katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, mars 30, 2010

du blog qui chancelle, de son hypogée sous d'autres pages (I)








"Les objets dans le miroir sont plus proches qu'ils apparaissent"


C'est la traduction littérale de ce qui figurait, inscrit en petits caractères, sur le rétroviseur droite des voitures dans lesquelles je me suis assis aux Etats-Unis.


"Objects in mirror are closer than they appear."


Les objets reflétés sont situés, dans l'espace, plus près qu'ils n'en donnent l'impression, dans le miroir.


C'est ce que cela signifie, je crois.


On s'en tape?!?


Peut-être bien.


Ceci pour porter à votre connaissance le fait que j'ai on ze road grappillé des observations qui, mu(t)ées en notes, permettent à cet ultime déblogage de s'ébaudir; pour mieux vous ébaubir.


Le dernier commentaire déposé à mon attention est une interrogation: d'où je sors « originer » ?


D'une faille dans le langage que j'aime explorer avec de l'encre glaise.


Il est possible de chercher ébaubi et s'ébaudir, ils sont dans le dictionnaire, ceux-là. Ce qui rassure, je suppose. Personnellement, j'aime bien les sans-papiers de la langue, les seuls clandestins pour qui j'ai l'impression de ne pas être d'une inutilité crasse.


Il est possible de chercher "hypogée", en passant, je l'ai sorti de "Brumes de cimmérie", un livre de Richard Millet, grand amoureux de la Syntaxe.


Il est possible, sans doute même souhaitable, de puiser dans les positionnements qui prétendent s’exclure.


"Je ne suis plus ce petit arpenteur qui cheminait tête baissée parmi les pierres, les colonnes et les tombes, en quête d'objets antiques; je ne collectionne plus que des ombres; et c'est sur moi que j'enquête; c'est dans le temps que je voyage, autrement dit dans la langue, celle-ci étant une matérialisation singulière du temps, lequel semble aussi obéir aux lois de l'eau et de l'hiver, et fait penser qu'il y a, dans tout grand texte, un dégel du temps."


Oui, mon amour des points-virgules, c'est en partie lui.


Oui, il écrit des phrases qui traînent parfois sur plusieurs pages ; des enchevêtrements aigre-doux qui n’auront bientôt plus le temps d’avoir des lecteurs ; on appellera ceux qui s’y frottent des, en fait non, on ne les appellera simplement pas ; on les enterrera dans leur insignifiance et leur manque d’efficience.


En arrivant à New Orleans, j'ai failli perdre contenance, non pas du fait du trajet qui s'était avéré plus compliqué qu'on ne l'avait supposé, non, à cause de cela, qui figurait en grand:


"Read today


Lead tomorrow"


C'est une pub pour une université. Il ne s’agit plus seulement de réduire la lecture à peau de chagrin, il faut la salir et la démolir à coups de burin.


Cette publicité réussit l'exploit de juxtaposer un des verbes qui m'est le plus cher avec un de ceux que j'exècre le plus. S'il est vraiment nécessaire de les rapprocher, et de les mettre dans une perspective temporelle, je défendrais l'idée qu'il fallait lire hier, pour comprendre aujourd'hui pourquoi il ne faudra pas commander demain. Tout ceci étant interchangeable. Il faudrait lire demain, pour comprendre hier la raison de son abstention à diriger, aujourd'hui. Bon c'est vrai que ça marche moins bien comme ça.


Disons lire aujourd'hui pour réfléchir à ceux qui commandaient hier et comprendre comment ils ont mis l'Argent et le Travail comme seul horizon de ceux qui commanderont demain.


J'ai pris un autre coup dans le foie, hier, il m'a été asséné alors que je lisais le journal. Il existe désormais un programme d'intelligence artificielle qui rédige des articles sportifs; il met en relations toutes les données chiffrées d'un match, puis il pond un texte; il peut faire des oeufs plutôt favorables à une équipe; il pourra demain carrément cuisiner des omelettes "à la manière" de chroniqueurs ayant des "tiques" d'écriture.


Il s'agira alors d'une opportunité incroyable, pour les journalistes actuels, de saisir la chance qui leur sera offerte de montrer qu'ils peuvent faire autre chose. Quelqu'un a vraiment dit ça. Saisir l'opportunité. Montrer que l'on peut faire autre chose. Ou sauter par la fenêtre. Beaucoup qui optent déjà pour ce choix. Et vous, votre suicide, avec ou sans anchois ?


Encore


combien


de


temps


choir?

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du blog qui chancelle,... (II)







"Les objets dans le miroir sont plus proches qu'ils apparaissent"


Deux pages plus loin, on apprend qu'il n'y a plus qu'une agence d'information, en Suisse. La Suisse sera désormais, à ce niveau-là, à égalité avec la Chine. Démocratie. Démocratie. Le dire dix fois sans s'étouffer. C'est dur d’accepter que le sens se fait aussi souvent la malle que le bon sens.


Christophe Gallaz est un écrivain suisse qui a dans son encrier des pétales comme ça:


« Quand les animaux sauvages auront fini de disparaître à la surface de la planète, nous ne saurons plus pourquoi nous élever au-dessus de nous-mêmes, nous ne saurons plus pourquoi nous instruire d'un autre langage que le nôtre, nous ne saurons plus pourquoi le principe de la nuance est précieux, nous n'émettrons plus que des injonctions, nous ne réagirons plus qu'à des ordres, nous n'attacherons plus de prix à la discussion, nous aurons récusé l'idéal de la Cité, nous aurons aboli la démocratie, nous roterons l'ordre et la police. »


Christophe Gallaz était, deux fois par mois, chroniqueur au "Matin dimanche", la seule feuille de chou populaire romande à parution dominicale. Je ne comprends pas qu'une plume et un esprit aussi mordants acceptent de monnayer leurs charmes à un journal aussi putassier. Je ne comprends pas, mais il y avait là-dedans quelque chose de rassurant, certains curieux pouvaient se frotter à cette voix et sentir toute la différence entre quelqu'un qui a fait de l'écriture son gagne-pain, et quelqu'un pour qui l'écriture est respiration et positionnement face au monde.


Il y avait, oui. La nouvelle rédactrice en cheffe de ce quotidien, soucieuse de voir ses lecteurs lire ce qu'ils ont envie de lire, plutôt que ce qui les inviterait à penser, a fait savoir à Christophe Gallaz qu'il ne dégainerait plus sa plume chez eux.


Je tire en longueur, aujourd'hui. Je me manifeste de plus en plus au compte-gouttes depuis que je suis de retour en Helvétie, et voilà que tout d'un coup je vous assomme.


C'est que, comme je l’a laissé entendre au début, il s'agit d'un semblant de révérence.


J'ai vraiment envie de tenter de concentrer mon énergie d'écriture, très dispersée, dans l'aboutissement de quelques-uns de mes chantiers. Alors je me dégage de ce balcon et de certaines exigences qu'il avait générées, entre moi et moi, pour mieux les orienter ailleurs.


Peut-être qu'apparaîtront parfois, ici, des traces de mon labeur. Probablement que je continuerai de changer parfois les musiques, et d'y déposer quelques photos, puisque c'est le plus souvent pour elles que je me suis vu complimenté. Avec un dépit tout d'abord amusé, puis franchement joyeux une fois que je pense à Luca, qui se fout de moi et de mon sépia; pis ça c'est rudement bonnard.


"Les objets dans le miroir sont plus proches qu'ils apparaissent"


Il y a souvent des reflets dans mes photos. Je me pose souvent cette question de l'image de l'image. De l'image de l'image dans l'image.


Rien à voir avec les rois mages. Avec Melchior peut-être. Et l'âne gris.


"Au dehors soufflait un vent chargé d'embruns et de pluie qui roulait de puissantes vagues vertes dont j'entendais le fracas, au pied du tertre, comme si c'était à des portes souterraines qu'elles se heurtaient."


C'est de nouveau Millet, qui mérite encore une révérence pendant mon semblant de révérence. Il m’est, rapport à sa maîtrise du français, une référence.


Mon tirer de rideau électronique ne pouvait être qu’un palimpseste ; un édifice bringuebalant imbriquant souvenirs, immédiateté et projections ; une silhouette dont on ne sait pas bien si elle tient de bout, si elle somnole, ou si elle n’est déjà plus qu’un drap posé sur une ombre.


"Les objets dans le miroir sont plus proches qu'ils apparaissent"


Je suis à la moitié d"Un si beau printemps" de Michel Bühler, un exemplaire dédicacé que Vivette m'a offert. Il y a dans ce livre une naïveté et une innocence qui, provenant d'un homme de cet âge, a quelque chose de miraculeux pour moi qui ausculte chaque jour, et heurte de plein fouet, l'opacité et la complexité du système tentaculaire qui nous a été livré. Michel Bühler, dans cet ouvrage, décrit son désoeuvrement avec un schéma explicatif manichéen ; il écrit ce qui lui passe par la tête, même quand rien n'y passe.


Je ne sais pas comment faire pour que rien ne passe dans ma tête.


"Les objets dans le miroir sont plus proches qu'ils apparaissent"


Je vous avais déjà fait miroiter un refrain aux mêmes teintes, après être allé voir « Le ruban blanc ». Je pourrais changer de disque, c’est vrai.


Mais les miroirs.


Cette surface plane qui nous fait face, nous renvoyant nos traits, nous invitant à les interroger, ainsi que ce qui se trouve à l’intérieur. On peut y contempler les méandres que notre histoire trace, a tracé, tracera dans le temps. On peut, si l’on veut, s’y rappeler comment nous étions, petits ; on peut apprendre à s’y accepter enveloppé d’un certain âge, on peut apprendre à s’y aimer les cheveux décorés de gris.


On peut y faire cet effort sur soi, mais quand on s’y projette dans un futur proche, on peut légitimement s’inquiéter sur le cadre dans lequel il nous sera ordonné de nous surveiller, ainsi que nos voisins.


Ce serait bien qu’on réussisse à ne pas tous se confondre avec ces objets dans le miroir ; des objets décapitant allégrement droits et libertés ; des objets qui, effectivement, sont trop proches pour disparaître.


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mardi, mars 09, 2010

bousculer chaque amorce de minute

Une voix annonce le franchissement de la frontière, tout d’abord en français, puis en allemand, du moins prétendument. Dehors, le Val-de-Travers s’est éteint gentiment, bientôt Pontarlier et son absence de charme se profileront, une poignée de policiers monteront.

A côté de moi, une dame lit « Pour la plus grande gloire de Dieu » de Morgan Sportès ; un peu plus loin, je devine un Saint-Augustin ; parcourant le train pour aller m’encaféiner, je constate beaucoup d'ouvrages moins surprenants, des maîtres du thriller et du très « gentillet ». Je ne donnerai pas de nom, à quoi bon, tout le monde en a entendu parler. Il paraît que c’est « trop bien ».

Bernard Noël dit que nous avons réussi à construire un monde où l’oppression se drape de séduction, voilà de la publicité une impeccable définition.

Tout entier dans divagations intérieures et observation discrète de l’univers ferroviaire, me reviennent les minutes avec Gabriella, dimanche, notre arrivée au Café du Concert ; elle s’était assise en plein milieu de la salle, puis s’était ravisée en me souriant.

« Tu aimes mieux qu’on se pose dans un coin, n’est-ce pas ? C’est marrant, même quand on va boire un verre, on constate l’influence de nos métiers respectifs. Comme chanteuse, j’ai l’habitude de la scène, d’être au centre de l’attention ; pour toi, c’est plutôt dans les angles que ça se joue. »

Scorcese explique que, pendant son enfance à « Little Italy », il a vu des horreurs mais, étant asthmatique, il ne pouvait pas s’enfuir comme le faisaient les autres gamins. Alors il regardait. C’est comme cela qu’il a appris à voir.

Je n’avais pas de problème du même ordre, encore que j’accusais une surcharge pondérale contrariant également certains désirs de prendre mes jambons à mon cou, ni n’étais dans un milieu où sévissait la pègre ; non, je n’ai rien vécu de tel ou pays de Guillaume Tell.

Mais il est partout précieux d’exercer ses yeux, de leur apprendre à discerner ce qui ne s’impose pas, de les accorder à ses pas.

En attendant d’être à Paris, je lis Julio LLamazares, Belhaj Kacem, Edgar Allan Poe, je déguste aussi les propos de Firyel, que j’embrasserai tout bientôt, sur « Les racines du ciel » ; je redécouvre cette formulation de Gary, dans « Pour Sganarelle », qu’il applique à ses personnages : ils sont d’une « disponibilité indéterminée ».

C’est de m’être mis dans cet état au moment où je me suis extirpé des académismes qui a permis à mes dernières années de se muer en raz-de-marée. C’est cela qui fait qu’à la fin de la semaine, je serai au Texas, avec des amis que j’aime infiniment, dont une moitié, il y a de cela moins de trois ans, m’était inconnue.

Aujourd’hui, mon quotidien, même loin d’eux, a pris une autre dimension. Ainsi de ma rencontre avec Béatrice et Daniel, avec la clique des amoureux de Lisbonne, avec d’autres bien belles personnes.

Autant que le cœur le permet, il faut bousculer chaque amorce de minute ; c’est aussi cela, lire, quand on ne lit pas de la soupe.

Bousculer chaque amorce de minute, mettre en mouvement ce qui, en nous, brûle de sentir l'ampleur belle et confuse du jour et de la nuit, de leurs étreintes.

Béatrice formule l’impératif de défier l’impossible à merveille : il faut laisser jouer la fantaisie.

lundi, mars 01, 2010

Où s'originent les émotions




Accédant à ma demande, elle a laissé la musique, est sortie de la voiture en souriant.

Une fois les dernières notes déroulées, j’ai tendu ma main ; trop envie de l’écouter encore une fois.

C’est lorsque nous étions descendus au bord de la mer que ce morceau m’avait envahi pour la première fois.

Envahi, je crois que c’est vraiment de cela qu’il s’agit ; ma paume martèle ma poitrine quand le tempo l’exige, mes yeux de fébrilité chavirent.

Où s’originent les émotions dans ce qui remue entre ventre et paupières ?

Assis dans la voiture, les lumières éteintes, la voix et les mots de Bertrand Cantat respirent fort dans les anfractuosités de ma nuque. Je sens quelqu’un qui escalade cette paroi assurant mon maintien, mes vertèbres craquent pendant cette ascension périlleuse.

M’apparaît alors « La colonne brisée », peut-être la toile la plus fameuse de Frida Kahlo, contemplée lors du passage à Bruxelles avec Béatrice, la semaine dernière. Deux jeunes filles étaient restées longtemps devant cette image, ce condensé de douleurs.

Une des deux était particulièrement ébahie par la justesse de l’expression, par tout ce qui se débattait là d’inexprimable ; elle a glissé son admiration dans l’oreille de sa camarade.

« Tu sais, c’est ça les artistes, parfois ils réussissent à créer quelque chose qui est exactement ce qu’ils ressentent » s’est-elle entendue répondre.

Le morceau de Noir désir continue de m’investir. Cette sensation intense, c’est cela qu’il faut viser ; sa propagation j’entends. Que ce soit en passeur, en créateur, en arpenteur.

En trappeur qui ne traquerait pas les peaux, mais les frémissements à surface d’épiderme, leur engendrement, leur éparpillement.

J’étais à Champagne, hier, il y avait longtemps que nous n’avions pas passé plusieurs heures aussi agréables, en famille. Lulu, ma cousine de poche, a dit à sa maman qu’elle n’a pas arrêté de se mordre les lèvres pendant qu’elle regardait ET, ET téléphone maison, pour ne pas commencer à pleurer ; autrement ses larmes l’auraient inondée. Elle a dit.

ET, c’était mon doudou, la peluche qui veillait sur mes nuits jusqu’à mes vingt ans ; Lulu est allé le chercher dans la chambre de ma grand-maman, il s’y empoussiérait. Désormais il a de nouveau le droit de jouer à la dînette. Il était donc là, entre cuisine et salle à manger. Tu m’avais oublié. Il m’a dit.

Oh que non, ma vie c’est exactement ça, un mélange de souvenirs et de tangage sur mon embarcation, chahuté par les inondations, qu’on appelle aussi émotions. Et refuser la victoire des avides.

La victoire des avides.

On peut entendre ceci dans cette chanson qui me bouleverse.

France Telecom présente des bénéfices records, les suicides internes écornent l’image de marque de l’opérateur, pas ses chiffres qui se secouent à hauteur d’écœurement ; ainsi des banques et des assurances ; ainsi de l’art quand il prend la forme d’une boîte échangiste signée Christoph Büchel, personnage « adoubé par le marché mondial » comme le relève ses adeptes ; j’y lis daube, j’y vois une preuve de plus de la futilité comme mot d’ordre généralisé ; les anti dépresseurs, leur prétendue efficacité, est à nouveau mise à mal par un ouvrage (« Les nouveaux médicaments de l’empereur », Irving Kirsch), alors on s’insurge, du moment que ça marche, peu importe si les résultats ne sont pas meilleurs que ceux de placebos, c’est l’amélioration de l’état du client qui compte ; évidemment ; et le vide n’en est que plus dément ; 19 milliards chaque année pour du Rien en pilule.

Des causes il ne saurait être question, nous vivons dans la société du symptôme ; les visages ne pèsent que par de silencieux et invisibles hématomes.

Si on s’envoyait plutôt une tome, au cumin ou au poivre, je vous laisse le choix dans l’épice.

La victoire des avides. Elle commence quand on accepte de faire de son quotidien un endroit où les people nous tiennent la main, où l’ordre, à la maison, est un impératif cathartique, où le dernier modèle de BMW est une définition de la joie.

La victoire contre les impavides, elle est là, ce matin, en basse-ville fribourgeoise, elle rayonne depuis la paroi de molasse qui me fait face.

Alors le mot de la fin à Chappaz, une fois de plus :

« Le rêve serait d’aller grâce à une langue toujours fraîche, sensible à l’inconnu : vers les visages et vers l’intraduisible, dans les secousses de la tradition, vers les paysages intérieurs inaperçus. »

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