rétif lorsqu’il s’agit de me mettre au rythme d’une technologie par trop galopante à mon goût, Internet révèle de petite niches de douceur qu’il fait bon découvrir, au détour d’un des ces arbres trop touffus qui nous sont proposés sur les vénérés moteurs de recherche.

Ainsi de ce cabinet de curiosités, approché il y a peu alors qu’une théière nous accompagnait, le papier et moi, dans notre attente indocile d’un nouveau jour à venir.

Ayant été très touché par un texte déposé hier, j’ai hasardé, aujourd’hui, un commentaire qui me vaut l’honneur d’un billet.

J’en suis ému et me fais donc une joie d’ouvrir de mon côté une minuscule fenêtre sur cet univers foisonnant de vitalité.

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mercredi, avril 02, 2008

Ce peu de bruits


"Et cette sorte aussi de fleur ouverte, grande ouverte, à partir du cœur, que peut être un enfant, sous le même ciel dont le bleu nous déchire."


Philippe Jaccottet

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Jusqu'où encore?!?




"Et si l'âme devait demander: jusqu'où encore?
Il faut répondre: sur l'autre rive du fleuve,
Pas celui-ci, celui qui est juste après."


Alejandra Pizarnik

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