katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

jeudi, juillet 30, 2009

on est une espèce de presque





Je m’élance pour surprendre la mer, bien décidé à plonger avant même qu’elle ait eu le temps de se rendre compte de ma présence ; je sens déjà ses caresses, je la devine se débattant avec mes cheveux ; puis mon élan est arrêté, modifié serait plus juste, ridiculisé tout à fait exact ; mes pieds n’ont plus aucune stabilité, je me mets à patiner sans maîtriser grand chose ; c’est elle qui m’ a eu.

Elle a déposé un tapis de terre argileuse dans son hall d’entrée ; elle se gausse de ma déconfiture.

« Tu ne l’as pas volée, depuis le début de l’année que tu n’as que Frère Océan sur le bout de la langue et au cœur de tes lignes, non mais ! »

Je m’extirpe des vagues un peu penaud, retourne faire le malin, l’air de rien, vers mon petit neveu fraîchement débarqué de Neuchâtel avec ma soeurette et son colinet. Le petiot n’a même pas trois mois, mais visiblement l’air marin est tout à fait à son goût.

La sieste semble être au programme, je me dirige à l’ombre pour bouquiner un peu ; je trouve un endroit à ma convenance, je m’assieds.

Il ne me reste que quelques chapitres d'un livre dont on m’a parlé à plusieurs reprises, je suis, depuis le début, captivé par les deux personnages gravitant au cœur de ces pages : Orion, un enfant perturbé qui, dans un hôpital de jour, passe plusieurs heures par semaine avec Véronique, une psychanalyste ayant vite le sentiment de devoir l'aider à aller mieux en développant son impressionnant potentiel créatif.

Je reprends ma lecture, faisant complètement abstraction de l’agitation alentour, obnubilé par les « dictées d’angoisse » qui ponctuent les entretiens entre les deux protagonistes.

La dernière page tournée, j’ai l’impression d’avoir lu une œuvre qui compte, une réflexion sur l'art et ce qui le légitime ou l'enterre, un aperçu d‘une forme de psychose et du suivi qui l’accompagne, sans complaisances ni facilités, avec au contraire un dessin fidèle des doutes et des hésitations qui sont le lot de ce genre de situation.

Il s’agit de « L’enfant bleu » d’Henri Bauchau, une somptueuse démonstration de tout ce qu’un roman peut donner à voir et à sentir d’univers fondamentaux bien souvent occultés.

"Une oeuvre quand elle est presque finie, on sent une chaleur, un début de rayon pour qu’on ne finisse pas. Moi on est une espèce de presque, de pas fini. Être comme les autres, est-ce que c’est être fini ? On voudrait et le presque ne veut pas. On souffre pour finir les oeuvres, on aimerait mieux faire des oeuvres brûlées. Toi, Madame, tu es une presque ou une finie ? "

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lundi, juillet 27, 2009

l'équilibre du monde


"Aujourd'hui je n'ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.

Des oiseaux qui n'existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.

Ne rien faire
sauve parfois l'équilibre du monde,
en obtenant que queque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance."

Roberto Juarroz, treizième poésie verticale

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dimanche, juillet 26, 2009

et tenter ensuite la lecture









"Déplier un papier,
l'étaler avec soin
et tenter ensuite la lecture.

Peu importe qu'il n'y ait rien d'écrit:
c'est justement cette lecture
que nous devons tenter.

Nous pouvons, il est sûr, nous demander
pourquoi le papier était alors
si soigneusement plié."

Roberto Juarroz, Triptyques verticaux

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vendredi, juillet 24, 2009

Je est impondérable








Sept heures de voiture qui s’apparentent à un bon film, avec au final l’envie que le road trip ne s’arrête pas, il n’en faut pas beaucoup plus pour sentir combien le quotidien peut être éclatant lorsque une part d’improvisation s’en mêle.

Au volant un jongleur français naviguant dans toute l’Europe, jongleur « par défaut » parce qu’il était doué pour cela et que la vie de nomade l’a toujours titillé ; à ses côtés un Camerounais aveugle, étudiant à Sciences-po, débordant de vitalité, décortiquant le monde avec le sourire en s’appuyant aussi bien sur des notions d’anthropologie ou de sociologie que de
management ; à ma droite un artiste Burkinabé slalomant entre peinture, musique et toutes les activités socioculturelles permettant de créer du lien et de l’écoute ; à ma gauche mon petit miracle, une Tunisienne, fraîchement diplômée en architecture après des mois de travail acharné à Paris, passionnée par les questionnements et les enjeux tournant autour des lieux de mémoire.

Est-ce que j’ai une gueule de lieu de mémoire ?

Montrez-voir votre profil. Ouvrez la bouche. Il y a quelque chose, oui, oui, il y a indéniablement quelque chose de cet ordre-là.

« Moi je remercie la chicote, non mais c’est vrai, si je n’avais pas eu peur de la chicote je n’aurais jamais réussi à apprendre autant de choses par cœur. »

Suit une récitation de la règle sur l’accord des participes passés qu’il a connue pendant des années sans la comprendre.

« Ce n’est que quand j’ai perdu la vue que j’ai commencé à aimer l’école et que je me suis rendu compte combien était importante cette capacité de mémorisation. Vive la chicote ! »

Je repense à Firyel, outrée à raison lorsque je lui ai dit que la dédicace des « Cerfs-volants » de Gary,
à la mémoire, est devenue à l’innocence dans l’adaptation pour la télévision.

« Pour la peine, c’est même carrément le contraire ! » s’était-elle exclamée.

Dans « La nuit sera calme », un livre d’entretiens dont on sait aujourd’hui qu’il a écrit questions et réponses, Gary commence en évoquant un souvenir d’école à Nice, il s’auto interpelle : tu avais déjà cette mémoire impressionnante.

Ne pas oublier, ne pas pouvoir oublier certaines choses, ou quand le devoir de mémoire devient, par moment, une chape de plomb se balançant en permanence au-dessus de la tête, empêchant l’apaisement d’affleurer ; « dépression nerveuse qui dure depuis que j’ai âge d’homme » dira Gary, encore, dans les derniers mots qu’il laissa pour la presse avant de glisser un pistolet dans sa bouche.



Arrêt. Des rails qui s'enchevêtrent puis s'effacent sous quelques touffes d'une végétation qui a repris le dessus; vraiment? Non, en fait, dans ces non-lieux, même le vert semble gris. Arrêt. Je ne sais pas ce qui était acheminé ici, je ne chercherai pas à le savoir. Même combat, quelle que soit l'industrie concernée, même combat à l'issue connue d'avance. Tous dans le même sac, on secoue un moment, on use le contenu, on lance le sac; on va construire, produire, ailleurs. Arrêt. Des friches comme refrains du monde contemporain. Entrepôts vides, délabrement avancé; peut-on encore parler d'entrepôts? Plus qu'une mémoire négligée qui hurle entres des peaux d'acier. Arrêt. Vitres brisées, portes fracassées; des déchets jonchent le sol, conchient encore davantage l'oubli; l'humaine Bêtise s'est donné la main. Arrêt. Endroits rendus fantômes par le rouleau compresseur économique; de la cabine du machiniste, sifflotant, une silhouette lance des anti-dépresseurs. Arrêt

Cadavre d'usine, abuseur moderne aujourd'hui désabusé.

C'est agréable de te lire, mais on se perd facilement, on cherche une cohérence, des liens; parfois en vain.

"Tu verras, le p'tit jeune assure grave quand il balance son slam!"

Deux dames de cinquante ans discutent au bar. Je lève la tête, me demandant si j'ai bien entendu. Oui, la réponse est oui. Des paroles traçant comme une fêlure dans le temps, un basculement des aiguilles. Le papy précoce que je suis réfléchis en écoutant les mamies défiant la notion de génération.

Etre jeune, être cool. Double impératif qui me divise, tristement drôle ou drôlement triste?

C'est agréable de te lire, mais on se perd facilement, on cherche une cohérence, des liens; parfois en vain.

C'est vrai, j'aime quand des bribes de réminiscences personnelles parviennent à prendre de l'ampleur en se déroulant ailleurs, même sans fil conducteur.

Entre publicité et new age, je me méfie de ceux qui veulent réduire la vie à des slogans; je n'aime pas les démonstrations qui flairent le parler fort et le coup de poing sur la table.

Je trouve dans certaines poésies une fraîcheur qui résiste à chaque lecture, qui demande au lecteur de participer au mouvement des mots; une invitation qui défie le mysticisme et le mystérieux pour lui préférer un important "mets-y du tien" qui préserve de tout endoctrinement.

La pensée est un mouvement perpétuel.

T’as pas quand même l’impression de sauter un peu du coq à l’âne, avec escale sur une loutre disjonctée, dans tes divagations ?

Tout à fait, j’adore avoir une ménagerie d’idées, dans ma caboche, je trouve cela plus vivant que les schémas organisationnels qui prétendent enterrer l’impondérable un peu partout.

Je est impondérable.


"Un poème sauve un jour.

Plusieurs poèmes pourront-ils
sauver la vie entière?
Ou suffit-il d'un seul?

Tout ce qui sauve
pose ce dilemme.
Le résoudre est la clé
du hasard de se sauver."


Roberto Juarroz,
Treizième poésie verticale, je dois la découverte de cet auteur à l'exergue du "Théorème d'Almodovar", livre fabuleux et déstabilisant d'Antoni Casas Ros.

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mardi, juillet 07, 2009

c'est un lieu ou une voix?










« Je suis la doyenne du village, tout à fait, je n’ai pas de miel à vous vendre mais je vous offre un café avec plaisir. »


Fontbelle, quelques maisons, j’allais écrire « village », mais non, il n'était question que de quelques maisons, comme plusieurs endroits où je suis passé après avoir quitté Carcassonne.


J’espérais à chaque fois trouver de quoi me ravitailler, limité que j’étais dans mon chargement par mon sac trop petit et trop plein (je ne peux pas dire qu’on ne me l’avait pas fait remarquer, coucou Leila, coucou Raphu), mais je traversais uniquement des hameaux ; pas l’ombre d’une épicerie ou d’un café ; pas un frémissement d’âmes qui vivent.


Quand je l’ai vue passer, les bras chargés, je n’ai pas pu m’empêcher de la saluer et de lui demander comment elle allait sous ce soleil décidé.


Elle m’a fait entrer chez elle pour nous permettre de nous habiller d’un peu de fraîcheur.


« Comme vous pouvez le deviner au vu de la taille de la table, nous étions une grande famille. Je suis la dernière encore de ce monde, mais ici, à l’intérieur de la maison, je les retrouve tous, toujours. Vous savez, la vieillesse n’est pas un cadeau. »


Un petit livret avec des mots croisés près de ma tasse, le journal aussi, qu’elle lit tous les jours pour les avis mortuaires. Elle m’a dit qu’elle avait cette chance de pouvoir encore lire, ce qu’elle avait toujours aimé faire, même s’il n’y avait pas beaucoup de livres, ni de temps, chez eux.


« Je ne me souviens plus du titre, mais je viens de lire un ouvrage qu’on m’a prêté, le témoignage d’une femme qui a vécu par ici, ça m’a beaucoup plu, elle montre combien nous étions des esclaves, tout à fait, des esclaves. J’ai bien envie de l’acheter, ce livre, je crois que c’est important ce qui s’y trouve. »


Quelques jours après cette entrevue, je reposerai mes pieds chez Peyo, à Périgueux ; quelques jours plus tard, tous les canaux d’informe information débiteront une chose : Mickaël Jackson n’est plus.


Quelques jours plus tard, nous discuterons de longues heures, sans parvenir à nous accorder vraiment, sur le « choix » de chacun devant, notamment, l’empire télévisuel abêtissant. Peyo estime qu’on ne met le couteau sous la gorge de personne, ce qui est vrai mais me semble être une formulation faisant tout de même bien peu de cas de tout ce qui est nécessaire, et peu souvent présent, pour élargir l’horizon ; j’ai de la peine à croire que la curiosité « spontanée » soit très répandue.


Pendant longtemps la capacité décisionnel s’exerce avec ou contre son entourage, rarement vraiment pour soi ; alors que la différence est énorme, que la marge entre les deux n’a pas de prix.


Quelques jours plus tard, je lirai ces vers d’Israël Eliraz :


« Je suis complètement perdu dans le fibrage du quotidien.


Il m’est difficile de distinguer entre ombre et mémoire.


Des détails se détachent pour fabriquer un événement. »


Ceci également :



« Les objets passent de main en main


il y faudrait du silence


tenir compte de l’usure. »


Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy annoncera un emprunt massif, continuant dans la logique de l’étatisation du remboursement des intérêts sur les pertes occasionnées pas la privatisation à outrance.


Lire et avaler cela sans s’étouffer.


Ces mots, croisés hier, écrits sur un squat: "Le coût de la vie augmente, la valeur de la vie diminue".


Stiglitz, prix Nobel d’économie mandaté par Sarko pour mettre sur pied de nouveaux indices de qualité de vie (ah bon ? ça ne marche pas avec le PIB, comme c’est surprenant.) a tourné sa veste, il a compris, après avoir participé activement à la mascarade, que nous sommes dépassés par un système auquel nous n’avons prévu aucune alternative ; pas d’alternatives mais de petits bonbons de façade : Obama, les énergies renouvelables, les magasins « bio »…


« Je n'aime pas mon prénom. Je n’ai même pas été capable de mettre au monde une seule fois. D’ailleurs j’en veux toujours à une fille qui était à l’école avec moi et qui s'appelait comme moi, elle a eu six enfants. C’est comme si mon prénom, ce prénom que je n'aime pas, elle l’avait épuisé avec les hommes à elle toute seule. »


Elle me raconte une blague un peu osée, une blague qui, me dit-elle, est plus drôle en patois; ce patois qu’elle aime et qu’elle n’ a presque plus l’occasion de parler.


Cette blague, elle m’avoue qu’elle n’aurait pas osé me la raconter à vingt ans, qu’elle était trop timide.


On rit beaucoup, ses yeux pétillent, ses répliquent fusent.


Je devine qu’elle ne rit pas souvent, que ça lui manque.


« Vous aimeriez mon adresse ? Quelle drôle d’idée ! Bien sûr que je vais vous la donner ! Et la vôtre ? Vous n’en avez pas ! Quelle drôle d’idée ! »


Je lui ai écrit quelques jours plus tard, heureux de prolonger et de revivre ces minutes qu’elle m’avait offertes spontanément, remettant à plus tard ses occupations autour de la maison, faisant attendre le lapin qui attendait sa nourriture.


« Avec l’argent que j’ai obtenu en vendant la maison à côté, que nous avions achetée puisque la famille s’agrandissait grâce aux femmes qui avaient plus de réussite que moi, j’ai voyagé un peu. Je suis allée en Suisse, à Zermatt. C’était fabuleux. J’allais deux fois par année à Paris, aussi. Aujourd’hui je ne peux plus, ma santé et mes finances ne me le permettent plus. Pis je ne veux être une charge pour personne. »


Le titre du recueil dont sont extraits les citations d’Israël Eliraz, inspiré par une phrase de Sainte-Thérèse d’Avila, est le suivant :


« Comment entrer dans la chambre où l’on est depuis toujours ? »


Le nom de la dernière partie a quant à lui été puisé dans « Le village des esprits » de Nourit Zarhi, j’aime bien l’idée de prendre congé là-dessus :


« dedans, c’est un lieu

ou une voix ? »



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