katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, octobre 31, 2007

De la perception comme jouissance

Hier après-midi, une impertinente théière et un capricieux chausson aux pommes animaient le rebord intérieur de la fenêtre près de laquelle mon fidèle fauteuil médite.

Une petite pluie indocile était venue me rappeler que l’automne n’est pas que l’effeuillement pittoresque de couleurs incendiaires.

« Epousailles » d’Annie Leclerc se proposait de composer la musique qui viendrait accompagner ce palpable moment de douceur.

Je m’en remets à Benoît pour la présentation de la dame :

« Aparté : à propos de Leclerc, il faut savoir que c’est une essayiste/philosophe, qui fut de 1967 à 1974 du cercle intime de Beauvoir, dont elle fut violemment expulsée pour cause d’hérésie contre le dogme féministe anti-maternité qui régnait en ces temps, à cause de son livre Parole de femme. Énorme scandale, controverse, puis, silence. […].Parole de femme m’avait marqué parce qu’entre autre, elle y disait quelque chose d’assez subversif, et d’inacceptable pour l’époque et le cercle beauvoirien : on ne naît pas homme, on le devient. »

Avant de commencer ma lecture, regardant distraitement la quiétude de la rue, absorbé par le frétillement de mes papilles gustatives, je pensais à une phrase de Derrida que j’avais lue ce week-end et qui m’avait semblé affligeante.

« Je ne pense pas que quelque chose comme la perception existe ».

Je chassais cette pensée douteuse et commençais ma lecture.

Une page, deux pages, … dix pages.

Je devais bien m’y résigner, mon baluchon rempli d’écrivains et de penseurs amis voyait un nouveau membre le rejoindre.

Ce qui est fou, c’est que, plus les éléments de cet hypothétique pique-nique intranquille sont nombreux, plus le poids se fait léger sur mon épaule.

Je vous en sers quelques tranches pour la route.

« […] ; et voilà que j’étais prise soudain, tout entière surprise dans ma pensée d’apprenti philosophe par l’autre certitude, l’éblouissante, l’obscure aussi : « percevoir est jouir ». Je savais dire enfin, c’était si simple pourtant, si bête, ce que je savais obstinément dans ma tête dure, depuis la plus lointaine enfance : percevoir est jouir. Mais je ne savais pas ce qu’on pouvait en faire ; sinon jouir de savoir enfin le dire. Je consentais parfois à l’étonnement : je lâchais le crayon, je fermais le livre, j’allais vagabonder dehors.

[…].

Pourquoi fallut-il que je concède à la communauté le droit de m’enseigner ce qu’il fallait penser – de la vie, des autres, de moi, de l’amour et du bonheur - , le droit de refouler si loin en moi l’autre pensée qui va de soi ; si loin qu’il me failler pour la rejoindre l’idée fixe du pèlerin et la peine d’un chemin ?

Je vais à l’enfance, non pour fuir l’adulte que je suis, mais pour en parler la voix la plus juste ; voix de l’amour sans lésion, sans frontières, et qui ne cesse de m’appeler comme je l’appelais au cœur inquiet d’un bonheur qui cherche ses mots. »

« Au fond, ce que j’appréhendais intimement c’est que l’amour allait à l’encontre de tout ce dont il était convenu. A travers la façon dont les hommes vivaient, dont la famille et l’école tournaient, dont les adultes se plaçaient vis-à-vis des enfants, les riches vis-à-vis des pauvres, les cultivés vis-à-vis des ignorants, se diffusait un ensemble de représentations très rigoureuses, non pas suggérées mais bel et bien affirmées, portées, soutenues, constamment garanties par le réel. Les propos des parents, conseils, exhortations ou remontrances, l’enseignement des maîtres, les textes que l’on donnait à lire, ne faisaient jamais que répéter, brodant, ajoutant, complétant, précisant, conjuguant sur d’autres modes, ce que l’on savait déjà, et fermement, sans même qu’on l’eût entendu dire. Rien ne pouvait fendre, déchirer, éventrer le texte du déjà-dit, du toujours-dit, que la saisie d’amour et son soudain emportement. Rien n’avait véritablement quelque chose à dire, quelque chose d’inouï, d’inédit, d’extraordinaire que la brûlure fulgurante d’amour. Car en elle-seule, miracle impénétrable, les liens se dénouaient, les ordres, rôles, sexes et hiérarchies, se dérobaient, l’autre et le moi se confondaient, soit que l’autre eût englouti le moi, soit que le moi eût envahi l’autre, soudain on entendait ce que c’était que vivre ; enfin, on y était… »

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dimanche, octobre 28, 2007

Barbara

« Je n’ai pas le talent de vivre avec quelqu’un, mais j’ai celui d’être sensible à tous les autres. Or, je crois qu’on est plus attentif aux autres et à leur souffrance quand on vit à l’écart que lorsqu’on vit parmi eux, quand on reste éveillé la nuit que lorsqu’on dort. Mon instinct de préservation me rend à la fois plus forte et plus disponible. Ma solitude apparente est pleine de gens que j’ai appris à écouter aussi, comme mon silence, à Précy, est plein de cris d’oiseaux. »

Je viens de passer trois jours avec Barbara.

Pour m’aérer, entre les épisodes de cette existence troublante et troublée, je suis allé courir dans les gorges du Gottéron (http://www.sof.ch/sof/sofotos/).

« Dans l’intimité, je parle mieux aux arbres qu’aux hommes. Et quand je me frotte à eux, les arbres me comprennent et me connaissent mieux que les hommes. »

Quand je suis revenu de Paris, j’avais glissé dans mon sac le DVD d’un de ses concerts datant de 1981, à Pantin.

J’avais déjà son intégrale, mais je dois avouer que j’avais de la peine à écouter ses dernières chansons, la voix, cette onde de choc qui me "chair de poule", n’y était plus, ou plutôt si, elle était toujours là, forcément, mais une fissure l’accompagnait, une brisure que mes oreilles ne parvenaient pas à apprivoiser. Je passais à côté.

Comme elle s’en est allée en 1997, que son dernier album datait d’une année plus tôt, je pensais que, au début de la décennie 80, ce qu’elle appelait merveilleusement sa « musique de l’âme » devait encore être intacte.

Eh bien non.

Alors j’ai voulu comprendre, m’immiscer dans cette vie, comme je l’ai fait avec Brel et Gary, pour voir un peu plus clair sous la silhouette invariablement noire, pour savoir si, ainsi que dans la foi et la soif immenses de mes deux monstres sacrés, j’y trouverais une confirmation de mes envies, une invitation à piétiner allégrement le simulacre proposé sur les tableaux d’école.

Il y une autre raison pour laquelle je me suis laissé emporter par une biographie, c’est que, depuis « Train de nuit pour Lisbonne », j’avais de la peine à « entrer » dans un autre livre.

M’asseoir sur une balançoire géante entre Bruxelles et Paris, avec Barbara me poussant dans le dos, était assurément la meilleure idée que je puisse avoir. Sa vie, ses pudeurs, ses emportements, illustrent à merveille cette phrase soyeuse de Pascale Mercier :

« L’intimité est notre ultime sanctuaire ».

Je me plais à croire que, si le voisin très sérieux à qui j’essaie désespérément de faire signe lorsque nous lisons devant nos fenêtres respectives, m’a regardé lorsque je tournais les pages, il a vu, dans les vagues de mes yeux, scintiller les miroitements déposés par un soleil noir.

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mercredi, octobre 24, 2007

« Puis j’ai eu peur de la pluie, peur qu’elle délave les images bleues et rouges. Ce n’était que m’ébrouer pour mieux replonger. Et, depuis, je navigue sur deux lacs en même temps, celui d’aujourd’hui, impraticable, et celui des bateaux à vapeur dont le sillage s’est refermé. Cependant des envies m’agitent : il y a d’autres paysages qui veulent prendre place en moi. Ma nostalgie n’est pas accomplie. »



"La Bataillère"



P.-L. Ellenberger

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mardi, octobre 23, 2007

Budget d'assistance

Peu inspiré, plutôt aspiré par l’appel d’air qu’occasionne la montée en puissance de la Bêtise, expirée ma volonté de dialoguer avec les têtes en chocolat, j’ai très envie, avant de m’envoler, dans une, deux ou trois années, sous d’autres cieux chargés en nuages d’encre, m’enfermant alors encore plus dans un ermitage serein, de faire tout mon mince possible pour que se mette définitivement sur pied le projet-pilote dans le cadre duquel j’assiste Béatrice depuis un peu plus d’une année.

Le principe en est simple, permettre aux personnes handicapées qui le souhaitent et qui s’en sentent capables, de prendre véritablement en main leur quotidien. Pour ce faire, ils reçoivent, en fonction du degré de leur handicap, un montant mensuel qu’ils utilisent pour engager les assistants de leur choix afin de les aider dans tous les domaines où ceci est nécessaire.

Il est donc envisageable d’éviter une mise en institution, voire d’en sortir pour ceux qui n’avaient jusqu’alors pas d’alternatives, ainsi que de valoriser les gestes de proches, famille ou amis, qui rendaient possible le maintien à la maison.

Tous les détails techniques sont disponibles sur le site officiel du projet : http://www.budgetdassistance.ch/fr/Untermenu/ArtikelAll.asp?all=all&ObjektArtNr=4&RootNr=4

Un élément qui me semble primordial est que ce concept a été entièrement pensé et réalisé (ce qui suppose des années de travail) par les personnes qui sont directement concernées.

Sous nos braves latitudes technocratiques où des personnes réfléchissent et édictent des règles sur des réalités dont ils sont complètement déconnectés, et où tout le monde, dans son petit chez-soi, a son mot à dire sur des objets ne le concernant pas directement (hormis au niveau du sacro-saint porte-monnaie), peut-être serait-il bienvenu de considérer les paroles de ceux qui sont au centre d’un questionnement se rapportant à leur existence et pas uniquement au souci du maintien de leur pouvoir d’achat, ou de leur travail.

Parce que c’est un des points où le bât blesse, certains professionnels craignent pour leur emploi, aussi bien au niveau des soins à domicile que des institutions.

Ceci représente tout d’abord un déni flagrant de la réalité actuelle, puisqu’il n’y a pas assez de places dans les établissement spécifiques, ainsi qu’un refus de voir que le projet, bien que s’adressant à tous les handicapés, ne serait pas adopté par tous, parce qu’il s’agit d’une charge de travail considérable. La personne handicapée devient alors responsable d’une PME.

Mais ceci est un détail, parce qu’il est tout de même aberrant, et terriblement indicatif, de constater que des gens qui travaillent dans un domaine où le but est d’offrir la meilleure qualité de vie possible à des personnes physiquement diminuée, préfère ne pas entendre ce que leur disent certains de leurs « clients », potentiels ou pas, de peur de ne plus trouver d’embauche.

Ce n’est même plus le chat qui se mord la queue, c’est celui qui a oublié qu’il en a une et qui ne la voit même plus dans un miroir.

En attendant de savoir ce que ces braves politiques vont décider de faire du projet, il est possible d’apporter son soutien en signant la pétition qui se trouve sur cette page : http://www03.imageweb.ch/cap%2Dcontact/fr/Untermenu/ArtikelAll.asp?all=all&ObjektArtNr=98&RootNr=4&ZtNr=101

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Divine Helvétie


Hier matin, alors que je parcourais le journal qui décortiquait les résultats peu surprenants de ce dimanche électoral, je regardais surtout les photos, les visages dépités des socialistes ou la joie manifeste de l’UDC et des Verts, je découvrais des personnes, des bons Suisses qui avaient voté, agitant des drapeaux ou des fleurs comme s’il s’agissait d’un match, de foot ou autre, peu importe, un de ces trucs où on oublie et enterre sa pesante solitude.

J’ai beaucoup secoué la tête, me demandant ce qui pouvait bien me rapprocher de cette liesse ou de cette tristesse populaire, de cette course au pouvoir qui a vu le « parti papier toilette » tout essuyer sur son passage.

Effaçons ces « traces de freinage » occasionnées par les réfugiés politiques que les slips helvétiques ont trop longtemps laissé prendre forme à cause d’une naïve politique d’asile.

On veut de nouveau de l’Ovomaltine dans nos culottes !!!

Eh oui c’est ici, dans « mon » pays, vous savez celui qui, dans son hymne national contient ces mots merveilleux « les beautés de la patrie parlent à l’âme attendrie », tout à fait, c’est dans le texte, « âme attendrie », et le reste est un bouleversant appel à Dieu, l’être suprême qui, attendri, veut probablement que tous les vilains méchants décampent au plus vite.

Dans l’après-midi, j’ai envoyé un petit texte à Benoît et Céline, quelques paragraphes sur Jésus, personnage qui apparaît souvent dans les textes de Gary, dans mon message, je leur mentionnais des propos d’Ivan Illich sur la réponse que donne Jésus à un homme de loi qui lui demande comment définir « son prochain ».

Ce dernier utilise alors la parabole du Samaritain (dans laquelle les officiels religieux en prennent pour leur grade puisqu’ils changent de côté de la route lorsqu’ils aperçoivent une personne agonisante, alors que celui qui passe à leur suite va relever et soigner le type qui s’est fait détroussé), pour illustrer le fait que :

« Mon prochain est qui je veux, et non qui je dois vouloir. Rien ne peut catégoriser qui devrait être mon prochain »

Ceci peut paraître évident, pourtant cet élan, cette disposition à l’espoir, la fraternité, la foi et la charité, ayant été institutionnalisés, on est rentré dans une sorte de totalitarisme du cœur et de l’esprit qui est en complète contradiction avec le message initial.

Ce qui est bien, c’est que maintenant, grâce à Christophe Blocher et ses petits caporaux, on a plus besoin se demander qui on a l’obligation d’aimer ou de protéger, ce qui commençait à devenir larmoyant, mais la question devient qui est-ce que l’on doit détester et chasser de notre nation de citoyens élus, c’est tout de même plus stimulant.

« Une bonne guerre il leur faudrait à ces jeunes !!! »

Voilà qui facilite les choses et qui a le mérite d’adapter à notre jolie confédération cette célèbre, alors que lamentable, phrase de JFK :

« Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays. »

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jeudi, octobre 18, 2007

Mangeons nos bulletins de vote que Diable!!!

Un week-end d’élections se profile, « il faut voter au lieu de râler, nous avons la chance d’être une démocratie directe », et patati et patata.

Cette fois, comme d’habitude, j’ai secoué les pages dans tous les sens, j’ai bien ri en regardant les affiches où s’étalent le très démocratique culte de la personnalité (comment peut-on un jour envisager de poser de cette manière, accompagné de slogans rivalisant de ridicule, je crois que je ne comprendrai jamais ?!? Une personne m’a dit qu’elle avait reçu une liste du parti de son psy, ce dernier avait entouré sa tête au cas où elle ne le reconnaîtrait pas !!! ), mais je n’y ai trouvé personne qui proposait de prendre nos certitudes par les pieds et de les suspendre au plafond.

Alors j’ai déchiré mon enveloppe et tous les sourires entendus qui s’y cachaient.

La semaine dernière, trois jeunes en contact avec mon entourage plus ou moins proche ont décidé de mettre eux-mêmes un point final à la mascarade que nous vivons.

Deux ponts et une corde, équations absolue sans inconnue.

Je ne sais pas s’il s’agissait de problèmes de conscience écologique, si c’était la surpopulation étrangère qui les indisposait, ou alors s’ils redoutaient déjà de payer trop d’impôts, mais j’ai comme l’impression que leurs interrogations se situaient ailleurs.

De ces questions sans réponse, ou avec justement énormément de réponses, mais sans certitudes, ces doutes humains que notre société a décidé de considérer comme inintéressants, puisque non productifs.

Homo economicus, ben voyons, évacuons l’humain, je vous prie, nous aimerions de l’économique.

Qu’à cela ne tienne, une journée chez Ikea et je ferai mienne cette expression allemande que Béatrice m’a apprise : « Ich heisse Hase und ich weiss von nichts ».

Je m’appelle Lapin et je ne suis au courant de rien.

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mardi, octobre 16, 2007

La pesanteur et la grâce

« Le moteur de l’activité, dans le monde occidental, est fort simple, simpliste même ; il est établi sur un manque que l’on arrive jamais à combler, ce qui entraîne une frénésie dans l’urgence. Partout où elle passe et sévit, la pensée occidentale crée le manque sous ses sabots, tout en prétendant le satisfaire. […] C’est à travers une activité purement égoïste et parfaitement contraire au but qu’elle se propose que nous recherchons un « universel » qui toujours fait défaut. »

Je voulais commencer avec ceci, tranquille le chat, espérant que, placé sous l’œil bienveillant d’un moteur simpliste, j’allais réussir à faire en sorte que ma tête soit un peu moins emberlificotée, coucou grand-maman.

J’avais envie d’appeler ce poste « Ode à Raoul » parce qu’il y a un moment que des propos « chipés » dans un livre de Georges Lapierre (« Le mythe de la raison », éd. de L’insomniaque, joli, joli (« Joli, joli » c’est moi qui rajoute, la maison d’édition s’appelle juste L’insomniaque (Juste Leblanc))) m’avaient fait penser à lui, je vous les copie pour la route, petite aire de repos où dévorer un sandwich, parce que je ne sais pas trop où je vais arriver, malgré mes louables intentions de départ :

« Cette éthique de la reconnaissance mutuelle, du respect de l’autre considéré comme un sujet, et non comme un objet au service de la cause, est incompatible avec le militantisme, ce sous-produit de la pensée dominante.

Sorti tout armé de la pensée occidentale, le militant, avec des gestes de matamore, n’en critique en fait que le particulier pour en sauvegarder l’essentiel, le sens de l’Etat. Le militant est un homme de pouvoir. »

Donc ça se complique déjà, avec mes parenthèses volantes qui peuvent être considérées comme un hommage au titre du chapitre dont est tiré ce passage, à savoir « Digressions indiscrètes à propos d’un problème de traduction » (Joli, joli) et avec le contenu qui, je vous le concède, est plus théorique que littérairement éblouissant.

En fait, j’aurais pu ne garder que la dernière phrase, qui résume ce qui me dérange dans certaines attitudes que je peux deviner quotidiennement et dont Raoul, bien qu’ayant une vie où ses idéaux prennent joliment place, se dispense avec grâce (souvenez-vous en de ce petit mot, parce qu’après mes divagations sur la noblesse, celui-ci va aussi avoir le droit à ses fleurs), mais l’explication qui précède me réjouit, notamment le fait d’éclairer que le militantisme, et donc de ce fait tout ce qui se rapproche du politique, est tout simplement contraire à une éthique de la reconnaissance mutuelle.

On peut toujours garder ça dans un coin de sa tête pour la prochaine fois où arrivent en face de notre petite personne pressée des perles du genre : « Vous vous rendez compte qu’il y a des gens qui n’ont pas d’ordinateur ? », « Vous savez que la forêt tropicale est menacée ? » ou « T’as pas deux balles ?!? ».

« Mais, moi, le capitalisme je le lis à la Stephen King : c’est une bête qui travaille à l’accumulation des choses dans la folie. […] Cette bête-là, elle est capable de se régénérer tout le temps, de gagner de l’argent avec les produits bio, avec les produits équitables, avec le social, avec les pauvres. Cette bête est capable de prendre toutes les formes. […] Tu rencontres quelqu’un qui est dans l’altermondialisme et tu te rends compte que derrière lui il y a toute une structure d’entreprise, que Greenpeace fait maintenant du coaching sur comment faire une bonne intervention… On va vendre des stages pour être dans la contestation. La bête est tout le temps là. »

Ce sont des paroles de Jean-Pierre Ostende que j’ai lues hier en petit-déjeunant (la même chose que mon grand-papa de Tunisie (« Azizi »), un immense bol de café avec plein de morceaux de pain dedans, des « trempettes », re-coucou grand-maman (la « Cricri »). Sauf que lui y mettait l’équivalent d’un sucrier, et qu’il mangeait le gras des moutons à même la bête. Miam. Il a vécu jusqu’à plus de 90 ans, mais oui).

Cette bestiole sortie de l’imaginaire de l’écrivain qui m’a, le premier, donné envie de lire (des potes m’avaient offert « Le Fléau » pour mes 13 ans, plus de 1500 pages, je les avais remercié en pensant que je n’allais jamais le finir. Deux semaines plus tard j’avais vécu une de mes premières expériences d’immersion complète en cerveau étranger. Et voilà ce que ça donne, on se retrouve, un peu plus de 10 ans plus tard, à écrire des stupidités sur Internet et à se lever à 4h du matin avec l’impression que le temps pour lire manquera toujours), cette bestiole, donc, était coincée entre deux neurones alors que je lisais, assis sur un banc du jardin botanique, un chat sur les genoux, et c’est là que Simone Weil m’a fait cadeau de ceci :

« Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut.

La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide. »

Il est donc là, le problème, nous manquons cruellement de grâce.

Merci, Raoul, du haut de ton incomparable humilité, de me le rappeler aussi souvent.

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samedi, octobre 13, 2007

Une journée qui s'étire

« Greogorius tourna les talons et marcha lentement vers le pont de Kirchenfeld. Quand le pont fut en vue, il eut le sentiment étrange, aussi inquiétant que libérateur, qu’à l’âge de 57 ans il allait pour la première fois prendre sa vie en main. »

A la fin de chaque chapitre, je lève la tête pour contempler les miroitements qui patinent sur la Sarine et pour m’imprégner pleinement du début de cette histoire qui, immédiatement, me ravit.

Gregorius n’est pas encore parti pour Lisbonne, mais la tension est déjà bien présente, les pages défilent.

« Le véritable metteur en scène de nos vies est le hasard – un metteur en scène plein de cruauté, de miséricorde et de charme captivant. »

Il y a un livre, celui, merveilleux, que je viens de commencer, et il y a un livre dans le livre, fruit d’une découverte de Gregorius qui, ajouté à la rencontre d’une troublante portugaise, pousse ce brave type à prendre le train pour un long périple vers l’inconnu.

De cet ouvrage, Gregorius ne connaît rien, mais, lorsque le bouquiniste chez qui il le trouve lui en traduit l’introduction, il a le sentiment qu’il a été écrit pour lui, alors il l’achète et il décide qu’il tient à présent, dans ses mains, dans une langue inconnue, un objet indispensable pour « prendre enfin sa vie en main ».

Ceci semble mettre en perspective une anecdote que Denise (celle qui a postulé dans le livre des records du monde pour les commentaires de blog les plus longs) me tiendra, même heure et même endroit (inimitable terrasse du café du Belvédère), le lendemain de ma lecture. Denise a tout d’abord étudié la biologie à l’université, avant de suivre des cours à la Haute Ecole Pédagogique pour enseigner, profession qui n’a pas d’avantage rempli ses attentes et qui l’a amenée, une nouvelle fois, à changer d’orientation.

Verdict sans appel d’une personne à qui elle expliquait ce cheminement : « Alors tu es instable ?!? ».

Je ne sais jamais si je dois rire ou pleurer lorsque la stabilité, la responsabilité, la réussite et tous ces mots beaucoup trop clinquants à mon goût sont accolés à l’acceptation d’une vie où plus rien ne se passe que le même film muet dans lequel, lorsque les images s’épuisent, on s’invente des moyens de remettre le son. Un enfant par exemple.

« Gregorius ne devait jamais oublier cette scène. C’étaient ces premiers mots portugais dans le monde réel, et ils agissaient. Que des mots puissent provoquer quelque chose, mettre quelqu’un en mouvement ou l’arrêter, le faire rire ou le faire pleurer : enfant, déjà, il avait trouvé cela énigmatique et il n’avait jamais cessé d’en être impressionné. Comment les mots parvenaient à ce résultat ? N’était-ce pas comme de la magie ? En ce moment, le mystère semblait plus grand que jamais, car c’étaient des mots dont il n’avait encore aucune idée hier matin. »

Samedi matin, je suis assis au Café de la Marionnette, endroit miraculeux bercé par Beth Gibbons. Sur le tableau noir qui me fait face est noté cette pensée exquise de Sidney Smith : « La soupe explique la moitié des émotions de la vie ».

Je n’ai pas pianoté sur mon clavier depuis mardi matin à l’aube, j’avais alors commencé à rassembler les ondes qui avaient parcouru ma tête le jour précédent.

Lundi, en fin d’après-midi, mon regard se perdait dans l’entame de la Vallée du Gottéron, je voulais garder en mémoire les éléments troublants des heures fraîchement écoulées, alors j’avais déposé, par l’intermédiaire d’un léger frottement de l’extrémité de mon pouce et de mon majeur, une pincée de mots sur le carnet qui m’accompagnait.

Je crois que mon blog, ce minuscule balcon donnant sur une des chambres de l’appartement infini abritant ma tête et ses égarements, va désormais ressembler à cela, une coquille d’escargot qui roule, parfois s’arrête (lorsqu’un semblant de cohérence peut-être attribué à mes étourdissements) mais souvent se contente de petits sauts (lorsqu’il ne s’agit que de l’envie de donner à voir un élément troublant, intriguant, dont je ne sais pas vraiment quoi faire ni quoi penser mais qui s’impose à moi).

Un petit atelier où coller mes esquisses, où portraiturer, où raturer, un endroit que j’espère toujours chaleureux au sein duquel vos contributions sont bienvenues, des petits « gâteaux maisons » pour accompagner le thé et le café que je me fais un devoir de tenir toujours à disposition.

« Maintenant enfin il me semble que je se sais ce qui me force à reprendre sans cesse le chemin de l’école : je voudrais revenir à ces minutes dans la cour, pendant lesquelles le passé était tombé de nous sans que le futur eût déjà commencé. Le temps s’arrêtait et retenait son souffle comme il ne la plus jamais fait par la suite. »

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mercredi, octobre 10, 2007

De la Suisse dans les idées

Un banc et un rayon de soleil bavardent. Intrigué, je m’assieds sur une chaise toute proche, tends l’oreille, il est question des infidélités d’un moineau, intimité qui m’émeut mais ne me regarde pas, alors je remets mes écouteurs et déplie le journal.

Editorial du « Temps » du lundi 8 octobre 2007, par D. S. Miéville:

« […] Le monde s’intéresse pour une fois au Sonderfall suisse en période électorale et s’étonne de ce qu’il découvre, bien loin de l’image idyllique d’un pays faisant cohabiter dans l’harmonie plusieurs langues et culture ayant perfectionné à l’extrême l’exercice de la démocratie. De quoi avons-nous l’air en effet ? […]. Si l’on laisse le son en coupant l’image, c’est à peu près le tableau clinique d’une république d’Asie centrale qui se dégage. L’image vaut-elle mieux quand l’émeute est dans la rue et devant le Palais du parlement, la police absente et ridicule, la sécurité incapable de parer l’arrivée d’émeutiers annoncés depuis des semaines et les braves gens, comme toujours et comme partout, pris en otage ? »

Bon des braves gens, je ne sais pas trop ce que c’est, et je ne suis pas certain que ce soit les mêmes en Asie centrale ou à Unterwald, mais qu’à cela ne tienne, il y a des remous dans notre mollassonne Helvétie. A Berne, samedi dernier, il y a eu de la castagne.

D’un côté, le parti suisse né des couches culottes de Guillaume Tell, de l’autre, des amis des bisounours venus spécialement des nuages pour exprimer leur mécontentement aux premiers nommés.

Venus pimenter et donner dimension humaine à ce tableau où la fiction dépasse la réalité, des individus armés de pierres et de toute la puissance de leurs cerveaux d’acariens.

Donc dérapages.

Et la Suisse se réveille avec la gueule de bois, ce qui est somme toute assez logique au vu de la consommation quotidienne des gens qui la composent.

Cette journée surréaliste dans notre belle capitale me fait penser que Gary, qui y a vécu 18 mois d’ennui à l’Ambassade de France en 1953, en donne dans « La nuit sera calme » une définition qui s’applique assez bien à cette étrange journée :

« L’effet que Berne peut faire aux gens, c’est tout à fait bizarre. C’est certainement le lieu le plus mystérieux au monde, une espèce d’atlantide qu’il reste à découvrir. Tu sais, un de ces endroits où tout se passe toujours ailleurs. »

J’épluche distraitement le reste du journal, ces divagations sur Berne et les paroles de Lobo Antunes m’ont donné envie de commencer un roman que j’ai acheté à Paris : « Train de nuit pour Lisbonne » de Pascal Mercier, je sais juste qu’il s’agit d’un professeur bernois qui décide de tout laisser tomber pour s’en aller à Lisbonne.

J’endosse mon sac pour rentrer chez moi, c’est maintenant Collette Fellous et ses Carnets nomades qui vont rythmer mes pas.

Arezki Mellal, un auteur algérien, met en avant quelque chose qui me plaît beaucoup. Selon lui, ce qui signe la défaite de l’islamisme dans son pays, c’est la puissance de la résistance individuelle, de la répétition de gestes quotidiens en désaccord avec les doctrines en vigueur. Ce n’est pas la mise sur pied d’une organisation, d’un front de refus solidaire, mais simplement le fait que chacun, devant sa porte, au tournant de sa rue, refuse à sa manière une partie de l’oppression. Une mèche de cheveux qui dépasse, un sourire (je vous « colle » le lien sur un article de Rima Elkouri (non, ce n’est pas mon nom en verlan !), elle y parle du voile, mettant en évidence toutes les nuances que l’on manque souvent de soulever lorsqu’il s’agit de ce sujet brûlant : http://www.cyberpresse.ca/article/20070924/CPOPINIONS05/709240478/6751/CPOPINIONS05).

Je pourrais aller dire ça à ce merveilleux Couchepin la prochaine fois qu’il se plaindra qu’un des problèmes actuels, en Suisse, c’est que la bonne volonté peine souvent à s’organiser en institutions, que cela reste des élans qui peuvent s’essouffler très vite.

Bien sûr, mais c’est ce souffle individuel qui fait la différence, ce souffle atomique qui façonne la valeur, loin des souffleries perfectionnées de cheminées sans âme.

Les institutions pérennisent, très bien, passons-nous donc du Père et des pères sentencieux.

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mardi, octobre 09, 2007

Une journée fractionnée...

Au loin entends-tu le bruit qui court ?

Au point juste au point du jour

A deux pas de chez toi

A deux pas de chez moi


Kerenn Ann accompagne les premiers instants d’une nouvelle semaine qui va bientôt commencer à se débattre, ici, ailleurs, partout.

En se levant au petit matin, au tout petit matin, impression de pouvoir regarder plus sereinement cette agitation à venir.

C’est d’abord une sensation encore floue, pourtant, assez vite, plus les minutes s’amoncellent, plus s’impose le sentiment que je vais au devant d’une journée où tout sera matière à écrire.

Je termine « Loin de Veracruz », un livre de Villa-Mattas dont il ne me restait plus qu’une cinquantaine de pages mais qui s’était, depuis longtemps, dissimulé sous d’autres frères d’étagère.

Comme à sa magistrale habitude, cet écrivain espagnol tisse une histoire où toute réflexion se voit éclairée, ou noyée, par une relation obsessionnelle à la littérature. Un des personnages, souvent le narrateur, alimente chaque situation d’une citation de circonstance, ce qui pourrait paraître indigeste ou pompeux, mais l’humour de l’auteur écarte toujours cette possibilité.

Le rire, le décalage d’un des protagonistes, l’omniprésence d’événements invraisemblables, font la différence entre plate érudition et mise en question permanente de la pertinence du savoir sorti des livres.


Au loin on voit les neiges qui fondent

Au coin juste au coin du monde

A deux pas de chez toi

A deux pas de chez moi


Keren Ann, en boucle, murmure depuis le coin de son monde, berçant ce début de journée où, j’en suis à présent convaincu, je vais me sentir dans la tête déjantée de Villa-Mattas, membre émérite de ma famille d’écrivains.

Je suis parti en avance pour aller me faufiler entre les merveilles du jardin botanique, charmante promenade matinale motivée par une raison peu poétique : vider le petit amas de déchets organiques constitué par épluchures et autres délices, reste des petits plats mijotés dans ma cuisine nouvellement investie.

J’écoute alors Antonio Lobo Antunes (émission « podcastée » ou, comme je l’ai entendu dire par un vaillant mais peu motivant défenseur de la langue française : ballado-diffusée. Mais oui, je vous jure que c’est vrai.), captivant auteur portugais qui s’exprime ici dans un français superbe, saupoudré d’un charmant petit accent.

Terminée ma première minuscule besogne du jour, je me laisse secouer par les propos de Lobo Antunes. Des lettres écrites à sa femme entre 1971 et 1973 ont été traduites l’année dernière, il aurait préféré qu’elles ne le soient qu’après sa mort, mais ses filles, qui les ont découvertes dans une male, ont insisté pour qu’il n’attende pas, arguant que, de cette manière, leur mère disparue prématurément serait encore en vie.

« Alors vous comprenez bien que je ne pouvais pas refuser »

Il y a l’amour, dans cette correspondance, mais il y a surtout, entre les lignes, l’aperçu d’une période passée sous silence pendant longtemps, celle des guerres coloniales portugaises, en Angola, au Mozambique et en Guinée.

Je suis concentré sur la fin de l’entretien, si une personne me regarde, dans ce genre de moment, elle doit probablement se demander s’il s’agit d’un début de crise d’épilepsie. Regard dans le lointain, corps immobile.

Mes yeux sont en fait fixés sur une dame très âgée qui traverse la route, ce qui lui demande un effort énorme, chaque pas semblant devoir être le dernier. Pendant ce temps, Lobo Antunes explique que, en tant qu’officier, il a eu le droit à un mois de permissions durant ses trois ans, mais que cela s’était avéré encore pire, il préférait y retourner, attendant que tout cela finisse pour de bon.

Il n’arrivait pas à profiter du présent, la guerre, cette guerre qui lui avait déjà enlevé un cousin et dont il ne pouvait pas, ne voulait pas parler avec son entourage, brûlait le reste de son existence. Il ne pourrait recommencer à vivre, vraiment, qu’après, pas d’intermède possible.

Alors il compte les jours qui le séparent de son retour sous le drapeau, ridicule fierté nationale.

30, 29, 28,…

Plus qu’un mètre et elle sera sur le trottoir qui semble la toiser de sa petite hauteur.

Je l’observe, voyeur qui n’en est pas un puisque sa détresse s’expose aux yeux de tous ceux qui composent le tourbillon par quoi elle ne peut plus se laisser emporter.

L’écrivain portugais a fini d’égrener ces nuits hors du monde. Et elle, quels ont été ses combats ? A-t-elle vécu une correspondance enflammée ? Se souvient-elle de ce qui rythmait son quotidien au début des années 70 ?

Questions ridicules, peut-être, qui envoient dans ma tête une autre chanson de Keren Ann, une sorte de vieille carte postale mise en musique :

Surannée

Comme une ballerine

De l'Opéra Garnier

Indémodable mais,

[…]

Souvenir d’un souvenir


Un banc et un rayon de soleil bavardent. Intrigué, je m'assieds sur

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jeudi, octobre 04, 2007

Douce mélancolie

Hier après-midi, arrivant depuis Fribourg ensoleillée, j’ai une nouvelle fois pu constater à quel point Yverdon et ses alentours se cartonnent fréquemment dans le brouillard, habitude bien involontaire qui rend cette région moins accueillante qu’elle ne sait l’être quand on connaît les charmes.

La température tout de même clémente m’a permis d’exécuter mon projet du jour : aller faire mes adieux saisonniers au lac.

J’en ai profité pour lui présenter mes excuses, trop peu de fois, durant cet étrange été 2007, je m’en suis habillé, lui faisant des infidélités ou le snobant même, par moment, préférant me démener sur un terrain de basket plutôt que de me plonger dans cette eau où je me sens pourtant, privilège rare, entièrement compris et exprimé.

Les courtes et froides journées qui s’annoncent vont me permettre de lire et d’écrire plus que je ne le fais lorsque le soleil est roi, ce qui m’enchante, mais, pour jouir pleinement de cette mise entre parenthèses de mes activités « en société » (vraiment ?!?), encore faut-il qu’une santé de fer m’accompagne ; rien de tel, dans cette optique, qu’un bain revigorant dans un lac joueur débarrassé de sa mollesse chaleur estivale, et que beaucoup de thé au miel.

Depuis que je suis revenu de Paris, une mélancolie passagère m’enveloppe de toute sa langueur, sensation loin d’être désagréable en ce qu’elle m’invite, encore plus qu’à l’habitude, à d’incessantes rêveries, mais ressenti qui, me donnant l’impression d’être en permanence ailleurs, me pousse à éviter de côtoyer mes connaissances, craignant de les blesser par une de ces absences manifestes que la présence physique peine à masquer.

J’écris ces paragraphes brumeux depuis le café de l’Hôtel de Ville, bâtiment qui sert d’entame à la rue où je vis depuis peu et qui, du côté qui surplombe la Sarine, semble suspendue par une grâce divine qui s’apparente à un défi aux peu imaginatives lois de la gravité.

Ottis Reding fredonne « My girl », de somptueuses photos en noir et blanc d’un alpage dansent sur les murs qui m’entourent, sur chaque table trône des roses qui semblent m’observer attentivement, se demandant ce que je peux bien écrire sur l’étrange outil qui me défie et qui se marie si mal avec cet intérieur tout de bois vêtu.

Le patron vient me faire savoir qu’il est désolé parce qu’il n’y a pas de connexion internet, je lui réponds que c’est plutôt moi qui devrait lui demander pardon d’ancrer dans les XXième siècle cet endroit qui ne demande pas mieux que d’en rester le plus éloigné possible.

Un calepin et des livres se fondront beaucoup mieux dans le décor.

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mardi, octobre 02, 2007

To be noble or noble to be

Cette après-midi, invité par une agréable température, je suis allé faire la sieste sur un banc délicieux depuis lequel trois pas suffisent pour sauter dans la Sarine ; le sentier qui y mène est sablonneux, il suffit donc de se déchausser pour avoir droit à un moment de bonheur parfait.

Un mot, cueilli dans le journal ce matin même, s’accrochait à mes pensées : noblesse.

Ma sœur l’avait utilisé, il y a peu, pour me parler de son impression après qu’une de nos connaissances communes s’étaient exprimées lors d’une assemblée. A cette occasion, Leila m’avait dit : « Le terme va te faire sourire, mais il m'a semblé qu’elle manquait de noblesse », j’avais trouvé, contrairement à ce qu’elle pensait, qu’il reflétait très exactement l’impression que j’avais ressentie.

Ce n’est sans doute que le révolutionnaire ensommeillé que j’abrite qui ne se serait pas permis pareil emploi.

Aujourd’hui, je dois bien avouer que j’étais beaucoup plus perplexe quant à la pertinence de son expression, il sortait de la bouche de Claude Nicollier, astronaute vaudois.

Il était question d’une possibilité qu’explore la NASA pour réussir à « dévier légèrement la trajectoire d’un géocroiseur menaçant la Terre. Ce projet est d’une grande noblesse, car il pourrait faire toute la différence entre la survie et la mort de l’humanité ».

Là, il y avait plus qu’un double fatigué qui ressentait un désaccord, surtout lorsque, quelques lignes plus loin, le brillant monsieur nous apprenait qu’il espère vivement que les vols orbitaux pourront bientôt être proposés au public.

Ceci m'a fait penser à cette phrase de Flaubert que j’aime beaucoup :

« Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois ».

Je me suis dit que j’allais voir ce que notait Wikipedia à ce sujet (http://fr.wikipedia.org/wiki/Noblesse), mais j’ai vite dû constater que je faisais fausse route, ce n’est pas sur internet que je vais trouver pourquoi je suis, souvent, pareillement ringard.

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