katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

jeudi, janvier 29, 2009

Pour Sganarelle

J'ai à nouveau de la visite, aujourd'hui, alors je ne vais sans doute pas être très actif ces prochains jours.

Comme suggéré par ce brave Raphu, je vous laisse sur un horizon plus dégagé qu'hier.

Avec le plus beau déroulement de fraternité qui soit.

Je ne me lasse pas de cette partition apaisante:


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mercredi, janvier 28, 2009

La courbature, Wajdi Mouawad

Alors voilà, cela fait plusieurs fois que je m' en réfère à ce texte qui, véritablement, me poursuit.

Je me vois encore, en train de faire de la comptabilité (oui, oui, je vous promets qu'il y a eu des gens assez inconscients pour me confier ce genre de mission...) pour l'Office d'accueil des requérants d'asile, à Neuchâtel, je m'étais permis un petit crochet sur remue.net, et là, en pleine face. Rien d'autre à dire.

C'est un texte qui prend encore une autre dimension, lu à haute voix.

Alors voilà, je ne connais pas personnellement le monsieur pour lui demander de mettre sa propre lecture en ligne, je me permets donc cette petite appropriation.






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mardi, janvier 27, 2009

Une figure imprévue


J’ai pris goût au voyage en solitaire en allant à Florence, en 2000. J’avais pourtant fait, dans le train de nuit qui partait de Lausanne, une rencontre plutôt déstabilisante.

Comme je m’y étais pris le jour même, j’avais dû réserver dans les compartiments à trois couchettes. En arrivant, un Monsieur très bien comme il faut, rentier de son état (je ne le savais pas encore, évidemment), m’avait déshabillé du regard d’insistante manière. J’étais allé lire sur un strapontin, tentant de me convaincre que ce n’était qu’une interprétation déplacée. Mais non, pas du tout, il était venu peu après me proposer, ceci absolument sans préambules ni pincettes, de devenir son gigolo pour quelque temps.

J’avais poliment décliné, mais il s’était tout de même senti obligé de me laisser ses coordonnées. Il serait de nouveau au Palace de Lausanne, quelques mois plus tard, alors si j’avais « changé d’avis quant à mes perspectives d’avenir », il ne fallait pas que j’hésite.

Dois-je préciser que je n’avais pas spécialement dormi cette nuit-là ?



Dans mes périples en solitaire, un élément a souvent préoccupé mes amis : est-ce que cela ne me dérangeait pas de manger tout seul ?

Je pensais à cela, à midi, en parcourant le Matricule des anges, un bol de soupe entre le magazine et moi. Je dois bien dire que non, au contraire, c’est plutôt drôle d’observer ce qui se passe, de se concentrer sur quelque chose (je crois que c’est en courant et en mangeant que je réfléchis le plus). Et j’ai fait de bien agréables rencontres, de la sorte ; parce que c’est intriguant, un jeune homme qui est seul à une table.



Le Matricule de ce mois met Tanguy Viel à l’honneur. En parcourant l’entretien, j’y ai appris qu’il a commencé à écrire parce qu’il s’était, après un déménagement à Brest, senti à l’écart de ses nouveaux camarades. Il avait été élevé avec des principes bourgeois qui ne collaient pas du tout avec l’école publique, il avait mal vécu de se retrouver plongé au milieu des autres.

Je lisais ça en me disant que, personnellement, c’est exactement le mouvement contraire qui m’a amené aux livres et à l’écriture. L’envie de me sortir des lieux où j’avais ma place, parce que cela ne me suffisait pas. Envie de m’extirper d’une sorte de facilité, de me confronter.

Ici, on me considérait, qui plus est de manière positive, par bonheur. Mais ailleurs ?

J’ai copié à Raoul, la semaine dernière, ces mots de Joë Bousquet qui résument, je crois, ce que je tente de vous formuler :

« Échapper à la nécessité d’incarner au milieu des hommes une figure prévue ».

Mais j’ai conscience que si je me sens capable de partir comme cela, c’est parce que je sais que, pour certains, je représente une absence qui est, malgré tout, très présente ; parce que je suis persuadé de connaître quelques phares où venir grignoter du pain quand j’en aurai assez du grand large. Plusieurs portes qui, comme elles l’ont déjà fait souvent, s’ouvriront avec des cris et des rires.



Depuis que j’ai posé le pied sur le sol portugais, il se passe quelque chose d’assez fou, au niveau de ma boîte aux lettres électronique. Des confidences, des encouragements, des questions, … Pas que cela ne m’arrivait jamais avant, non, mais juste avec quelques personnes, autrement cela restait peu fréquent. Là c'est devenu un quasi plébiscite.

Et voilà qu’aujourd’hui j’avais même une surprise « palpable ». Dans l'autre, de boîte aux lettres. Une enveloppe contenant une carte estampillée Champagne, de ma grand-maman, une où se devinait un « marchand de bonheur », envoyée par ma grande sœur, et un dessin de Lulu, mon petit chameau, avec un papillon, une fleur et un soleil.

Je ne me permettrai pas de recopier leurs phrases. J’ai plutôt en tête celle de Thomas, lorsqu’on le complimente. Il fait une petite mimique, rigole et dit :

« Comment ? Je n’ai pas bien compris ce que vous avez dit ?!? »

Alors je lui emprunte sa formule, et la fait mienne pour tous ceux qui me régalent de leurs gentillesses :

« Comment ? Je n’ai pas bien compris ce que vous avez dit ?!? »

dimanche, janvier 25, 2009

toujours un peu de grotesque


« M'en vais aimer la vie en songeant à ton grand sourire. »


Franchement, commencer sa journée avec un coucou dominical comme celui-ci dans sa boîte aux lettres électroniques, cela suffit à reléguer l’acharnement céleste aux oubliettes.


Pour tout dire, cela a même fait lever un vent à détromper un éléphant. Ni une ni deux, les nuages broussailleux qui pensaient prendre leurs aises étaient déracinés.


Il y en a plusieurs, de petits mots-framboises, qui sont venus me caresser dans le sens des étoiles.


Je ne sais pas comment vous le dire autrement qu’en vous le disant, comme dirait un baron de mes amis, mais ça fait du bien, tout simplement.


Requinqué, je me suis allongé pour lire l’ « Eloge de la Folie » d’Erasme. C’est le moment qu’ont choisi deux pigeons pour venir se poser sur le bord de la fenêtre.


« Tous les clébards des environs parlent de toi, alors on est venus voir à quoi tu ressembles. Il paraît que tu dis jamais rien, que tu passes ton temps à lire, écrire et faire des sourires niais. Le tableau est assez fidèle. Allez, salut, tu nous feras signe quand t’auras décidé d’être un peu moins autiste, OK ? »


Voilà ce qu’ils m’ont dit, d’un commun accord.


La théorie de la relativité prenait alors tous sons sens, mais je n’allais ni perdre ma courtoisie légendaire, ni me laisser démonter pour si peu.


Plutôt courir, au hasard.


Je suis arrivé au bord de l’Océan qui était en train de se faire une permanente de tout premier ordre, des énormes bigoudis chevauchaient l’horizon.


Alors que j’étais plutôt content de mes sensations, un chat sur trois pattes est passé à côté de moi, il m’a demandé si tout allait bien, s’il pouvait faire quelque chose.


Là encore, je suis resté très poli.


Peu après avoir essuyé ce nouvel affront, j’ai dû braver les éléments.


Juste avant la gare de Cruz Quebrada, il y a une cuvette. Elle était impraticable, donc je devais relever le défi de passer sur le muret d’une vingtaine de mètres qui la borde. Le problème ? Il s’y s’écrasait, au bas mot, une vague par seconde.


Je vous laisse faire le calcul de la vitesse que je devais réussir à atteindre pour rester en vie.


Le coureur de fond en rééducation devait se transformer en Katchafa Powell, puissance dix.


Eh bien là, je vous le donne en mille, c’est Jules, un pote que je connais depuis tout petiot, qui est apparu pour tenter de me sortir de ce mauvais pas.


« Allez Katch, tu peux le faire ! »


Il avait le poing serré, son poitrail impressionnant était reluisant, il faisait ses petites mimiques qui me transcendent à chaque fois.


Donc je me suis lancé. J’ai pris appui sur mon pied droite, je me suis dit que j’allais tout donner, et j’ai foncé.


J’entendais un grondement très précis qui se rapprochait sur ma droite, j’avais le souffle de ce taureau d’eau écumant qui me chatouillait les mollets.


Ils étaient tous là, les pigeons, les chiens, le chat infirme, même le petit voisin d’en face qui croit que je viens d’un pays qui n’a pas encore inventé les vestes, ils étaient tous certains que j’allais me ramasser, forcément.


Mais Jules criait plus fort que tout ce petit monde, alors moi j’avais en tête toutes les fois où notre duo s’était avéré gagnant, je me remémorais les terrains de foot où nous avions rendu fous adversaires et coéquipiers, parce qu’on était dans notre propre petit univers, personne ne pouvait nous effleurer.


Déviation de la tête sur un dégagement du gardien, petite louche qui faisait à chaque fois mouche, une-deux magiques.


On leur servait toute la panoplie, avec dessert, et café pour la route.


Ce n’était pas ce petit raz-de-marée qui allait m’effrayer.


J’étais à fond, l’haleine du buffle aquatique était maintenant clairement perceptible sur mes chevilles, ses cornes allaient m’enfourcher sans aucun égard, je n’aurais plus que mes bleus pour me repérer.


« Allez Katch, tu peux le faire ! »


Je nous revoyais en train de nous donner la bourre à Sousse, à Marsillargues, au bord de l’Arnon.


Alors j’ai enterré mes problèmes avec la gravité terrestre, je me suis focalisé sur la discipline la plus ridicule de l’histoire du sport, parce qu’il faut toujours un peu de grotesque, j’ai fait un brillant et salvateur triple saut, et c’était gagné.


C’était bon, j’étais un saint, et sauf votre respect, tous ceux qui n’y croient pas peuvent bien vite aller se brosser.


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samedi, janvier 24, 2009

au plus proche de ses joies et de ses peurs




Le soleil s’est ri de moi, aujourd’hui. Il a laissé deviner sa frimousse, ce matin, puis, quand il a vu que son coup marchait, il m’a fait une grimace, et s’en est allé sans demander son reste.

Bien que tout penaud, je me suis dit que je n’allais pas me laisser abattre par si peu, non, non, d’autant plus que comme j’avais de la visite cette semaine, je n’ai pas été très assidu, ni devant la page blanche, ni dans mes baskets.

Il était question de remettre l’ouvrage sur le métier, de souffler sur le désœuvrement émietté.

Un long message de Benoît, comme je les aime, avait lancé ma journée, je devais plutôt puiser à cette source-ci.

J’ai pianoté quelques paragraphes, un moment il y a quelque chose comme cela qui a pris forme :

Vivre par soi ;

par-delà ce qui nous déçoit,


parvenir à ce qui nous assoit.


Je l’ai relu en dégustant une de mes découvertes portugaises, le carioca de limon, des épluchures de citron dans de l’eau chaude. Avec une « pinçotée » de sucre, c’est à laisser traîner sa langue sur la table, ce qui n’est pas pratique quand on tente d’écrire.

J’étais plutôt content, mais comme super Benito m’a répété que, le concernant, mes éclaboussures poétiques ne « passaient » pas, je lui sers une autre tranche, découpée après la narration d’une expédition en Andalousie :

"Il a fermé les yeux une ultime fois dix jours après notre retour. Béatrice m’a dit qu’il avait refusé tout acharnement, elle a ajouté qu’elle admirait ce tiré de rideau.

Je garderai toute ma vie le souvenir des rares moments où je l’ai côtoyé. Béatrice y a pris encore davantage de relief, et j’ai eu la confirmation que c’est ce genre d’échanges, sans « brillantine », au plus proche de ses joies et de ses peurs, qu’il m’importe de vivre.


On y côtoie, dans le mouvement même de son ouverture à l’autre, la possibilité d’un recentrement sur sa propre humanité.


On se débarrasse de ses couvertures, pour mieux se laisser enlacer.


On embrasse les contours du prochain, pour mieux se découvrir.
"

Comme cela vous avez un petit aperçu de ce à quoi je m’attelle pendant cette « résidence d’écriture » décrétée et financée par mes soins.


Un peu plus tard, boudant l’Océan qui n’arrivait pas à convaincre le soleil de faire son retour, j’ai opté pour un changement de parcours, je suis allé trotter en direction d’un colline qui, sur la gauche, me hèle quand je regarde par la fenêtre du salon.

Eh bien je n’avais plus que mes bouclettes moutonneuses pour bêler quand je me suis rendu compte que j’avais de la boue jusqu’aux genoux.

Et quelques nouveaux copains chiens pour se moquer de moi et de mes émois.

Je suis donc rentré, me remémorant, pour me redonner le sourire, la dernière soirée d’anthologie que j’ai vécue à Fribourg, avec quelques amis qui ont une place bien particulière dans mon cœur. Comme l’écrit Roud dans son Journal :

« A ce feu déjà mort j’attiserai mon hiver. »

En parlant de feu, le souper que je mijote pour César, qui croule sous ses tentatives de rangement, et moi, est dessus, alors je vous laisse.

Très affectueusement vôtre, comme toujours.

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vendredi, janvier 23, 2009

Eh bien voyons, voyous!


Enregistrement d’un concert donné par Amalia Rodrigues en 1960, à Bobino. C’est une voix qui me déchire, qui s’insinue en moi, fait une boule avec ce qu’elle trouve dans mon ventre ; puis lance cette masse informe dans le gris ambiant, dans l’aigri ambulant.


Mais, en même temps, quand je l’écoute, j’entends, dans ma tête, ma grand-maman qui me demande si elle n’a pas bientôt fini, cette « piailleuse ».


Je profite de ce mélange de mélancolie et de rires qui est alors mien.


Des propos qui se chevauchent, des souvenirs qui se superposent à des espoirs qui n’en sont pas, l’omniprésence de l’enfance, il y a tout cela dans le livre de Lobo Antunes que je viens de terminer.


« Traité des passions de l’âme », un titre somptueux pour un roman à la densité jubilatoire.


Je ne sais pas si, dans les entreprises qui se lancent dans la distribution de Ticket-psy à leurs employés, beaucoup l’ont lu.


Il y avait le ticket-restaurant, puis le chèque-vacances, maintenant les patrons s’inquiètent pour la santé de leurs employés. Alors on leur offre des séances sur canapé.


Est-ce qu’ils repartent avec un livre de Gary dans le sac ? Non, je ne crois pas que c’est prévu.


Comme je flâne dans mes notes, ces temps, j’ai retrouvé cela que je me fais le plaisir de vous offrir comme entame de week-end, c’est de Carole Fréchette :


« Ne voudrait-on pas que toute la vie soit ainsi : une suite de rendez-vous intimes avec l’inconnu ? »


Comment ? Vous me trouvez bien décousu ? J’ai plus de fil, mais je vous promets de changer de bobine tout bientôt.

mardi, janvier 20, 2009

Une inaltérable évidence





Tout vider, ne garder que ce qui fait sens.

Pas besoin de proférer de remontrances.


Juste contempler l'horizon qui s'ouvre, immense.


Les parures ne sont plus qu'évanescence,

les parjures s'évanouissent dans leur obsolescence.


Ainsi que tout ce virtuel s'étalant avec outrance.



Elles ne sont pas vaines, ces fragrances.

Elles permettent de sentir le contraire de l'absence.



Peut-être bien qu'il y a là un peu de démence.



Mais, une fois en équilibre sur la balance,

il s'en dégage une inaltérable évidence.

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lundi, janvier 19, 2009

Juste prendre le temps de vivre






"Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et se pressent, les mots font de même. Nous devons seulement les empêcher de s'écraser comme les larmes, ou de refouler au plus profond.



Un lit en premier les accueille: les mots rayonnent. Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis. Mais pas renoncer."


16 août 1982


René Char, Le Bâton de rosier

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vendredi, janvier 16, 2009

Chapeau bas, monsieur Chappaz

Allant, d’un pas décidé, au café tout proche où j’ai pris mes aises (je devine les regards souriants des employés, quand j’arrive, il s’adresse à moi dans un Franglais mâtiné de Portugais, ceci est du plus bel effet), je regardais les habits suspendus aux fenêtres, malgré le refrain de la pluie. J’avais déjà constaté cela à Naples, cette manière de braver le ciel, cette certitude que, de toute manière, le soleil reviendra. Les habits sécheront alors.

Aucune nuit n’est infinie, cette affirmation de Battuta s’imposait à moi. Les mots de Mouawad, aussi, encore. « Au moment où je vous écris, des gens, là-bas, font l’amour. Obstinément. »

Plus tard, alors que le noir avait avalé les gouttes, je cheminais dans les ruelles mal éclairées, poursuivi par une chorale canine pas très bien accordée. Ces chiens devinent un frère dans cette silhouette errante, sur la tête de qui trône une bien drôle de perruque, dont le quotidien semble être rythmé uniquement par déambulations et observations.

Puis, avec une pressante envie d’un baiser de miel et de mélisse, je suis rentré. Tasse en main, je suis allé consulter mon courrier électronique.


« Alors, il semble que tout le monde a ton adresse sauf moi... Et pour m'enquiquiner ils n'ont pas voulu me la donner... Mais là je me sens obligée de t'envoyer un mot, car une personne, ou plutôt devrais je dire un écrivain Suisse qui avait su te toucher est parti rejoindre le Bleu... Il s'agit de Maurice Chappaz qui disait qu'on n'écrivait pas pour être écrivain, on écrit pour ETRE... La pire des chose c'est que ses livres meurent avant soi!!! J'ai pensé que cela t'intéresserait car je me souviens que tu l'as cité plusieurs fois sur ton blog,... »

Ces quelques mots de ma maman m’attendaient.

Pas de tristesse, comme je lui ai répondu, il y a longtemps que le bonhomme espérait rejoindre Corinna Bille, la femme de sa vie, celle qui lui a « montré » le paradis ; pas de tristesse, non, mais beaucoup d’émotions. D’autant plus lorsque je l'ai regardé dans différents documents de la TSR, ou quand j'ai tapé Chappaz, dans mon petit moteur de recherche blogesque.

« L’intime sera ma profession. »

Cela fait écho à la confiance que certains d’entre vous me témoignent, en venant me lire, en se confiant, parfois, en croyant en moi, simplement, en étant persuadés que je vais faire mon chemin, que je suis en train de le faire, sans rien demander à personne. Mais en recevant beaucoup.

Je l’écoutais parler des vaches du Val d’Hérens, je ne pouvais m’empêcher de me dire que la disparition de cet empêcheur de construire en rond, en béton rond, représente l’envol d’un amour d’une certaine ruralité, d’une certaine Suisse, qui ne me laisse pas indifférent.

Il est beau lorsqu’il dit qu’il comprend que, depuis un bureau, on puisse considérer que son amour pour le Valais est celui d’un fou, littéralement.

Il y a un triste passage de témoin, dans cette revendication de folie, le dessin d’un pays qui était, il n’y a pas si longtemps, peuplé de 80% d’agriculteurs, et dont le dessein, aujourd’hui, est de voir 5 exploitations disparaître par jour.

Je n’ai pas de chiffres concernant ceux qui moribondent derrière des bureaux. Je ne préfère pas.

Le Clézio est beaucoup lu et loué, sans que je ne comprenne trop pourquoi. On m’a offert « Désert », c’était ma quatrième plongée dans son univers, avec le même constat : Bof, bof, bof.

Risquez vos regards dans « Le livre de C. », ou dans « Le garçon qui croyait au Paradis ».

Il s’y passe vraiment quelque chose.

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mercredi, janvier 14, 2009

Quête en or pour l'homme en marge






Courir, absolument, après des heures studieuses, évacuer le refoulé, après avoir déplié mon regard sur le papier, m’en remettre à la transpiration, mon autre exutoire. Mais, déroulant péniblement mes foulées, j’ai vite constaté, depuis que je suis arrivé, qu’il n’y a pas de quoi exulter ; tout ceci est bien laborieux. Depuis ma blessure, en septembre, j’avais repris en dilettante, à la fin de l’année, maintenant que je tente d’imprimer un rythme plus proche de ce à quoi je suis habitué, je me rends compte que je suis largué. Je vais devoir m’armer de patience et de persévérance.



J’ai déjà trouvé une boucle qui correspond exactement à ce que j’aime, une quinzaine de kilomètres, un bon dénivelé pour finir, et, surtout, une distance appréciable au bord de l’eau.



Aujourd’hui, j’ai été accueilli par le fracas des vagues ; alors que je noircis du papier à longueur de journée, c’était le blanc écumeux qui imposait son éclat. La puissance de ces roulements de tambour orchestrés par le large, de ce déroulement du temps, comme à rebours, quête en or pour l’homme en marge.



Le soleil se couchait dans mon dos, pendant que je continuais mon effort, regardant au loin le phare, trop moderne à mon goût, de Gonçalo Byrne, et la reproduction du Christ de Sao Paulo, ouvrant ses bras sur ses frères lisboètes.



Joë Bousquet me murmurait :

"Un mot, le plus doux de tous, et qu'il n'y a qu'à proférer pour que la parole ait sa source au large de la voix. Ce mot, que toute vision prolonge, c'est l'appel: mes frères."



César, mon logeur que j’adore, introduit les réponses à chacune de mes questions par un « Ah, ça, c’est une histoire » qui me renvoie il y a vingt ans, aux côtés de mon grand-père. La semaine dernière, un moment fort, devant un petit café. Je lui demande où il était, pendant la révolution des œillets, il commence comme à chaque fois, puis, très vite, son regard devient humide, ses souvenirs, dessinés sur ses pupilles, coulent le long de ses joues. « Ah, ça, c’est une histoire que je n’oublierai jamais. »



Hier, nous marchions sur une plage de l’Alentejo, nous avions des kilomètres de sable pour Zé, son épouse, et nous. Nous sommes allés où leur fils s’est marié, ils m’ont raconté, main dans la main, qu’ils l’avaient conçu au Brésil. Il travaillait alors dans la marine marchande.



Nous avons continué à parler de choses et d’autres pendant un moment, puis, sans rien dire, nous nous sommes assis. Après quelques minutes silencieuses, je lui ai cité cette phrase de Gary qui me poursuit : « Seul l’Océan dispose des moyens vocaux pour parler au nom de l’homme ».



Il m’a regardé, des scintillements dans les yeux.



« Tu sais, il y a des signes, dans la vie. Tu n’es pas arrivé chez nous par hasard. »

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mardi, janvier 13, 2009

Ne vous laissez pas séduire, disait Baudrillard

Hier après-midi. Frère Océan, il est là, me regarde, il rugit, me met en garde ; m’exhorte à continuer à monter aux barricades, à ne pas me résigner devant les esprits en débandade, les consciences en cavalcade.

Cadere, tomber. En latin.

Je tombe sur mon journal, ce matin.

« La mesure de l’indécence », en éditorial. Gaza, encore, toujours.

Mercado, marché. En portugais, en espagnol.

« La ruée sur les soldes », en Une. Gaga, dans le décor, abat-jour.

A-t-on choisi de choir, indéfiniment, de passer au hachoir miroirs et sentiments ?

Hanna Arendt, revenant sur le fait qu’elle avait été arrêtée par la Gestapo : « Mindestens war ich nicht unschuldig ».

Au moins, je n’étais pas innocente. Vrai, tristement vrai.

Mais.

Mais quel sens, quelle valeur ont encore les mots quand il faut se réjouir d’être coupable parce que cela signifie qu’on n'a pas collaboré à la Mascarade ?

Quand le mascara ressemble plus que jamais à du masque à rats ?

Cadere, tomber. J’en perds mon latin.

Cadre, en français. En sortir, par pitié autant que par impiété, ce sont les plombs qui ont pété, arrêtons de rallumer.

Hier après-midi. Frère Océan, il est là, me regarde, il rugit, me met en garde ; m’exhorte à continuer à monter aux barricades, à ne pas me résigner devant les esprits en débandade, les consciences en cavalcade.







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dimanche, janvier 11, 2009

Aller au plus improbable








Je suis sorti d’un pas décidé, après la lecture de quelques pages d’un travail sur les lieux de mémoire, à quoi était venue s’ajouter ma revue de presse électronique (manière de lire qui ne me convient pas trop), beaucoup d’éléments dansaient la gigue sous ma perruque.


Je me dirigeais vers la gare ferroviaire de Cruz Quebrada, un des arrêts de la ligne qui longe Frère Océan, tout d’abord, puis le Tage, pour me rendre dans le quartier de l’Alfama où il y a marché aux puces le dimanche. Ce qui est impressionnant, quand c’est carnaval cérébral, c’est que le temps devient joueur, il aime spécialement les parties de cache-cache.


Donc j’avais à peine fermé la porte de ma chambre que je voyais les lignes de chemin de fer se dessiner. Le trajet prend, normalement, une bonne trentaine de minutes. Là, que nenni, des phrases de Kateb Yacine et de Gary avaient pris possession de ma perception spatio-temporelle. Je flottais dans les limbes de réflexions bancales.


Constatant éberlué cette quasi téléportation, je souriais en pensant à la Une du « Temps » du jour, il y était question de la philothérapie. Entre coaching, développement personnel et psychothérapie, une nouvelle discipline a vu le jour : le conseil philosophique. Venant de rejoindre une dimension parallèle grâce aux rotations à grande vitesse de mon crâne bœuf, je ne pouvais qu’acquiescer, philosophez, messieurs et mesdames, après « ça file », comme dirait l’autre.


Arrivant à Cais do Sodré, terminus lisboète, une affiche venait ajouter encore une couche à mon hyperactivité mentale (Pis à part ça ? Tu passes encore les portes avec la pastèque que t’as sur les épaules ?), il y était écrit, oui oui, je déchiffre déjà le portugais : « Le gouvernement aide les banques, qui aide les gens ? ». Rien de bien transcendant, me direz-vous, mais il y avait un élément qui rebondissait sur mon précédent « blogage ».


« Personne » se dit « pessoa ». Donc cela sonnait comme : « Qui sauve les Pessoas ? ».


C’est-y pas joli ?


Eh bien figurez-vous que la réponse se trouvait dans l’article sur la philothérapie, tout à fait, j’y suis retourné voir avant de rédiger ce petit amoncellement d’inepties :


«Bien souvent, les philosophes recherchent moins le repos des sereins que la vitalité salutaire de l'intranquillité».


Rien que ça. C’est un dénommé Pépin qui l’a dit. Vous ne l’auriez pas dans la gorge, le pépin, des fois ?


Voilà que maintenant que j’ai délaissé le sermon sempiternel, je me retrouve à faire de l’ironie dominicale, incorrigible le gaillard.


Lisbonne n’est pas encore pour aujourd'hui, donc, enfin si, si je sens pareillement pulser l’écriture, ces jours, c’est grâce à elle. Voilà qui tombe bien, c’est pour ça que je suis venu.


Juste, avant de vous quitter, ces quelques scénettes qui, parmi bien d’autres, ont fait ma joie pendant mes heures à flâner :


Un vieil homme profitant pleinement du soleil, cigarette au bec, cendres sur le col; il était couché, affalé serait plus juste, en travers du premier escalier d’une ruelle insoupçonnable. Je lui ai dit « Yep », il m’a répondu « Yep ».


Sortant d’une déchetterie où j’étais venu me perdre avec ma manie d’aller au plus improbable, je débouche sur une petite place qui n’est plus que morcellements épars, je devine alors, au-dessus d’une porte qui n’est plus qu’une vue de l’esprit, un panier de basket improvisé.


Des petits attroupements, souvent, aux coins des rues, je m’approche, curieux de voir ce qui cause tant d’émois, je découvre des tables avec quatre chaises, fixées dans le sol, pour que les joueurs de cartes soient à leur aise, et leurs admirateurs également.

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vendredi, janvier 09, 2009

Tout ce qui dans le soir bouge doucement



« Ne pas avoir à dire « je » ni davantage « elle », mais autre chose, un mot, un pronom qui cachant et dévoilant, donnant et reprenant dirait ce que nous sommes et la manière dont nous l’entendons. »

En regard à mon habituelle boulimie de lecture, j’ai pris très peu de livres avec moi. Puisque de lecteur compulsif, il s’agirait de réussir à devenir un scribouilleur moins poussif. Il y a un seul ouvrage qui m’apparaissait indispensable, en ce qu’il fait très exactement écho, dans son ton, dans sa tenue aussi bien que dans sa retenue, aux pages que j’aimerais voir naître sur Béatrice. « L’emprise » de Michèle Desbordes, un souffle qui m’avait traversé lors d’une nuit solitaire en Avignon, j’avais tout de suite su que j’y reviendrai. Ces pages font comme corps avec mes divagations intérieures.

L’impression, naïve, mais qu’à cela ne tienne, que des paragraphes ont été écrits pour moi. J’aime d’autant plus cette sensation qu’elle est très exactement celle qui amène le Gregorius de Pascal Mercier à prendre un train de nuit pour Lisbonne.

« Je rôde, je marche là dans le tournant du fleuve, j’attends le moment où en bas dans de grands cris d’oiseaux, le bleu m’apparaîtra, immense et profond comme une mer, le vieux pignon, la grande, haute maison sur sa falaise. Tout ce qui dans le soir bouge doucement. La vie invisible, le temps derrière les murs, les fenêtres. »

Les derniers jours de cette écrivain épousent les contours de mes questionnements. Elle s’en est allée quelques jours après mon 25ème anniversaire. Je me revois encore apprenant cette nouvelle en lisant le journal, une disparition qui, comme ses livres, s’est faite en toute discrétion. J’avais découpé l’article, l’avais collé sur la porte de ma cuisine.

Quelques mois plus tard, j’ai su que ce qui avait été présenté comme un décès des suites d’un cancer était en fait une décision d’en finir prise depuis longtemps. Que pour ce faire, elle avait dû avoir recours à un ami, et à une association considérée en France comme illégale.

Il y a, depuis lors, eu Chantal Sébire pour relancer le débat sur l’euthanasie dans l’hexagone, mais, comme le veut la terrible loi de la désinformation de masse, passé le coup médiatique, seuls quelques militants continuent de se battre. En Suisse, Dignitas et Exit ont le droit de proposer leurs services, mais cela se fait sans véritable législation, un flou juridique persiste.

C’est donc aussi les cas les plus tristement spectaculaires qui font réagir l’opinion ; puis on oublie, on se rappelle qu’il y a un match de foot, ou que Paris Hilton a mangé une pousse de séquoia argentin.

Nous avons beaucoup parlé du suicide et de la mort, pendant mes deux années fribourgeoises, il s’agit de thématiques, dérangeantes mais fondamentales, qui, du fait qu’elles ne sont pas très marketing, ni merchandising, sont souvent glissées sous le paillasson. De toute manière, le XXI ème siècle des puissants verra l’avènement du jour où un millionième de la planète aura le droit à la vie éternelle.

Les battements du cœur, comme les maladies en tous genres, ne sont que des détails techniques. On pourra bientôt choisir le poids et la couleur des yeux de son bébé. J’espère que cela vous réjouit.

Bon, je pensais d’abord vous parler de Lisbonne, du fait qu’elle fait mieux que combler mes attentes, j’aurais joint plein de photos, et voilà que le sermonneur a repris le dessus…

Votre serviteur vous demande humblement de bien vouloir l’excuser, il se rattrapera très vite. Il en profite pour remercier celles et ceux qui font palpiter les commentaires. Maintenant que j’ai une connexion près de mon lit et de ma cafetière, je serai plus actif, et plus interactif.

Pour clore ce message, je m’en remets à ces mots que Barthes a prononcés lors d’un entretien accordé au quotidien italien Il Corriere della sera en 1969 (dois-je préciser qu’il s’agit des raisons pour lesquelles il estime qu’il convient d’écrire ?) :

« Pour contribuer à fissurer le système symbolique de notre société. Pour produire des sens nouveaux, c’est-à-dire des forces nouvelles, s’emparer des choses d’une façon nouvelle, ébranler et changer la subjugation des sens. »

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lundi, janvier 05, 2009

Petit bonhomme diurne

Le train a commencé à se dandiner, signifiant que oui, les deux petits bagages entassés à quelques pas étaient tout ce que je gardais pour faire chanter ma peau, pour changer de tempo.


Une sacoche en bandoulière, aussi, comme mon cœur, avec des pages à venir, des pages à vernir, des pages avenir.


Une petite fille, à côté de moi, lit les orphelins Baudelaire. Je souris, me dis que nous sommes plusieurs à être orphelins de Baudelaire. Enfants de la poésie, nos parents sont nombreux, pas tous morts, loin s’en faut, mais avoir envie de vivre avec eux fait sourire. Il s’agit de grandir. Ou de se faire adopter par une famille plus réaliste, économiquement réaliste, donc politiquement trapéziste.


Je lis, dans « Libération », ces propos de Catalin Dorian Florescu, un écrivain d’origine roumaine, résidant aujourd’hui à Zürich (il y a étudié la psychologie et est devenu psychothérapeute) :


« La Suisse a peur du Roumain en soi, a-t-on pu lire dans la presse. Kant a donc la cote autour des tables de bistrot : la chose en soi, le Roumain en soi. […]. Et les médias suisses voudraient que j’explique en Suisse ce qu’est le Roumain. Pour lui en faire passer la peur. Car bientôt les Suisses seront appelés à voter pour dire s’ils laissent entrer ou non le Roumain dans leur pays.

Mais moi, je dis : chacun est responsable de sa peur. […]. Devant le devoir de mûrir et de devenir un homme à part entière, en pleine possession de lui-même, chacun est seul comme devant la mort. […].

En tout cas, on se sent en Suisse comme au paradis. De ce point de vue, c’est un pays plus proche de Dieu que d’autres Etats. On se traite avec douceur, on parle tout bas, on se tape sur l’épaule pour cette vie réussie. Mais on a peur de la vie en soi. »


Cela m’a fait étrange, quelques minutes après que mon train était parti, de lire exactement ce qui fait que j’ai besoin, pour me sentir plus proche de ce qui m’apparaît comme essentiel, de m’éloigner un moment de mon pays. Enormément de personnes et d’endroits que j’aime, « chez moi », mais aussi, trop répandue, cette incapacité à reconnaître la chance qui est la nôtre. Sans qu’il soit question de se culpabiliser ou de vouloir sauver le monde, juste ne pas se noyer dans l’indécence. Juste ne pas faire de sa vie un enchaînement de grandes et malsaines manigances.


De la peine à me débattre entre œillères et névroses, deux bijoux non exclusifs.


La vie en soi, la vie devant soi (Romain n’est jamais loin), j’ajouterai la vie sous soi. La vie qui est là, qui frémit, mais qu’on écrase avec une belle maison et une grosse voiture ; pour mieux s’asseoir dessus.


Un triste écho à mes pensées en dérives est venu stopper l’élan des wagons. Un « accident de personne ». Encore une expression qui atténue la réalité pour mieux la contourner. Quelqu’un n’en pouvait plus, il savait qu’un TGV passait, il avait décidé qu’alors il trépasserait.


J’ai toujours en tête le texte de Wouajdi Mouawad dans lequel il a écrit, il y a un peu plus de deux ans, que sa position, concernant le conflit au Moyen-Orient, n’en était pas une, que c’était une courbature. Je l’ai lu à voix haute, ce texte, à Paris, il était couvert des cendres venues depuis Gaza. Entre autres brasiers.


« Accident de personne ». Trop de personnes qui deviennent des accidents, voilà ce qui me secoue. Voilà ce qui devrait tous nous secouer.


Malgré le retard qui semblait déranger quelques voyageurs, le train de nuit qui partait d’Irun pour Lisbonne nous avait attendus.


Le Portugal me fascine depuis tout petit. Je voyais des travailleurs saisonniers s’entasser dans un petit appartement, en face de chez ma grand-maman, pour dépenser le moins d’argent possible. Ils passaient des heures, le soir, dans une cabine téléphonique, parlant avec leur femme, se persuadant que le lien, ainsi, ne serait pas complètement rompu ; écouter leur épouse raconter leurs enfants, pour tenter d’effacer en partie l’absence et la distance.


Quand je leur posais des questions sur leur pays, ils m’en parlaient avec une ferveur qui n’avait rien à envier à celle de mon grand-père maternel lorsqu’il me vantait les glorieux épisodes militaires qui avaient fait de nos compatriotes des soldats prisés et redoutés.


Alors que j’étais arrivé depuis quelques instants, que j’avais déposé mes affaires sur un banc pour prendre un ticket de métro, un couple est venu me poser une question en portugais. J’ai haussé les épaules en souriant, même si j’étais content d’avoir été pris pour un autochtone, j’étais bien obligé de leur faire comprendre que je ne parle pas encore la langue de Pessoa.


« Oh, Stranger in the night ! » hasarda le monsieur. Sa femme ajouta « Not in the night » en me saluant.


Non, je ne suis assurément pas un personnage « de la nuit », qu’elle soit calme ou mouvementée. C’est par l’intermédiaire de la télévision qui se trouvait dans une des rares brasseries ouvertes aux alentours de la gare Montparnasse, le premier jour de l’an 2009, que j’ai appris que plus de 500'000 mille personnes avaient festoyé sur les Champs Elysées pendant que je dormais profondément. 7000 policiers étaient mobilisés, des voitures ont quand même brûlé. Bêtise contre Bêtise, match nul, qui s’en étonnera ? Super Nicolas a expliqué que les réformes continueraient. Il faut que tout bouge, en permanence, que tout change en accélérant. Mais il faut être solidaire, aussi.


Pendant les intermèdes publicitaires, deux spots mettent en garde, crachent des adresses internet où aller se renseigner pour ne pas laisser « le danger entrer chez vous », « pour protéger vos enfants ». Je ne comprendrai jamais comment on veut réanimer le terme de solidarité, déchiré qu’il est de toutes parts par des signaux de peur incessants.


J’ai écrit « réanimé », je me relis sans pouvoir m’empêcher de me demander s’il ne s’agit pas d’un terme qui, si on l’entend dans un cadre où certains n’ont rien à y gagner, n’a pas passé son existence, dès sa naissance provoquée, dans le grand coma des idées.


Voire dans la mare de sang des idéologies.


Je pianote ces impressions à peine arrivé à Lisbonne, dans un café qui, eczéma du XXIème siècle oblige, est muni de deux écrans plats. D’un côté une chaîne musicale qui sert de la soupe, chaude ou froide, de l’autre un match de foot entre deux équipes anglaises.


L’âme de cette ville se mérite, comme souvent. Il va falloir que je sorte de la débattue des avenues.

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