katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, septembre 23, 2011

l'écho est mon voisin







Dong, dong,



Quand je prends place au bureau – théière et tasse à ma droite déjà prêtes à l'emploi-, je ne distingue dans un premier temps que l'église de Sâo Estevão et une ligne lumineuse - Montijo, Moita, Barreiro -, provenant de l'autre côté du Tage ; cet horizon pointilliste passe exactement à hauteur de mes yeux, dans le reflet léger que susurre la vitre.



dong, dong,



Lorsqu'il fera jour, se profilera Palmela et son château, sur une colline derrière les villes tout juste égrenées. L'appel étant puissant, nous sommes allés y promener notre curiosité, ceci en synchronisation totale avec cinq cars de personnes dont je ne m'avance pas trop en supposant qu'elles étaient toutes nées pendant la première moitié du siècle dernier. Hormis notre présence, ils devaient se sentir bien jeunes, crapahutant comme ils pouvaient, certains avec grand peine, dans ce site marquant plusieurs siècles au compteur. J'ai posé la question à un papy qui me regardait avec insistance.



« Tu sais, je peux encore te mettre un pied au cul mon p'tit gars. »



dong.



Là je sais pas trop comment écrire les vibrations de la cloche, mais le fait est que



Cinq heures sonne.



Lisbonne ne se réveille pas encore, oh que non.


Dong, dong, dong,



Par endroits, le trait lumineux, auquel le fleuve dessine une écharpe d'un noir profond, tremblote. Illusion d'optique ?!? Caprice électrique ?!?


dong, dong.


A ma gauche, j'ai collé quelques images – le FC Rond, la musaraigne toute petiote dans une bassine, Gustave Roud,... - et une chronique de Lobo Antunes intitulée Tout ce qui croît a besoin de beaucoup de temps pour croître. Un paragraphe y est mis en évidence :



« Le secret d'écrire est d'être strabique, avoir un œil sur le ballon et l'autre sur les joueurs. Quand j'étais petit, j'étais épouvanté par le fait que les yeux des lézards étaient indépendants l'un de l'autre, mais quand j'ai commencé dans cette vie je me suis découvert lézard sur une pierre, aux aguets, tout tranquille, tournant les pupilles vers différents endroits, friand de la mouche d'une phrase. »



Dimanche, pour ne pas perdre nos bonnes vieilles habitudes, nous sommes allés nous promener dans un cimetière que l'on ne connaissait pas encore, celui de São Jão. Il existe depuis 1833, suite à une épidémie de choléra – Lisbonne serait-elle donc un magnifique mouchoir en tissu, dont la mission est d'essuyer, à intervalles plus ou moins réguliers, des catastrophes ?!? -. Il abrite le premier crématorium de la ville. Il est situé sur une colline, dans la partie nord-est de la ville. Il est en étages, des niveaux plutôt « éclectiques » comme le signale une plaquette ; le terme m'a d'abord paru déplacé, mais en fait non, il convient bien. Remarquons tout de même que la hiérarchie, celle qui poursuit les hommes jusque dans leur ultime retranchement, est « respectée ». Somptueux caveaux à l'entrée, dans la partie supérieure ; zone « mixte » lorsque l'on commence à s'éloigner ; tombes les plus pauvres en bas, tout tout en bas.



Pour nous rendre entre ces longs murs délimitant le périmètre sépulcral, nous avons traversé quelques coins qui sont des morceaux d'une Lisbonne d'un autre temps ; ce qui les diffère d'autres fragments anciens, c'est une sorte de « position-limite ». Ils ne sont pas insérés dans un petit ensemble, en mutation ou pas, mais représentent plutôt des sortes de frontières fantômes. Celle-ci donne sur une ouverture (une saignée?!?) effectuée pour faciliter le transit, à savoir une route qui, du bord du fleuve, se rend dans un quartier débordant d'immeubles ; ces derniers, comme le suppose leur configuration, débordant de gens.



Des deux côtés de cette route, des lambeaux de ce qui a existé, et subsiste laborieusement aujourd'hui.



Pour mieux me représenter la nécropole et ses prolongations, je suis allé courir sur le monticule qui lui fait face ; il permet d'avoir plus ou moins une vue d'ensemble. Il s'agit de la mairie de Beato, on y trouve aussi, notamment aux bordures, des enclaves donnant sur avant.


Avant quoi ?!? Bonne question. Vous auriez dit après ?!? Je pense que ça marche aussi. C'est sans doute pour cela que j'aime tant laisser filer mes idées entre tombes et ruines en tous genres.



Je suis incapable de dater mon attrait pour les friches. D'ailleurs peu importe, mais à présent, je suis comme attiré – qui est le pôle positif ? négatif ? - par ces zones ayant parfois été le centre d'une activité frénétique, pour n'être plus maintenant que des décharges d'histoires ayant mal fini.



Metáfora.



Metafórica.



Vous distinguez les accents ?!? D'abord sur le « a », puis sur le « o ». Ces subtilités de prononciation me réjouissent le palet et l'oreille. Capter cette musique, parvenir à créer une certaine intimité avec les mots à trois syllabes s'accentuant, de manière contre intuitive, sur la première (chávena = tasse, pássaro = oiseau, ...), voilà des défis stimulants.



Mais là je pars aux fraises sans vous ménager une transition dans les règles de l'art.



C'est que je suis une désarticulation non réglementaire.


"Je sème de mes mains.

Je plante avec mes reins;

Muette est la pluie fine."



Hier, je suis sorti pour aller m'acheter quelques stylos. Tac Tac Tac ; c'est moi qui descends les escaliers de la maison. Nnnnyyyy ; l'ouverture de la boîte à lettres – rien, je peux savoir ce que vous attendez?!? -. Yeah man; salutations habituelles avec notre pote qui surveille les coulisses du château ; son rire monte jusque chez nous, il nous refile une patate de première qualité. Oh la la ; je passe devant Portas do Sol. Kézako ?!?; Une exposition sur la torture pendant la dictature, effectuée, Salazar était féru d'Histoire, dans un lieu qui servait à ce genre de sévices depuis la période islamique. Hop hop hop ; je slalome aussi vite que faire se peut dans la zone commerciale de la Baixa et du Chiado. Ben mon vieux ; ce que je me dis en confrontant mes tympans à un marteau-piqueur. Vous vous reposez parfois ?!?; m'enquiers-je au près d'un autre de mes potes, en permanence à faire des cafés délicieux au Largo do Coutoleiro.



Puis je m'assieds sur un banc, au miradouro de São Pedro de Alcântara, je pose à côté de moi le Jornal de Letras, sur lequel figure le senhor doutor Lobo Antunes. Il a une dissymétrie prononcée au niveau du visage : l'oeil gauche, plus bas, semble sombrer dans son cœur déchiré ; le droite volète dans une nuée de voix fantômes. Le strabisme comme outil pour écrire, me répète-t-il.



Un petite plume, moitié blanche moitié grise, passe par-dessus mon épaule ; elle toupille au nez et à la barbe des secondes.



Le titre du livre de Lobo Antunes qui sortira l'année prochaine est déjà arrêté, il vient du poème Entraperçue de René Char :


"N'est pas minuit qui veut".


Les deux vers qui précèdent, les voici :



"Dans un sentier étroit

J'écris ma confidence."


Le dernier:


"La brume est ma suivante."

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mercredi, septembre 14, 2011

le corps comme paysage







A Clapham Junction, de nombreux trains passent chaque heure, un flot continu de départs et d'arrivées rythmant le quotidien de la gare du coin. Ce sont d'autres allées et venues qui ont marqué le quartier, dernièrement, celles de jeunes « émeutiers », dont les motivations diffèrent selon la lorgnette que l'on tient. Le plus intéressant étant toujours de s'en passer, de lorgnette. Lisant différents comptes-rendus, un détail m'a réjoui : le seul magasin épargné : la librairie Waterstone's. Pas franchement une petite enseigne sympathique, mais tout de même un lieu consacré aux livres. Certains y ont vu un mépris pour la culture. Je crois pour ma part que l'on peut y lire exactement le contraire. Encore cette satanée lorgnette.



A Buenos Aires, le café Richmond, où se sont notamment estompées les silhouettes de Julio Cortazar et de Borges, a été racheté par Nike. Au Chiado, à deux pas du Brasileira, un des endroits où Pessoa avait l'habitude de s'enfuir dans une nébuleuse de mots, j'ai été alpagué par d'énormes effigies de Rooney et de Nadal, précisément sur les vitrines de l'équipementier susmentionné. Ils arboraient des mimiques de vainqueurs. Tout en puissance. Comme le prix des cafés dans les lieux, encore existants, qui abritaient les réflexions vaporeuses du poète lisboète. Cinq fois plus cher que dans un « boui-boui » véritablement old-school.



Le corps comme paysage. C'est le titre d'une exposition de sculpture dans un des endroits encore apparents de l'aqueduc. Le corps comme paysage. Un intitulé aussi beau qu'une toile du Caravage.



Nike, le corps comme étalage et gare de péage.



Cortazar, Borges et Pessoa, le corps, précieux apanage, oscillant entre voyages, mirages et ravages de l'âge.



Là au milieu, l'argent fait le ménage. Avec rage.



Le jour où nous allions voir Tiago, un jour au compteur, attendant le bus à côté du petit jardin de la paix, inauguré par le Dalaï Lama himeslf – qui a bien dû se marrer en voyant ce minuscule carré d'herbe-, un bonhomme s'est adressé à nous avec un accent belge de première qualité. Aujourd'hui entrepreneur, il a étudié à Bruxelle, où il a vécu depuis ses 5 ans, avant de rentrer au Portugal, une petite vingtaine d'années plus tard, avec ses parents. Il hésite à tenter à nouveau sa chance à l'étranger, estimant que, ici, c'est devenu impossible ; trop d'impayés qui traînent en longueur, trop de frais de justice pour ne jamais récupérer de l'argent nécessaire pour les salaires de ses employés et de ses fournisseurs. L'impression d'être dans un système qui se mord la queue.


Notre chauffeur s'est pointé sans que l'on puisse se saluer comme il faut, mais on a voyagé avec son regard chargé et ses intonations gaufrées.



Un peu plus tard, je suis allé participer à un cours de Capoeira donné par le sosie officiel de Ronaldinho, deux heures qui m'ont confirmé le désastre qu'est ma souplesse. Souplesse. Tu parles, Charles. Il faudrait inventer un autre terme. De la soupe on ne garderait que l'assiette. On se rappellerait que less signifie sans en anglais. Disons flex-less, because ça claque.



Une fois fini mon calvaire, parlons donc sans ambages, je rentrais en me repassant le film de ma journée. Entre la salle où j'ai constaté à nouveau l'énigme physiologique incarnée par mes adducteurs et la maison, il y avait l'agitation accompagnant « la grande nuit des achats ».


Un peu plus tôt, dans l'après-midi, j'étais allé m'enquérir de l'état d'un gaillard, effondré sur l'Avenue de la liberté, la nuque dans une position défiant les lois de la gravité.



« T'inquiète pas, mon gars, je me repose un peu. Que la vie te donne la santé ! »


Je traversais cette nuit des achats, j'avais les paroles de mon pote improvisé qui me battaient dans la caboche, plus fort que les basses de la sono déroulée par Emporio Armani ; celles du gustion de l'arrêt de bus s'y mêlaient, ainsi que les effigies des rois du sport, qui m'apparaissaient, dans mon délire, en train d'essuyer leur sueur avec des pages ayant marqué l'histoire de la littérature.



Au suivant. Au suivant. Chantait Brel.



Société du harcèlement, disait Gary.


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lundi, septembre 05, 2011

je fleuve






Pigeon, à hauteur de toit, ou hirondelle, quelques étages plus loin, je ne sais, mais, provenant de l'un deux, un timbre organique s'est esclaffé sur le coin supérieur du livre que je parcourais ; porte-bonheur manquant de couleurs, pas d'odeur.



Ceci, bien que fort peu élégant, n'en a pas moins manqué de m'enchanter ; on se choisit les signes et les superstitions qui nous arrangent, sans doute y a-t-il de cela.



Sur la page meublant mon attente, il était notamment question d'une photo sur laquelle un sourire ancien n'est plus adressé à personne. Je l'ai fait mien, sans hésiter.



Chapardeur de sourires ?!? Je signe.



J'étais posé sur les escaliers de l'église sise à la place du petit Dieu, en face de l'immeuble où se trouve notre nouvel appartement ; un monsieur devait venir faire en sorte que nous puissions avoir de l'eau.



Le popotin d'un animal ailé m'ayant donné le signal, je suis monté jusqu'à notre petit royaume, qui se trouve au quatrième étage ; notre chambre donne sur le Tage.



La ville me dévalait la colonne vertébrale, rebondissait sur le sol pour mieux se loger dans mon ventre. Je serai bien, ici, pour écrire ; très bien. Le lever du soleil va s'étendre à l'horizon, il n'y aura qu'à bien se caler dans une chaise pour en profiter ; puis le coucher qui illuminera la partie orientale de la ville, que nous toisons. L'envie aussi d'aller découvrir ces zones inconnues, sur l'autre rive.



O Rio ; le fleuve.



Eu rio : je ris.



« Et c'est ici que revient l'eau, l'étrange être de l'eau dans sa figure mobile : s'écoulant toujours et demeurant toujours, même en crue, comme une vivante image du temps, et la plus simple, la plus immédiate aussi, la rivière semble, alors même qu'elle s'efface sans fin, prendre en charge tout le passé écoulé et réussir le prodige de confondre en un seul raccourci toutes le dimensions du temps – amont et aval existant simultanément au lieu où l'on s'arrête pour prendre la mesure du flux. Ces arrêts ont partout le même sens, la même vertu – une ouverture métaphysique gratis, une fraîcheur, le plus souvent, et une dilatation. »



J'arrive gentiment au bout du dernier ouvrage de Jean-Christophe Bailly, « Le dépaysement », un livre de haute facture, où une subjectivité tendre et érudite part sur les traces d'un pays, de son Histoire, de ses limites et de ce qui le traverse; pour voir si cela tient encore la route, de dire la France et de penser que cela renvoie à quelque chose de plus ou moins précis.



C'est un peu ce que je fais ici, le savoir encyclopédique en moins. Bailly part d'un sentiment de la provenance, vécu alors qu'il ne s'y attendait pas. Pour ma part, c'est une sensation de proximité dans les tonalités intérieurs, qui m'a fait élire domicile ici. Ces derniers jours, j'ai à nouveau senti combien j'ai Lisbonne dans la peau. Une fois que le détail technique susmentionné avait été réglé, que nos robinets répondaient à chaque sollicitation, je suis allé papillonner. L'après-midi cédait ses droits à la soirée, moment où la lumière rend chaque façade tellement belle qu'on en oublie ses pieds. J'avais déjà eu droit à quelques déjections célestes, je n'étais de toute manière pas à ça près.



Comment ?!? Non, je n'ai pas trouvé de trèfle à quatre feuilles entre deux pavés, pas d'avantage de fer à cheval dans la gueule d'un chien.



Nous sommes tout juste entrés dans septembre, à pas feutrés, mais c'est déjà une autre lumière, une autre atmosphère.



Comment ?!? C'est dans ma tête, tout ça ?!?



Forcément, où d'autre ?!?



Le plus merveilleux, c'est quand la part informulable de ces secousses intérieures, quelle que soit leur nature, parvient à se dévoiler dans les mouvements choisis du corps.



Je suis allé voir « Pina », de Wim Wenders. J'ai des frissons rien que de vous l'écrire. Pour en parler, je pourrais reprendre mon déblogage précédent, et enlever tous les bémols.



J'ajouterais aussi cette scène muette, aperçue hier en rentrant de mes retrouvailles avec la cinémathèque :



Dans un immense panneau publicitaire bordant l'avenue de la liberté, un clochard, d'un âge plus que respectable, inspectait son reflet, tentant de redonner un minimum de tenue à ses cheveux rebelles. Son lit, composé de deux cartons, était à quelques mètres ; deux sacs posés dessus, pour pas qu'il ne s'envole.



Il m'a semblé y distinguer une peluche et des dessins.

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