katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

lundi, janvier 31, 2011

nouvelles déambulations cimetiériennes






Dans mon sac un thermos rempli - infusion de gingembre miellée à souhait au programme -, un livre – j'y reviendrai - et du papier – j'y suis, en quelque sorte -, je pouvais aller prendre mes aises sur un banc. Direction le parc Edouard VII. Un endroit plutôt mal fagoté, ceci dit. Il prolonge l'Avenue de la Liberté, cette ouverture au couteau effectuée par le marquis de Pombal, dont la réplique statufiée semble vouloir en découdre avec le ciel. Une démesure qui ne le rend pas bien sympathique.


Un lieu étrange, difficile de ne pas avoir l'impression qu'il s'agit d'un bel espace complètement gâché – alors qu'il serait tellement facile de mettre deux goals de foot et un petit kiosque-café-librairie, non mais je vous jure -. Une longue tranchée divisée en trois partie: quelques bosquets tentent de rendre verte celle du milieu; des arbres sont bien sagement alignés sur les parties extérieures bétonnées. Accoudé contre ceci: un passage boisé où somnolent quelques tables; un bâtiment qui prétend être le musée du sport mais que je n'ai jamais vu ouvert; une fontaine aussi perdue que les oies qui y barbotent. Tout ceci, en pente, pour plus de fun.


En traversant la route pour venir lire au soleil, j'ai aperçu une voiture qui devait s'arrêter, poursuivie qu'elle était par la police. Tout le monde regardait cela avec avidité. Ils avaient du sensationnel à portée de pupilles. Ils allaient avoir quelque chose à raconter.


Je me suis dit, en détournant le regard, que j'avais précisément envie, dans ma manière de respirer le quotidien avec un kaléidoscope épris de lenteur, de déplier délicatement tout ce qui est le contraire de ceci.


C'est déjà raté.


Les paupières sont la première chose à disparaître, après la mort, quand le corps commence à se décomposer. J'ai lu ceci dans « Les jardins de Kensington » de Rodrigo Fresan. Un type qui me bluffe pour la troisième fois, et sans doute pas pour la dernière. C'est tout de même fabuleux d'écrire des trucs complètement déjantés, et de réussir à en faire de remarquables grilles de lecture de nos vies, de ce qui ronronne en nous.


Les paupière s'éclipsent, chargées de souvenirs; elles vont déposer ce précieux pollen dans une ruche à histoires, quelque part.


On croit que Nabokov chassait des papillons, mais pas du tout, il tentait d'attraper des fragments de vie échappés de cercueils empotés.


D'où mes fréquentes déambulations cimetiériennes.


J'y vais avec mon filet, à l'affût de l'imagination qui me fait défaut.


Je ne fais pas de raffut.


Ce que j'y recueille est souvent confus.


Mais c'est délicieux, apprêté avec un peu de Tamiflu ou de tofu.


Hier, pour ne pas perdre nos funèbres habitudes dominicales, nous sommes allés, quand la musaraigne est sortie du musée du théâtre (je n'arrivais pas à lâcher Rodrigo), nous promener dans le cimetière de Lumiar.


« Tiens, j'ai l'impression d'être de nouveau en Iran » m'a-t-elle dit, lorsque nous avons vu passer une vieille portugaise, recouverte de noir des pieds à la tête. Elle est allée sur une tombe, elle y a pleuré longtemps, avec un volume sonore plutôt surprenant.


Je me suis dit qu'il faudrait proposer à certaines dames du pourtour méditerranéen n'étant pas de confession musulmane, d'aller habiter à Belleville, ou de s'inscrire dans certaines universités, histoire que le débat sur le voile soit un peu moins stéréotypé. On pourrait intituler ceci: « Les hirondelles se raboulent pour foutre les boules ».


En portugais, aimant se dit íman. Il s'agit de l'objet, pas du participe présent d'un verbe important. C'était juste en passant.


Il y a dans ce cimetière un « espace d'inhumation réservé à la communauté musulmane », hormis trois ou quatre tombes, toutes celles qui sont dans cette partie ressemblent à celles qui, dans les autres parcelles, logent des anonymes. Elles sont remarquablement sobres. Il y a une différence avec celles des catholiques (ou supposés tel) enterrés sans que l'on sache leur nom: il n'y a même pas l'année du décès.


La mort, débarrassée d'une certaine faconde, a un je-ne-sais-quoi de plus délicat. On semble se rappeler qu'elle va de soi.


Marchant dans une des allés, je constatais que, du fait de légères différences de dénivelés, certaines tombes se confondaient, dans la vue qui s'offrait à moi, avec les immeubles qui se trouvaient derrière; ceux d'une de ces zones construites en vitesse pour loger un maximum de gens sur un minimum de surface. Interpellante superposition.


Sur certaines plaques, il y a des photos. Les petits mots gravés sont diversement inspirés. J'ai noté cette inscription: « Il a vécu comme il a aimé. »


Entre les HLM et le cimetière, il y avait une friche qui nous faisait de l'œil. Nous avons donc décidé d'aller y voir de plus près. En nous y rendant, nous avons observé une ribambelle (j'adore ce mot où résonnent « bambins », « rabibocher » et Babibel) de pigeons, ils étaient disposés tranquillement sur le toit d'un magasin de fleurs en plastique. Ceci explique peut-être cela.


Les pieds zigzaguant dans les décombres, je pensais déjà à ces lignes, ainsi qu'à bien d'autres, à venir ou à vernir. Dans le début d'une lettre à ma soeurette belge, qui aime aussi se confronter au blanc de la page, je lui ai écrit qu'en portugais, esquisse (esboço) et effort (esforço) se ressemblent beaucoup. Ce qui agite dans ma tête ces vers de Vladimir Holan: « De l'esquisse à l'œuvre, le chemin se fait à genoux. »


On m'a eu dit que, quand je joue au foot, je suis souvent parterre. Quand j'écris aussi.


Juste une question de combativité.


Certains ajouteront que je suis surtout un peu "chtarbé".


Je dois dire qu'il y a du vrai.



Libellés : ,

mercredi, janvier 26, 2011

des sourires débordant de larmes












Je me suis assez vite demandé si j'avais déjà eu l'insigne privilège d'être assis à côté d'une personne capable de faire autant de bruit en lisant. Un expert en la matière, assurément. Une panoplie complète d'astuces: respirations qui jongle entre soupirs et gémissements, papier de journal manipulé avec la douceur d'un sanglier en rut, des mouvements du haut du corps aussi discrets et gracieux que ceux d'une machine de chantier.


Un spécimen rare; un énergumène collector.


Bien sagement assis dans la biblithèque de l'Institut franco-portugais, je tentais de lire des lignes de Vassili Golovanov sur Vélimir Khlébnikov.


Ou quand il ne s'agit pas de qui vole un œuf vole un bœuf, mais d'un « -ov » qui peut en cacher un autre.


Sans qu'il soit question de mettre tous les « -ov » dans le même panier.


Bon, d'accord, vous pouvez choisir la sanction:


Bof bof bof.


Ou:


Mazel tov.


D'après mes investigations électroniques, cette expression juive signifie, littéralement : bonne constellation. Il y a peu, j'ai reçu un message qui m'a beaucoup touché. Il était le fruit d'un ami un peu particulier, que je n'ai pas vu depuis longtemps. Il y était question de la révolution saturnienne que je suis en train de vivre. Absolument. Saturne met semble-t-il trente ans pour faire le tour du soleil.


Et moi pour faire le tour de la lune?!?


Je ne sais pas trop, mais pour faire celui des urnes portugaises, cela a vite été expédié.


Dimanche après-midi, j'ai demandé à un type si on allait savoir les résultats de la présidentielle le jour-même. Il a bien ri, puis m'a demandé si je n'étais pas au courant que le vainqueur était déjà connu depuis longtemps. Ce que l'on m'avait effectivement déjà laissé entendre. L'heureux élu par avance étant le brillant président déjà en place. Il a joué les calimeros toute la campagne. Quand il oubliait de geindre, il s'achetait un bâtiment sur l'Avenue de la Liberté, pour assurer sa campagne de promotion.


Au final, Cavaco Silva a en effet gagné, sur un score presque digne de ceux de Ben Ali du temps de sa superbe. Avec une abstention record de plus de 50%. Et près de 200'000 votes blancs. L'Union Européenne nous construit une démocratie de toute première qualité.


Mazel tov.


On entend ceci dans l'adaptation cinématographique de « La vie devant soi », projetée lundi à l'IFP. Elle avait été précédée d'une présentation de Gary, à l'occasion de la sortie du livre en portugais.


Entendre les propos très enthousiastes de la traductrice (qui semble avoir joué un immense rôle dans ce magnifique évènement), ainsi que ceux de l'éditeur (qui a expliqué qu'après avoir été, dans un premier temps, sceptique, se voit aujourd'hui heureux de savoir que ce livre « remarquable » existe. « Il mérite de pouvoir être lu en portugais » a-t-il ajouté.), m'a tout embué les yeux. C'était plus fort que moi. J'avais l'impression d'être ma maman quand elle est émue, je ne pouvais pas parler sans pleurer.


J'ai de ces faiblesses. Non mais des choses pareilles.


C'est qu'un auteur qui parvient, dans le même temps, à vous mettre la main sur l'épaule, puis à vous prendre par les pieds pour vous faire tourner très, très vite; sans oublier, souvent, de vous offrir des sourires débordant de larmes, ben c'est clair qu'on a envie de propager ses ondes de vitalité et de lucidité désespérée. Elles sont essentielles.


« La vie devant soi » fait partie de ces ouvrages rares que l'on peut ouvrir à n'importe quelle page, et être bouleversé. Vous pouvez faire le test avec vos livres préférés, il n'y en a pas beaucoup qui sortent de cette épreuve avec mention.


Je vous parlais de Golovanov, au début de ce déblogage; son « Eloge des voyages insensés », même si dans un style complètement différent, est de ce tonneau.


Ne pas psalmodier les voix qui nous ont traversé, mais les faire changer de tempo, parfois "funky", parfois plus classique, au gré de nos rencontres. Pour donner envie. Pour faire passer ce qui nous a permis de nous dépasser.


Rubens m'a imprimé un magnifique entretien avec Vitor Silva Tavares, le directeur des éditons Etc., une maison qui publie des petits livres fabuleux, le plus souvent de poésie. Il y parle d'une personne qu'il considère comme un maître; non pas un professeur, un maître. Parce que, explique-t-il, il ne lui a rien enseigné, mais il l'a « mis en position de savoir ».


Avant de vous libérer, je ne résiste pas à l'envie de glisser encore ces mots de Jean Birnbaum, parlant de Mathieu Lindon, parlant de Foucault (ou quand « parlant » joue à saute-moutons):


« C'est aussi parce qu'à ses yeux l'éthique de la transmission se confondait avec la vie elle-même, elle se déployait dans les gestes de confiance et de tendresse, elle appelait au moins autant une intensification du désir qu'une volonté de savoir. »

Libellés : ,

mercredi, janvier 19, 2011

quand gésir devient "jazzy"





Aqui jaz, écrit comme ça, on pourrait presque dire que ça claque, non?!?


On y lit aki, cette petit balle prisée de footeux déguisés en skaters, ou l'inverse. Certains disent footbag. Dani, un des types les plus atypiques que je connaisse (grand gaillard tout sec, mélange d'argovien et de fribourgeois dégingandé, coiffé de dreads blondes, joueur de cithare et de piano, s'exprime avec un succulent accent suisse-allemand, expert snowboard nationalement reconnu, enseignant et bientôt psychologue; se promène souvent, il arrive que ce soit sur une grande planche à roulettes funky, avec deux petites filles), a été vice-champion suisse de cette spécialité.


Une fois, j'avais fait sa connaissance depuis peu, alors que j'étais sur le point de partir courir, il m'a dit que je pouvais passer jongler un moment avec lui. Il a ajouté qu'il jouait une vingtaine de minutes, puis qu'il était crevé. Cela m'avait fait sourire. Se fatiguer en jouant au aki, y a vraiment des pavratches. C'est ce que j'avais pensé. J'expliquerai pavratche une prochaine fois, ou pas. J'y étais allé, pour me marrer. Il m'avait pris des chaussures, et tout et tout. Dès qu'il s'est mis à jouer, disant, sans arrêter de sautiller, en réalisant des figures que je ne pensais voir qu'à la télé: « ça c'est le papillon népalais, 7 points; ça, le radiateur hongrois, 5 points; plus dur, l'épervier péruvien, 9 points; ... », j'ai ramassé ma mâchoire qui était sur le point de rouler jusque dans la rivière, puis je suis parti courir. Je n'avais pas eu l'impression d'être très performant, dans mon souvenir.


(On peut voir une mistinguette qui assure, ici.)


Aqui jaz, donc. On y entend aussi un peu Miles Davis et Charlie Parker, on ne sait pas où est allé traîner le deuxième « z », mais s'il avait envie de vibrer ailleurs, grand bien lui fasse.


Aqui jaz, en fait, ça veut dire « ci-gît. » Jazigo, c'est un caveau mortuaire. J'ai appris ceci en passant une partie de ma balade dominicale dans le cimetière de Prazeres. Un endroit étrange, les caveaux, bien plus nombreux que les tombes, donnent un côté excessivement solennel. Plusieurs caveaux portent une affiche annonçant qu'ils sont « abandonnés. » D'ailleurs c'est l'impression que l'on a, dans ces allées de cyprès emmurés, en constatant combien il est vain de vouloir maintenir ainsi le souvenir, on a le sentiment d'avoir abandonné le monde. Qui s'en moque complètement. Probablement qu'il écoute du jazz en jouant au aki.


Peut-être avec les trois gustions qui s'effritent, sur le T-shirt que Loïc m'avait rapporté de New-York. Il l'a acheté à un type qui les fait imprimer lui-même, à partir de photos qu'il prend. Là, c'était trois blacks, épaule(s) contre épaule(s); celui du milieu faisait tourner un ballon de basket sur l'index de sa main gauche. Il aurait fallu que je le lave de manière plus méthodique, pour qu'ils ne se fassent pas la malle, mes trois potes, lambeaux après lambeaux. Il reste environ le tiers supérieur. On peut croire, quand on me croise, que ma négligence est stylée, que je suis un mec tendance. Oh yeah. Quand l'image commencera à s'effacer, je pourrais raconter des histoires remplissant le rectangle un peu décoloré qui aura subsisté. Je pourrais inventer différents motifs, pour répondre à ceux qui me demanderont ce qui figurait sur mon poitrail. J'aurai alors une garde-robe imaginaire bien plus étoffée que dans la réalité.


C'est exactement le contraire de ce qui se passe au cimetière de Prazeres, où les pierres et les noms restent, mais tellement figés qu'ils engloutissent aussi bien la mémoire que tous les possibles qui pourraient naître de son absence.


Depuis un endroit, le seul où les parois n'empêchent pas de regarder au-delà – c'est qu'il s'agit plutôt, ici, de sentir tout le poids de l'au-delà -, on a une vue plongeante sur Alcântara, la gare et le quartier; on aperçoit aussi une partie de la forêt de Monsanto, en face; et, bien entendu, le pont du 25 avril. Dimanche, il avait récupéré sa tête.


Moi, je ne savais pas bien; j'avais l'impression d'en avoir plusieurs; pas sûr que la mienne était dans le tas.


J'ai découvert il y a peu qu'un terme que je mâtine à toutes les sauces, un verbe que j'utilise pratiquement tous les jours, n'est pas usité de manière aussi commune en France qu'en Suisse. Il s'agit du fait de se réjouir. Je me réjouis j'ai hâte - de pas mal de choses. Cela me vaut les railleries de certains amis « hexagonaux ». Cela leur semble vieillot, comme le fait de dire « souper ».


« Monsieur se réjouit-il de souper tout bientôt?!? »


J'ai trouvé dans les « Vies minuscules » de Marcel Schwob un qualificatif fantastique: goguelu.


Goguelu: qui aime à se réjouir; fanfaron.


C'est dit, appelez-moi le goguelu de talus.


Libellés : ,

samedi, janvier 15, 2011

une incertaine raucité en gorge






Le pont du 25 avril était décapité par le brouillard. Nous constations cette perte momentanée depuis le bus. Avant de s'appeler ainsi, cette liaison entre les deux rives du Tage portait le nom de son commanditaire: Salazar; un dictateur déguisé en patriarche. Une des personnes les plus regrettées au Portugal.


Constatant que la « tête » de cet immense ouvrage était en partie effacée par la météo du jour, c'est à celle de Ben Ali que je pensais. A ses portraits présents dans chaque établissement public. Au ridicule de cette exigence qui vise à faire de chacun de ses citoyens un adolescent attardé placardant celui qu'il aime contre ses murs.


Bon, c'est vrai que c'est la même chose dans les démocraties parlementaires tant louées, mais au moins on a l'impression de choisir, bien aidé par la télé, celui ou celle qui prend place sur nos parois.


Moi je mets toujours un blaireau quelque part. C'est une histoire de fraternité à portée de regard.


Estar costumado ne signifie pas être costumé, mais être habitué. Un blaireau pour rengaine, cela me rappelle aussi en quoi mes semblables sont le plus souvent déguisé, sans même s'en rendre compte.


« La violence d'un monde à créer va supplanter la violence d'un monde qui se détruit. »


Le nombre de morts continuait d'augmenter chaque jour, en Tunisie, lorsque je lisais cette phrase dans un petit livre de Raoul Vaneigem intitulé « L'état n'est plus rien, soyons tout ». La volonté d'en finir avec un tyran aux poches plus que pleines a poussé une partie du peuple tunisien à ne rien céder. Nombreux sont ceux qui ont préféré regarder en face leur possible dernière minute plutôt que de continuer à subir des injustices à répétition.


Révolution du jasmin, peut-être. Révolution main dans la main, surtout.


J'espère que cette volonté et cette solidarité donneront l'exemple à tous ceux qui vont continuer d'être sucés jusqu'à la moelle par les organismes financiers carnassiers. Le Portugal, cette année, a diminué de 10% (!!!) les salaires dans la fonction publique. Cela couvre tout juste l'intérêt de la dette pour 2010.


Bel effort.


Comment on dit?!? Ah oui, un pet dans l'eau.


Je propose qu'on arrête tous de tremper nos fesses dans ses étangs faisandés, qu'on laisse les charognards en costard vider les dernières bouteilles de leurs bars. Ils se préparent une sacrée gueule de bois. Cela les aidera peut-être à flotter.


« Les zapatistes ont, pour définir leur volonté de fonder une société plus humaine, une formule qui rappelle la nécessité d'une vigilance constante: nous ne sommes pas un exemple mais une expérience. »


Vaneigem, un peu plus loin.


« Tu sais comment les bidonvilles algériens ont été appelés?!? »


La musaraigne se débat toujours avec son magazine sur l'urbanisme. J'extirpe la tête de mon livre, je laisse échapper un « non » peu audible. Ma gorge est de raucité équipée, ces jours. Quant à l'humidité ambiante, elle semble avoir trouvé dans mon nez un réceptacle intéressant.


« Des sites d'habitation spontanée. »


Il existe une expression, en français, pour ce genre de choses: langue de bois. Cela permet aussi de flotter au-dessus de la mare peu amène que nous concocte la réalité.


Quoiqu'il en soit, je suis très attaché au terme de spontanéité. Tout ce qui est une antithèse du monde structuré et pré-fabriqué avec quoi très tôt on parvient à nous lobotomiser, j'en sors revigoré.


Comme je vous l'ai déjà laissé lire, j'étais « tout caqueux », cette semaine. Un enchaînement de ces jours où, sans trop savoir pourquoi, on a envie qu'ils se terminent vite, pensant que cela ne pourra qu'aller mieux le lendemain.


Parfois ça marche, parfois ça trébuche encore le jour suivant.


Un livre était à mes côtés, pendant ces heures où ma tête, bien aidée par miel, gingembre, citrons et cognac, combattait sereinement quelques virus pas si malins.


Plusieurs fois j'étais rentré dans cette bouquinerie, je l'avais pris sur le rayon pour en lire quelques lignes. Je sortais sans lui. Ce n'était pas encore le moment. J'ai finalement décidé de l'embarquer, il y a peu, comme si j'avais senti qu'il me serait bientôt d'un soutien précieux. Il y a des livres qu'on ne peut lire qu'à certains moments, ils requièrent un état d'esprit. Celui-ci demande un corps et une caboche qui fonctionnent au ralenti.


« Mes pensées sont incertaines, elles fleurissent dans la pénombre. Quand le soleil se lève, j'arrête d'écrire. Dans le journal que je tenais adolescent, je me plaignais déjà qu'il ne se passait rien, que je n'avais rien à écrire. Je venais de découvrir la capacité des mots à habiller le vide. Ils me font songer à des vêtements suspendus à des cintres. »


« La langue maternelle », de Vassilis Alexakis, a été suçoté alors que j'étais affalé sur les fauteuils se trouvant dans quelques cafés amis.


Alors que nous étions à la cinémathèque, et qu'un type ressemblant à Fidel Castro me faisait des yeux doux, la musaraigne m'a tendu un article sur Bruxelles. « Chacun dans son quartier », voilà pour l'intitulé. Je le regarde, secoue la tête, lui le rends sans voir le « message codé ». Elle sourit, me le tend à nouveau. Je regarde mieux. Deux prénoms entourés, les nôtres. Elle les a reliés avec son crayon, a dessiné quelque chose au milieu. Je pense que vous avez deviné.


Il est mimi ce cœur entre deux prénoms fictifs, deux prénoms utilisés parce qu'ils sont censés enfermer une certaine origine; nationale, voire sociale.


« On publie sans cesse de nouveaux essais qui tentent de relier les diverses cultures qui ont fleuri en Grèce, afin d'établir que la plus récente est issue de la plus ancienne. Leurs auteurs parcourent les siècles en quête d'indices susceptibles de prouver que nous sommes bien les descendantes de nos glorieux aïeux. Ils s'interrogent sur le sens du mot hellénisme. Ils élaborent un code de la culture grecque, écartant ses contradictions, oubliant les influences qu'elle a reçues, la réduisant en définitive à peu de choses. Ils ressemblent à ces jardiniers français qui donnent à la nature la forme qu'ils souhaitent. J'espère que leurs recherches n'aboutiront pas à une définition, qui priverait fatalement la culture grecque de sa capacité à nous surprendre. Les définitions sont de petites oraisons funèbres. »


Je venais de souligner ceci.


Les définitions sont de petites oraisons funèbres.


Comme l'impression que je ne suis pas près d'oublier cette formulation.

Libellés : ,

lundi, janvier 10, 2011

Silence

Libellés :

un drôle de goût dans la tête





« Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde » a dit la musaraigne à mon inattention. Elle était en train de lire un article sur l'urbanisation, de l'espace et des esprits; c'est une des demandes de la Coordination des intermittents et précaires d'Île-de-France.


Avec un drôle de goût dans la tête, ce n'en est pas moins à la Tunisie que j'ai pensé quand j'ai entendu que les cigognes, sur les pylônes électriques, ne risquaient rien. A ce qui est en train de s'y passer, qui couve depuis des années. A des jeunes qui se donnent la mort, publiquement, quand ce n'est pas la police qui s'en décharge pour eux. Des années que son président, grand ami de la liberté quand elle n'est qu'une vague idée qui ne traîne pas dans ses pieds, est montré comme un exemple du fait de la remarquable « vitalité » économique de son pays (remarquable: qui se constate dans les chiffres; la production étant plus facilement quantifiable que ses tristes répercussions; répercussions: un mot trop long pour bien des souverains. En temps de guerre, la novlangue dit parfois « dommages collatéraux ». La production a tout prix est une guerre. ).


« L'économie fut-elle jamais rien d'autre qu'un cannibalisme plus ou moins déguisé? », s'interroge Roger Favre, dans « Ici ou ailleurs ».


Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.


A l'occasion d'une tuerie aux Etats-Unis, dont l'auteur est un jeune américain, on peut lire, dans des journaux considérés comme étant « de référence »: « L'Arizona, cette « Mecque du fanatisme » ». C'en est perturbant de perversion langagière, un titre comme celui-ci.


Qu'on ne vienne pas me dire qu'il y a des guillemets, ma réponse risquerait d'en être dépourvue.


On peut aussi y trouver les résultats d'un sondage, à l'énoncé aussi putassier que l'air du temps, sur le pourcentage de personnes qui pensent que « la présence musulmane est plutôt une menace ».


La présence musulmane, kézako?!? Ça infiltre les murs? Ça peut se cacher sous mon lit? C'est à cause de ça qu'on a désormais des prétendus dératiseurs, ratissant bien bas, à la tête des états?


Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.


« Tu sais, Obama, il est un peu musulman », m'a-t-on déjà dit.


Non?!? Pis aussi un peu pédé en cachette?!?


La Connerie est une gangrène sans âges,


un saccage,


un pillage;


la presse chaque jour en fait étalage,


et en tire avantage.


Comment, dès lors, parvenir à rester sage?!?


Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.


Lhasa s'est faite crépuscule il y a un peu plus d'une année, Patrick Watson et Esmerine ont écrit une chanson, pour donner à entendre combien, en eux, elle est encore présente.


Il y a des gens qui s'approchent de ce que signifient présence et absence, en premier lieu parce qu'ils questionnent ces termes, ce qu'ils ouvrent et enferment, chaque fois de manière singulière.


Il y a des gens qui ont des raisons d'avoir peur, des raisons tangibles; il en est alors une minorité à qui cela donne du courage.


Il y a des gens à qui l'on invente des raisons de vivre dans la crainte; une majorité conjugue alors sa vie au participe présent de la complainte.


En portugais, « être d'accord » se dit « concordar »; « (se) réveiller », « acordar ».


Je m'emmêle souvent les pinceaux, entre les deux. Il m'arrive de vouloir dire que je suis d'accord, mais c'est « je me réveille » que je laisse échapper. Il n'y a au fond, et au sommet, pas une si grande différence.


Au point du jour,


apaiser ses discordes intérieurs,


accorder la guitare de ses humeurs;


sentir l'orange et le bleu qui nous parcourent.


Oui, au point du jour.

Libellés : ,

lundi, janvier 03, 2011

d'un point névralgique à l'autre














Open space. Avec la station du Mourtis en face et une douzaine de vautours fauves tournant à quelques dizaines de mètres de nos têtes, penser au terme désormais consacré par les entreprises tendances prêtait à sourire. Open Space. Des gens se pressent de toute l'Europe pour voir la nouvelle salle de rédaction du Blick, appelée le « pont », en référence à celui d'un bateau; d'un point névralgique à l'autre, il y a juste quelques névrosés en puissance de différence. Espace ouvert.


Le Blick, rappelons-le, à pour moteur le scoop et le people, des nobles causes qui ont le puissant mérite d'entretenir cette Bêtise sans âge qui aime tant taper dans le dos de l'Humanité. Le nec plus ultra de l'info est donc à disposition des grailleurs de scandales et de leurs ouailles.


On trouve, dans cet endroit zürichois qui fait saliver les amis du « progrès », un écran vidéo de six mètres sur deux. Dans le jargon du milieu, on ne parle plus de « secrétaire de rédaction » mais de « journaliste de production ». On n'écrit plus des articles, mais du « contenu ». Si on répète ce mot dix fois, on comprend assez vite la nature de ceux qui sont tenus par la Bourse. Ou peut-être leur manque de nature, précisément.


Cela remue d'autant plus de lire ceci peu après avoir fini la biographie de Cartier-Bresson. Issu d'une bonne famille dont il s'est très tôt défié, il s'est demandé toute sa vie d'où venait l'argent; il estimait que le grand bouleversement du XX ème siècle est survenu avec l'apparition de la société de consommation, au tournant des années cinquante et soixante; elle le faisait vomir.


Concernant les réflexion sur l'image, un article très intéressant sur le site d'Acrimed, on peut s'y rendre par ici.


Quelques milans royaux voltigeaient également, puis, les yeux de Pablo se sont mis à frétiller. Nous avons eu le privilège de voir un gypaète barbu se joindre à ses congénères. Pablo nous a expliqué que les vautours, quand ils ne parviennent pas à trouver un courant thermique à même de leur permettre de reprendre de l'altitude et qu'ils se retrouvent alors le bec dans une vallée encaissée, n'ont qu'un seul moyen pour remonter: marcher. Il arrive qu'on en voie longer des routes menant à des cols.


Salut mon gars! Tu trouves pas que ça vaut le tour?!?


Je suis rarement en reste pour ce qui est de l'humour à deux balles. C'est sans doute une question de budget.


J'attends le moment où il va se passer la même déconvenue aérienne pour tous les rapaces de la finance et de la politique, qu'ils soient contraints de replier leur envergure de pacotille pour réapprendre à vivre au contact du sol. Ils grimperont alors sur ces routes pour lesquelles le verbe « serpenter » a été inventé, sans plus pouvoir écraser personne; ils considèreront différemment le privilège d'un panorama et d'un espace retrouvés.


Passés nous trouver dans les Pyrénées, Raoul et Vivette nous ont embarqués, direction l'Andalousie. Eux, ils ont la Guinée en ligne de mire. Nous avons passé la nuit du Nouvel An dans un motel qui avait manifestement oublié qu'il était ouvert. Quelques personnes s'en sont souvenu après le coup de minuit, alors que nous dormions déjà, rythmant notre sommeil par l'intermédiaire de quelque chose qu'il m'est chaque fois plus difficile de qualifier de musique.


La Musaraigne, parmi les nombreuses merveilles qu'elle m'a apportées, avait l'agenda du Tigre (la nouvelle formule est lancée, ne vous privez pas de ce plaisir); y figure l'explication de l'appellation du premier mois de l'année. Janvier vient de Janus, le dieu romain à deux visages; le dieu des portes. Lancé dans ma trentième année avec une envie de mettre pas mal de choses à plat, ces échos de passages me frétillent le sourire. Ce d'autant plus que j'y ai aussi appris que janvier est la période pendant laquelle il convient de planter les pensées. Après, il n'y a plus besoin de s'en occuper, elles se faufilent partout.


Encore une info pour la déroute: en « chronologie technique », le style est le changement de millésime.


Plutôt que « Change pas de style », expression consacrée par plusieurs de mes potes, je vais désormais opter pour « Change pas de millésime ». Ça ajoute une petite touche vinifiée qui en jette, non?!?


Je tire en longueur, aujourd'hui, mais c'est que j'ai plein de choses à vous écrire.


En premier lieu, une découverte littéraire de choc: Kurt Vonegut Junior. Je le dois à Rodrigo Fresan, qui répète à l'envi l'admiration qu'il lui porte. Ce que je ne peux, après avoir lu « Abattoir 5 », oui oui, « Abattoir 5 », que comprendre. Il semblerait qu'il faille plutôt miser sur les bouquinistes pour trouver les livres de ce drôle de bonhomme, il fait partie des auteurs faisant les frais de la vague de « Fantasy » revigorée par « Le Seigneur des anneaux ».


Humour, imagination déflagrante, érudition déstabilisante; il y a tout chez ce gaillard.


Retenez donc ce nom qui semble sorti d'une blague Carambar: Kurt Vonegut Junior.


Je vous écris depuis Grenade, une ville à la beauté presque omniprésente; trouver ce qui s'éloigne des cartes postales n'en est que plus stimulant, c'est donc à cela que nous nous attelons.


Descendant de l'Alhambra en slalomant entre oliviers et cactus, toisés par la Sierra Nevada, nous sommes arrivés dans une zone où la créativité s'étale sur les murs. Le crédo de l'artiste le plus époustouflant est le suivant:


« Quoi qu'en dise le cadastre, la ville est à tout le monde. Et si une partie de ses habitants décide de dialoguer à l'aide des murs, de l'asphalte, de la signalétique ou des poteaux, les résultats ne devraient pas être moins valables que les interventions planifiées et attribuées par appels d'offres à des urbanistes à la probité incertaine. »



Et pour 2011, tout de bon à vous, comme on dit par chez nous.


Libellés : ,