katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

samedi, février 25, 2012

entre grondement et déflagration












Une vague, plus imposante que les précédentes, vient lécher les galets jusqu'au sommet de la petite crique. Lorsque l'eau se retire, un bruit fascinant, entre grondement et déflagration. Des fragments se déplacent, hors de nous, là en bas ; d'autres se mettent en place, en nous, tout au fond. Qui saurait plonger dans nos yeux verraient les deux.


Cheminant le long de la falaise surplombant la scène, le regard se déplace dans l'étendue. Les cormorans en vol semblent bien empruntés ; leurs ailes, qu'ils aiment tant étendre quand ils sont attroupés sur un rocher, battent frénétiquement, le maintien paraît laborieux, on se demande s'il n'y a pas un problème d'ordre mécanique. Mais non. Le contraste est saisissant avec l'aisance insolente des goélands.


Une fois rendus sur le sable, on observe des petits oiseaux qui courent comme pour sauver leur peau sur les parties colorées par l'Océan. Je suis allé à la recherche de leur nom, parce que c'est la même chose avec l'immense variété de plantes


Tiens, celle-ci a un goût entre lavande et romarin, voire même une nuance de thym !


qui nous caressent le mollets, ne pas savoir les nommer atténue en partie le foisonnement du paysage. Il s'agit donc, attention il y aura une interro avant la fin de l'année, du Bécasseau sanderling, rien de moins.


Tant qu'à me renseigner, j'ai aussi tenté d'identifier la petite troupe de mammifères marins qui passaient au loin. Ce devait être des dauphins de Risso. Une vision qui a permis à l'enfant, empêtré dans son costume d'adulte, d'être seul maître à bord du corps pendant une poignée de minutes. L'oeil attentif et émerveillé qui guettait n'avait pas trente ans, il venait au monde dans l'instant.


Le besoin de grand air nous a emmenés quelques jours un peu plus au sud. Tout d'abord à Sines, ville du poète Al Berto. Une exposition lui rendait hommage, l'affiche n'a pas manqué de me narguer quand je me suis cassé le nez sur la porte, problème de timing boiteux.


On a été invités à dormir par le type


Pour une nuit ?!? mais vous pouvez venir à la maison !!! Vous voulez ?!?


à qui on a demandé


Pour une nuit ?!? mais vous pouvez venir à la maison !!! Vous voulez ?!?


s'il connaissait un endroit pas trop cher à même de nous accueillir ; seul hic, sa femme n'entendait pas cela de cette oreille. Du coup, quand on est arrivés chez eux,


Je suis tellement désolé, vingt-huit ans qu'on est mariés.


elle avait mis la clef dans la serrure et refusait d'ouvrir.


Je suis tellement désolé, vingt-huit ans qu'on est mariés.


On s'est rabattus sur une pension à l'ancienne, dans le salon de laquelle, alors que la musaraigne avait sombré dans une sieste profonde, j'ai lu, à la lumière d'un abat-jour, entouré de plantes et de fantômes prétendant m'effrayer, bien calé dans un vieux fauteuil, une centaine de pages de « La Gloire des Pythre » de Richard Millet ; il y est question de la « maudissure » et des ombres que les mots ne permettent pas toujours de chasser.


Il faut du souffle pour parcourir le gros-oeuvre du bonhomme, je ne l'ai pas toujours, mais quand c'est le cas, s'ensuit une magistrale confrontation avec soi et avec les démons qui hantent cet écrivain peu en phase avec son temps.


Le lendemain, nous sommes allés découvrir la fresque de fientes que les goélands retravaillent chaque jour, sur des rochers agglomérés le long de la jetée, puis nous avons pris le bus en direction de Vila Nova de Milfontes. L'estuaire qui s'y déplie, la puissance fabuleuse déployée par le mouvement « contrarié » des eaux, les endroits sauvages qui l'entourent, différents éléments ont contribué à nous combler.


Lors de la dernière heure sur place, je suis descendu au bord du fleuve Mira. La bourgade était encore assoupie. Je me suis avancé sur un ponton. Accompagnant l'eau, un drap de brume défilait, un peu moins rapidement que le courant ; quelques embarcations arrimées à des bouées boudeuses apparaissaient, disparaissaient, au gré de l'humeur évanescente de cette traînée blanche ; tout ceci comme projeté par les premiers rayons du soleil qui naissait en amont.


J'étais pour quelques minutes au sein de régions éthérées, laissé en paix par l'omniprésence parfois étouffante de mes pensées.


Bercé. Rapiécé.


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vendredi, février 17, 2012

quand bientôt la nuit









Il y avait ce type en train de se tapoter le crâne avec un bâton, à Adamastore, répétant qu'il avait avalé un petit oiseau, et que si on ne l'aidait pas à l'extirper, le passereau allait rendre l'âme dans sa gorge entravée. Il disait cela et il riait, un rire qui était un tremblement de tête dont les secousses me faisaient vaciller. Il disait cela et il demandait à mon voisin de bien vouloir lui prêter sa guitare, ce que ce dernier refusait. Il disait cela et il nous accusait, tous autant que nous étions, de ne pas savoir le poids des mots, de ne pas avoir de paroles. Alors que le petit oiseau qui se mourait. Alors que les notes qu'avec l'instrument il aurait pu libérer. Alors que le monde. Alors que la réalité.


Le parterre bigarré le regardait sans broncher, mêmes les personnes âgées, du côté droite rassemblées. Une fois de plus les chiens semblaient les seuls intéressés. D'ailleurs une odeur, de leur fait, de leurs si naturels méfaits, émanait d'un bosquet, ou d'un rien qui s'y apparentait. Des effluves se mariant peu avec soleil qui s'en allait. Alors que le monde. Alors que la réalité. Alors je me suis déplacé.


J'ai croisé un tas de neige.


Non ?!?


Non, des restes de glaces où des poisson avaient été étalés, derrière le marché de Cais do Sodré. Il y avait aussi des fragments de parapluie que le vent faisait danser.


Sur les quais, quelques joggers fous défiaient le froid qui, bien que ne s'abattant pas avec autant de conviction que plus à l'est de l'Europe, n'en restait pas moins capable de congeler mes mains en moins de temps qu'il ne fallait pour les glisser dans mes poches. Je dégainais mes gants, histoire de lire encore un peu pendant que Turner s'amusait avec le ciel et l'Océan, avec le feu sans artifices qu'ils allument quand bientôt la nuit.


Lorsque je me suis résolu à tourner le dos au tableau, je m'en suis allé en levant la tête ; des oiseaux fredonnaient des taches de rousseur sur la frimousse de la lune. Un peu plus loin, cette dernière contrefaisait un roi ne voulant pas se laisser mater, sur l'échiquier tissé par les fils du tram. Elle était poursuivie par un fou qui oubliait parfois qu'il était tenu d'avancer en diagonale. Il se rêvait cheval, peut-être reine.


Vasco Graça Moura, écrivain et nouveau directeur du Centre Culturel de Belém, a demandé à tous ses collaborateurs de désinstaller les correcteurs d'orthographe appliquant la nouvelle réforme, qui est selon lui une honte et un massacre pour le portugais. Ceci n'est, on s'en doute, pas du goût de nombreux politiques. Tabucchi, en ce lieu, il y a trois mois, disait que l'accord avec une langue n'est pas orthographique, mais spirituel. Annie le Brun, parlant de Sade, de Jarry, et d'autres infréquentables qu'elle admire, dans le Matricule des anges, dit qu'il « n'est pas de pensée en quête d'elle-même qui ne s'éloigne de ce que chaque époque cherche à imposer comme réalité. »


Pour écrire, n'a-t-on de cesse de me répéter, il faut que tu commettes quelques assassinats, que tu arrêtes de citer à tour de bras. J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau. Je n'ajouterai donc pas à la liste déjà conséquente du paragraphe précédent le nom de celui qui a écrit cela,


J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau,


vous trouveriez de toute manière que son nom est imprononçable, je ne vous le dirai pas, non, mais c'est plus fort que moi, quand je trébuche sur ce genre de choses,


J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau.


je me relève, je ramasse le fautif, je le mastique, et ça y est, sa saveur se loge quelque part entre ma tête et ses absences.


Je suis allé à la présentation d'une biographie de Fernando Assis Pacheco – voilà pour mes bonnes résolutions d'il y a quelques lignes, balayées par la constellation en (dé)formation perpétuelle qui préside à mon geste d'écriture -, journaliste, poète, écrivain, mort d'une attaque cardiaque à 58 ans dans la librairie où il avait l'habitude de passer tous les jours. Avant les discussions d'usage, il y avait un petit documentaire.


« Est-ce que votre père écrivait tous les jours ?!? »


« Je ne sais pas, c'est difficile à dire, mais ce que je peux affirmer, sans peur de me tromper, c'est qu'il lisait tous les jours, beaucoup. »


La musaraigne, revenant d'un rendez-vous :


« Depuis que je te connais, à chaque fois que je retrouve quelqu'un qui est en train de m'attendre sans lire, je trouve ça étrange. »


Cette remarque a sonné à mes oreilles comme le bruit sec que font les cannes à pêche quand il s'agit de lancer la ligne le plus loin possible, un sifflement brusque, puis le fil qui se déroule jusqu'à l'amerrissage ; peut-être d'ici peu une prise. Chorégraphie laissant place à l'étirement du temps, à l'introspection.


Oui, cela me plaît infiniment, grâce aux livres, grâce à mon amour démesuré des mots imprimés sur papier, à rebours de la pensée unique, inique, économique, de revêtir le monde d'étrangeté.


A une cinquantaine de mètres de la maison où est né Fernando Pessoa, un nouveau café-restaurant-boulangerie a ouvert, il y a peu. J'y ai travaillé le temps d'un ou deux clignements de paupières. J'avais un collègue angolais qui me donnait du « Salam al'ikoum » quand j'arrivais de bon matin ; « Al'ikoum Salam o meu amigo ! » Cela sentait bon le bois, le pain ; cela sentait aussi le Lisbonne où je ne vais jamais, celui en papier mâché. Alors que le monde. Alors que la réalité. Alors il y a eu incompatibilité. Violente intranquillité que celle de la lucidité. Du coup, le premier baiser à peine expiré, nous nous sommes déjà séparés.


Il me reste plusieurs possibilités pour récolter quelque menue monnaie, une me permettrait de participer à une histoire qui, si elle n'est pas séculaire, a tout de même commencé à gagner ses lettres de noblesse il y a de nombreuses années : devenir un arrumador. Un « (ar)rangeur ». Il s'agit de gustions, plus rarement de donzelles (le cas échéant il est généralement difficile d'être catégorique, cela à avoir avec l'état de décomposition avancé de l'individu), aidant tout un chacun à stationner son véhicule un peu partout. Cette mise en scène étant généralement récompensée par une poignée de centimes. Un élément me retient : vu les talents de danseur contemporain que certains ont développé, avec tout ce que cela suppose de réinvention permanente de son rapport à l'espace et au mouvement, je ne suis pas sur d'être à la hauteur.


Les « arrumadores » me font, suivant les jours, marrer ou pitié, cela dépend davantage de moi que d'eux, mais ce dont je suis certain c'est qu'ils disent plus que Vasco de Gama d'une incertaine réalité de ce pays.


J'aurais aimé vous ramener, d'une journée à Campo de Ourique, une photo du petit vieux qui, sur un banc, semblait s'être fait une cabane d'un parapluie immense, ceci sous un soleil peut-être pas de plomb, mais quasiment d'argent. Au moment de viser, panne de batterie. Vous devez donc vous contenter de mes mots, pour l'imaginer. Des mots qui, pour Pessoa, dont nous sommes allés visiter la demeure lui rendant hommage, sont « des corps touchables, des sirènes visibles, des sensualités incorporées. » Rien que ça. Voilà de quoi me faire oublier que j'avais un appareil inutile en poche ; un petit bloc-notes était amplement suffisant.


Maintenant que je me sens vraiment bien dans la lecture en portugais, je défriche des territoires qui me sont inconnus. Une amie aime beaucoup un auteur qui a peu écrit : Nuno Bragança. J'ai donc emprunté son premier livre à la bibliothèque. Ma recherche rapide ne m'a pas permis de trouver quoique ce soit du bonhomme, en français. Je vous en traduis donc un mise en bouche :


« Ainsi je rêve mon premier livre. Dans lequel je ne ferais rien d'autre que ceci, aller jusqu'au fond nécessaire pour harponner la forme possible. Ma forme, évidemment.


Le jour où ce premier pas aura été fait je commencerai à être moi. Dans la prose comme en toute part. Ou plutôt en toute part puisqu'avec ma propre prose, découverte. »


Avant de m'effacer : Zbigniew Herbert. C'est le nom, celui qui manquait un peu plus haut.


J'échangerais toutes les métaphores pour un mot qui rentrerait dans les limites de ma peau.


Non mais, c'est le moins que je puisse faire que de rendre hommage à mes bouées.


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