katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

samedi, octobre 31, 2009

attention, derrière vous










« Les reflets sont parfois plus présents que les choses reflétées. »


Contemplant les miroitements qui dansaient sous le pont Louis Blanc, un de ceux qui enjambent le canal St-Martin, je pensais à cette phrase que prononce Gael Garcia Bernal dans le nouveau film de Jim Jarmusch.


Il la dit dans quel contexte ?!?


Pas la moindre idée, je tire cela d’un entretien que mister Jim a accordé à un magazine.


Je réfléchissais à ceci par rapport à différents éléments, notamment au « Ruban blanc », où Haneke est fidèle à lui-même : perturbant sur le long terme.


« Caché » - dans lequel le réalisateur ausculte la relation entre Daniel Auteuil et Juliette Binoche alors qu’ils reçoivent d’étranges cassettes où ils apparaissent – s’était à nouveau invité dans mes pérégrinations mentales quelques jours plus tôt, en lisant « Des hommes » de Laurent Mauvignier. Cette manière qu’ont des souvenirs enfouis de refaire surface sur le tard, cette façon subtile de montrer tout ce qui n’est pas réglé entre la France et une partie de son Histoire ; ce que cela peut fausser, une vie durant, chez des gens qui ont vécu, qui vivent ces cicatrices de l’intérieur.


La plume de Mauvignier, s’immisçant avec brio dans la brume mentale des protagonistes, est, comme dans chacun de ses livres, d’une justesse époustouflante.


S’il obtient le Goncourt, je me permets d’affirmer que la chose reflétée sera alors plus présente que ses reflets ; peu importe la « gloire » du prix, la vitrine que cela donnera à ce livre, c’est l’œuvre que cet écrivain façonne qui compte ; pas « people » pour un sou, pas « putassier » comme tellement d’autres, juste un type qui, comme avait titré « Le matricule des anges » dans le superbe dossier qu’il lui avait consacré il y a trois ans, écrit « à hauteur d’homme ».


Dans « Le ruban blanc », le reflet est d’entrée posé comme prêtant « à caution », « je ne sais pas si tout ce que je vais vous raconter s’est véritablement passé ainsi », avertit le narrateur ; puis nous nous retrouvons dans un petit village allemand, au début du XXème siècle ; on assiste à la chute de cheval du médecin du village, du fait d’un fil apparu d’on ne sait où ; premier événement troublant qui ne tardera pas à « faire des petits ».


Faire des petits ?!?


Oui, parce qu’une interrogation se précise assez vite : Qu’est-ce qui se passe dans la tête des enfants à qui on ne demande qu’une chose, se conformer aux instructions du pasteur et de l’instituteur ?!? Qu’est-ce qui se cache sous leur absence d’expression, sous l’acceptation muette des punitions ?!?


« La famille, dans le moment qu’elle vous constitue, vous destitue de tous les possibles » déclarait Laurent Mauvignier au matricule.


Qu’est-ce qu’on regarde, dans son miroir, quand on refuse obstinément de voir une vérité parce qu’elle dérange ?!? Soi ? Ou, précisément, le pâle reflet de ce qu’on n’arrive pas à confronter ?!? De ce à quoi on n’arrive pas à se confronter ?!?


T’es bien tordu!!!


Ouais, rien de bien nouveau sous la voltige.


Haneke ne signifie pas miroir en français, non ; mais cela pourrait. Un miroir sous lequel on n’inscrirait pas « fumer tue » ou « manger cinq fruits et légumes par jour est vivement conseillé pour votre santé », non ; plutôt : « attention, derrière vous ».


Je dis cela d’Haneke, mais c’est transposable à de nombreux livres et films qui apportent vraiment une pierre à l’édifice de nos vie, ils nous disent tous : « attention, derrière vous. »


Attention, derrière vous ; il y a quelqu’un d’inquiétant qui vous ressemble beaucoup.

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dimanche, octobre 25, 2009

Le simple préserve l'énigme



« Le silence matinal est beau et nu
De sa lèvre vient plus de force
Que du torrent d’avril
Ainsi je trouve la paix
Nécessaire à passer les mailles du jour »


Jacques Chessex est sorti de scène, à Yverdon ; chez moi, ou presque. « Chez moi », cela se trouverait, disons, plutôt depuis le bord du lac, puis en direction de Grandson, jusqu’à Concise.


A l’intérieur des terres ?!? Disons entre Vuiteboeuf et Provence, ce qui fait une jolie surface pour, pour tout je crois.


Cet été, j’ai lu avec surprise que la fin du « chant du monde », de Giono, prend place « dans le coin ». On y est bien, « dans le coin », avec ou sans bonnet d’âne ; même si, comme partout, certains seraient bien inspirés de s’en départir. « L’Homme est indécrottable » m’a dit le retraité qui m’a permis d’arriver à Tulle.


La ville d’Yverdon ne me plaît pas, je lui concède seulement quelques parenthèses colorées : le Tempo, La librairie à l’étage, Poste-it. Jacques Chessex n’est pas sorti de scène dans un de ces trois endroits, je ne lui en veux pas. Il a déjà fait de son mieux, son dernier souffle a retenti comme un écho vide en direction de la personne qui lui reprochait d’avoir défendu Polanski ; point final parfait, venu se déposer à la suite des livres du vieux Jacques où les atermoiements de la chair, saupoudrés de trouble divinité, prenaient beaucoup de place.


On y lisait aussi une capacité sans pareille à ausculter les petites tambouilles helvétiques, « Un juif pour l’exemple » et « Le vampire de Ropraz » croquant cette partie d’un pays qui échappe aux livres d’Histoire. Une des sources de grandeur de la littérature.


Son ultime battement de cils, qu’il avait moins fournis que sa moustache, exécuté sur une interrogation en suspension. Autre grandeur de la littérature.


C’est tout d’abord ma maman, comme pour Chappaz, qui m’a appris la nouvelle ; puis Benoît ; puis j’ai lu ceci, que j’ai beaucoup aimé, tellement que cela a retardé mes lignes à ce propos, je n’avais rien à ajouter.


Je me suis finalement dit que je pouvais au moins vous transmettre le lien, et comme je suis une pipelette électronique, cela traîne en longueur ; comme le brouillard nord-vaudois qui s’étire souvent depuis chez moi jusqu’à Payerne. Il s’atténue ensuite assez vite quand on continue en direction de Fribourg ; Fribourg, c’est aussi un peu chez moi.


Béatrice, j’ai bien hâte de me retrouver à Locarno beach ; Raphu, Luca, ça va « bouncer » près de la cathédrale.


Jacques Chessex s’est tu, sa voix s’est fait la malle alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole ; je me rappelle la seule fois où nous avons discuté, c’était au salon du livre de Genève, il était tout seul derrière des piles de livres ; comme je n’étais pas une demoiselle, je ne le suis toujours pas, il ne m’avait tout d’abord pas vu ; puis je lui avais demandé s’il accepterait de déposer un mot dans un de ses livres, je lui avais tendu « Le désir de la neige ».


Là j’avais tout de suite changé de registre, non seulement je l’avais lu, mais je lui demandais de signer un recueil de poésie, cette poésie qui lui tenait tant à cœur (chacune de ses journées commençaient pas cette exercice) mais que peu de gens parcourait ; encore plus rares ceux qui s’y arrêtaient, qui y revenaient ; j’en étais ; il a d’abord eu de la peine à le croire, puis ensuite il s’est enflammé.


J’étais devenu presque aussi mystérieux que le postérieur des jeunes filles qui passaient.


Je n’étais pas resté très longtemps, je me sentais mal à l’aise déguisé de la sorte.


J’avais pensé lui écrire, mais je ne l’ai jamais fait. J’avais de nouveau hésité, l’année dernière, après « Le simple préserve l’énigme », titre superbe faisant référence à une formulation d’Heidegger ; mais non, je ne lui avais pas fait signe.


Parti en faisant silence, je m’en remets à ses écrits pour clore ce déblogage dominical :


"Je regarde en arrière: c'était comme ça. Et mes livres sont comme ça. Je ne me soucie pas de leur qualité, encore moins de leurs défauts, ils étaient nécessaires à qui j'étais. Et surtout, je l'ai dit, à quoi j'étais et devenais. Ils me manquaient, je les ai faits. J'ai la paix avec mes livres."

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mercredi, octobre 21, 2009

dans le bref soupir de silence entre un mot et un autre







Ne pouvant pas imaginer quitter la Corrèze sans m’être rendu dans la librairie « Préférence », où rayonne Pierre Landry, j’avais demandé à Cyrille de me déposer à Uzerche, petite ville se situant sur la ligne Brive - Limoges, avant d’embaucher.

Il y a une naïveté suisse, une habitude de privilégié, qui me dessine parfois une moue de dépit quand je suis chez notre grand voisin français, en province, loin des « grandes villes »: la désolation sanctionnant celui qui a envie de s’en remettre aux transports publics.

Arrivé sur place à 8h30, j’apprenais que la prochaine et seule correspondance pour Tulle prendrait la forme d’un bus, départ aux environs de 13h30.

Joie et bonheur.

Cyrille m’a souri: « T’as un pouce? T’as un morceau de carton? Je vais t’amener à la sortie de la ville, tu verras, ça va le faire, il y a plein de monde qui va à Tulle. »

Yeah my man.

Seul détail de l’histoire pouvant se muer en inconvénient : ma barbe, qui avait depuis longtemps pulvérisé son propre record de longévité; c’était un sourire « touffu » que j’allais présenter aux automobilistes.

Un type bossant dans le maraîchage bio et un couple de retraités plus tard, mes doutes quant à mon potentiel d’auto-stoppeur chanceux étaient dissipés; il était 9h30, je posais le pied à Tulle, un petit marché sympathique me déroulait le tapis vert le long du quai.

« Eh bien cela n’a pas été une mince affaire pour arriver chez vous! »

« Ah non?!? Assoyez-vous donc, je vais vous préparer un petit café pour que vous me racontiez ça. »

En un regard, une main sur l’épaule, je voyais s’incarner ce que j’avais deviné depuis que j’avais entendu parler du personnage: chaleur et envie de partage.

Nous avons peu parlé de livres, durant la matinée; après lui avoir conté une partie de mes aventures, après lui avoir expliqué comment je le connaissais, j’ai pris le temps de me laisser transporter par ses étagères pendant qu’il discutait avec des représentants de passage.

« Un ami suisse », c’est ainsi qu’il m’a introduit auprès des personnes qui entraient dans ce lieu fabuleux; j’étais là depuis moins d’une heure.

A midi, alors qu’il mangeait en charmante compagnie, je suis allé visiter la bourgade; je me suis vite retrouvé au cimetière, assis près de la chapelle qui surplombe les lieux. « La vitesse des choses » de Rodrigo Fresan, que j’avais glissé dans ma besace, n’y était sans doute pas pour rien.

« Je m’explique: quand on croit que tout est fini, les morts continuent de vivre dans les endroits les plus insoupçonnés, presque toujours très proches. Dans le bref soupir de silences entre un mot et un autre, par exemple. »

Si passer près de tombes de déportés ou de résistants ne me laisse jamais indifférent, c’est autre chose qui m’a remué, ce jour-là : un papier déposé sur de nombreuses sépultures en piteux état:

« Le propriétaire de la concession ou les membres de la famille sont priés de s’adresser au gardien. »

Des frissons jouaient à cache-cache dans mon corps, je revoyais les tombes de Champagne « retournées » parce que le « forfait » n’avait pas été prolongé.

Vous reposerez en paix ; enfin en tout cas 15 ans, après cela dépendra des finances des poursuivants directs de votre lignée.

Cette phrase est revenue me questionner quand je me suis glissé dans le cimetière de Montparnasse, rutilant, où tout un chacun déambule par intérêt « touristique », téléphone portable collé à l’oreille.

Pour me réconforter, j’ai laissé s’imposer à mon esprit le souvenir de celui situé au bord de la mer, à Mahdia ; innombrables pierres blanches anonymes surplombant et entourant un minuscule port rempli de barques bariolées. Pas loin de là, il y a le café sculpté dans une paroi rocheuse où nous sommes allés si souvent pendant les vacances d’été.

C’est là-bas que j’établirai mon bureau imaginaire, quand j’écrirai ma véritable « naissance tunisienne » ; quand je ferai en sorte que le lien « en puissance » qui me lie à la terre de mon père devienne, vraiment, une part de mon essence.

« Le propriétaire de la concession ou les membres de la famille sont priés de s’adresser au gardien. »

Qu’est-ce qu’il est censé faire, alors, le gardien ? Il le(s) sermonne en tendant un bulletin de versement ? Il lui (leur) demande s’il(s) serai(en)t content(s) de voir sa (leurs) tombe(s) dans cet état, après quelques années ? Il débouche une bouteille de Whiskey ? Il signale cette autre formulation « officielle » où grotesque et gravité se bousculent : « En cas de tempête ce jardin sera évacué » ?


« Rappelez-vous que ceci est peut-être l’histoire d’une cicatrice. Ou peut-être pas. En tout cas, il n’est pas très sage d’exiger d’une cicatrice qu’elle soit disciplinée ou excessivement cohérente.

Les couteaux sont là pour ça. »


Fresan, de nouveau.

Puis je suis retourné dans la librairie, j’y ai bu un café en trois heures, du moins c’est l’impression que j’ai eue ; tout à coup, il était 16h, je devais aller retrouver Cyrille et Marion.

Livres et pensées avaient une fois de plus détraqué le temps.

« Tu m’écriras, je te répondrai, sois-en certain. Merci de t’être donné la peine de venir me trouver. »

Yeah my man.

Alors je m’en suis allé, j’étais un peu « à côté », plaisamment « à côté » ; déconnecté, mais confirmé.

Sa voix reviendra souvent, je l’entendrai me dire que tel livre doit être lu extrêmement lentement, la première fois ; les relectures, c’est autre chose, on y voit mieux, différemment. Mais la première lecture. Je l’entendrai me dire qu’il regrettera toujours de n’avoir pas lu, pas su lire « Guerre et paix » à 15 ans.

Les premières lignes de « Pour Sganarelle » (ce ne serait pas Gary qui a écrit ça ?) se superposeront aux paroles de Pierre Landry : « parce qu’autant commencer par Tolstoï, puisqu’il faut bien commencer quelque part » ; je reproduis de tête, les puristes me passeront cette licence.

Alors je m’en suis allé, j’étais un peu « à côté », plaisamment « à côté » ; déconnecté, mais confirmé.

Depuis une semaine, je suis parti des environs de Lubersac pour rejoindre Paris, où s’épuise ma douce. Il a fallu d’abord se séparer avec peine de Marion, Cyrille et Mila – photo à l’appui, dès trois mois, on peut faire comprendre à un petit comment s’affirmer haut et fort, sans pleurer ; « tonton Karim », pas peu fier avec la petite révolutionnaire -, j’ai fait le trajet avec un militaire fraîchement retraité, parcours où les discussions ont pris leurs aises entre Histoire, voyages et livres ; le monsieur a travaillé à Berlin de 89 à 91, du décès de Rudolf Hess à la réunification des deux Allemagnes, voilà qui n’est pas anodin.

Une amie de Manel nous a mis à disposition une charmante petite chambre de bonne, non loin des Jardins du Luxembourg ; je suis donc irrésistiblement attiré par les bouquinistes ; pôles puissants qui m’ont mis entre les mains les « fragments verticaux » de Roberto Juarroz ; en une phrase, le poète argentin concentre ce que je tente de dire, laborieusement, à chaque fois que je m’époumone par écrit :

« Penser entre deux, comme si faire la pensée fût pareil à faire l’amour. »

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samedi, octobre 17, 2009

une virgule de vue










Au petit matin, encore débordantes de rosée, les toiles d'araignée tissées à fleur d'herbe donnent l'impression d'être des reproductions miniatures des filets perchés aux sommets des pommiers. Ou vice et versa. Enfin à peu près. Les seconds nommés, imposés par le porte-monnaie des assureurs, protègent de la grêle, alors que les seconds égrènent simplement le chapelet d'une nature tutoyant souvent le merveilleux.


Le rythme de mes pas s'accorde au soleil qui va poindre, des touffes de brume sont encore accrochées au fond de la vallée, à quelques vagabondes minutes de mon point de vue. Un point de vue? Non, tout juste une virgule, la phrase matinale scandée par mes regards ne fait que commencer. Je respire en cadence, réflexe de l'homme qui court, habitude qui fluidifie le sang et la pensée.


Une virgule de vue, j'aime bien cette idée, moi qui vous saoule avec mes points-virgules; envie de les réhabiliter; parce qu'eux aussi ont tout à voir avec le souffle de l'écriture.


L'homme pour qui j'ai cueilli les pommes est bien mal en point, il boîte bas du fait d'une importante fracture, boit haut pour préciser sa mine défaite.


Premier jour d'embauche, quelques minutes avant l'heure du rendez-vous, quelle est cette silhouette tout juste vêtue d'un short qui soulage gracieusement sa vessie à côté de sa porte? Je crois bien que c'est lui.


Il nous voit.


"Salut les gars, vous êtes déjà là?"


Non, non.


Pour arroser davantage ce tableau de pathétique facture, sa maman, qui aurait grand besoin qu'on s'occupe d'elle, fantôme dans la cuisine, répétant inlassablement les mêmes questions et réponses. Elle veut s’en aller avec chaque personne qui passe par là.


« Emmenez-moi loin d’ici, je ne suis pas chez moi; et je m’ennuie tellement. »


Sa maladie efface bien des éléments, mais épargne pour l'instant l'estomac de ses lapins, jamais elle n'oublie de les nourrir.


Persistance d'un automatisme qui se présente à moi comme un (dé)clin d'œil à destination de la mécanisation qui fait tant de mal dans les zones rurales, donnant de grands coups de pelle mécanique dans le château de cartes du travail à la ferme.


Me viennent en tête les images des milliers de litres de lait jetés par des producteurs, contraints d'en arriver à de telles extrémités pour faire comprendre combien leur situation est invivable; va-t-on continuer longtemps de raboter tellement le prix des denrées essentielles, à cause d'une concurrence irraisonnée, qu'il devient impossible pour les paysans de subsister?!?


Boire du lait régional, plutôt que, pour quelques centimes de moins, de celui produit en Australie, ce n'est pas du protectionnisme, c'est du bon sens; cette qualité limée par la bureaucratisation et la chasse aux profits.


"Oh petit, le Progrès, le Progrès, c'est lui qui va vous tuer, petit. Viens d'abord goûter un verre de Ratafia, petit, ce serait dommage de mourir idiot."


La voix d'un autre agriculteur tout proche s'impose à moi. Nous étions passés pour du bois, puis l'heure de l'apéro guignant, on était restés un peu plus longtemps.


Hé grand, l'heure de l'apéro, ce serait pas dès que tes deux pieds te portent hors du lit ?


Lors de mon séjour corrézien, je suis allé souvent aux champignons, suivi de près par les deux toutous de la maisonnée: Marcel et Gaïette.


Ils s’invitaient également souvent dans les vergers, faisant alors la fête à « Pépé », notre vétéran. Plus de 70 ans, mais encore à cueillir, sans démériter. Quand il ne se sentait pas bien, il nous expliquait qu’il y allait avoir un tremblement de terre ou une autre catastrophe, quelque part sur terre. La triste teneur des informations ne pouvant que renforcer son impression, chaque jour des horreurs déversées dans les crânes, à la pelle.


T’y tiens à ta pelle, aujourd’hui!


C’est que depuis des années que je ne regarde plus la télévision, hormis pour des matchs de foot, de temps en temps, les rares fois où je suis confronté au « Journal » ou à des prétendues émissions d’informations, c’est le sentiment que j’ai, de me trouver face à une pelleteuse mécanique.


Même chose quand je parle avec certains mordus de la télé, la sensation qu’ils ont des « entonnoirs » dans les yeux; pour ne pas dire des caillots dans le cerveau.


"Si je pouvais contribuer à décomplexer par rapport à la philosophie et à la pratique de la pensée les gens de ma génération, les philosophes thésards comme les autres, ça, ce serait un acte révolutionnaire. Au sens le plus plein que puisse prendre ce terme aujourd'hui. »


C’est Mehdi Belhaj Kacem qui dit cela, dans un livre d’entretiens intitulé « Pop philosophie ». Il est importantissime de s’efforcer de penser par soi-même. La pensée qui est cet exercice périlleux qui se tient à des années lumières des opinions énoncées le plus fort possible en tapant du poing sur la table.


Le rythme de mes pas s'accorde au soleil qui va poindre, des touffes de brume sont encore accrochées au fond de la vallée, à quelques vagabondes minutes de mon point de vue. Un point de vue? Non, tout juste une virgule, la phrase matinale scandée par mes regards ne fait que commencer. Je respire en cadence, réflexe de l'homme qui court, habitude qui fluidifie le sang et la pensée.


Dans penser se devine le terme de souplesse, de générosité aussi; générosité dans l’effort, parce que réfléchir peut être inconfortable, en ce que cela, notamment, contraint à s’intéresser à tout ce qui met à mal ses petites certitudes. Pour penser il faut aussi réussir à se mettre à la place de l’autre, exercice périlleux dans lequel échouent presque tous ceux qui « savent tout sur tout ». Je vous laisse faire le test quand vous en croisez un.


J’ai lu quelque part une personne qui, parlant d’un être qui l’avait marqué, disait de lui que « sa simple présence contraignait son interlocuteur à penser ».


Cela constitue désormais une jauge personnelle, quand on me parle de quelque un qui a « réussi sa vie ».


« Vous croyez que d’être à ses côtés triturait les neurones?!? »


Je ne récolte souvent que moue de dépit.


Il est irrécupérable ce garçon.



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votre joie est votre tristesse sans masque








Un parterre de châtaignes, des arbres sens dessus dessous, des branches couvertes d’aiguilles venant sanctionner mes tibias lorsque je me suis aventuré sans bottes; le soleil fait des aquarelles quand il parvient à se faufiler à travers le feuillage, ou alors, d’autres jours, c’est la pluie qui peint une fresque pointilliste où les traits s’effacent à mesure, il ne s‘agit que d‘éclabousser la toile pour la revivifier.


Souvent je m’arrête pour prendre de pleine lampée de ce qui, autour de moi, se distille de merveilleux.


Gamin, mon grand-papa me mettait en garde quand il voyait que j’avais envie de guigner dans les fûts remplis de fruits qui allaient se muer en digestifs; aspirer trop fort et ma tête ne s’en remettrait peut-être pas.


Ici, pas d’avertissements, au contraire; une exhortation à déployer ses poumons, à aérer ses yeux.


Cela déborde à l’intérieur; c’est une eau de vie qui n’aime pas être enfermée, qui n’a pas besoin d’être fermentée, la joie.


« Plénitude heureuse » écrit Philippe Jaccottet dans « Couleur de terre » qui vient de paraître.


Oui, plénitude heureuse.


« Votre joie est votre tristesse sans masque » peut-on lire dans « Le prophète » de Gibran, une affirmation qui était l’invitée de marque des belles discussions partagées avec Marion, dans ce coin de France où la folie de nos vies respectives nous a permis de nous retrouver pour un mois que je ne suis pas près d’oublier.


« Votre joie est votre tristesse sans masque », c’est une formulation qui a été le refrain de plusieurs des belles rencontres qui ont rythmé mon année; un refrain qui a déposé Maud, Marta, Lucie et Fanny sur la face-cœur de mes paupières.


Passée une clôture qui n’en est pas vraiment une, mes bottes m’ont souvent emmené sous un marronnier majestueux, pour y chiper des coulemelles, rebaptisés « yes man » par mes soins, afin d’y grappiller un peu de bois sec, précieux au moment de l’allumage de feu, ou simplement pour y passer les minutes où s’achève la journée; l’apaisement qui caresse dans le sens des voiles, celles qui n’éloignent que pour mieux définir la tendresse, pour la polir.


Quand vous me faites le plaisir de me lire, vous venez vous saisir de cette pierre lisse qui se pelotonne dans ma paume; j’aime que vous mettiez ce caillou dans votre poche, j’aime la douceur de cette curiosité qui sait dépasser l’incompréhension, qui interroge le décalage.


Se remettre en cause, c’est en permanence avoir conscience qu’il y a un moment où le "bousculement" peut mener au basculement; écrire, pour moi, c’est faire l’équilibriste entre les deux, c’est se balancer sur cette marge humaine pour la mettre en perspective.



« Je pense que c’est le devoir des intellectuels et des artistes d’appuyer constamment là où cela fait mal », a dit Michal Haneke, dont « Caché » me poursuit encore, au journaliste du « Temps ».


Parce que toi tu serais quoi, un pseudo intellectuel ou un pseudo artiste ?!?


Non, non, juste un pèlerin curieux ; malicieux aussi, parfois.


J’aime bien mettre mon bâton dans les jambes de ceux qui ne regardent jamais où ils mettent les pieds.



Sourire; marcher; lire.


Autant de piliers soutenant la toiture:


Rire; courir; écrire.


Voltiger d’un palier à l’autre.


Entre de fines gouttes de silence.


Vous avez déjà lu ça quelque part?!?


Bizarre, bizarre.


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