katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, juin 17, 2015

Arbre



Où les fruits mûrissent:
sel et soleil dans mes veines,
lumière et miel dans une autre bouche.

Où je plantai
le haut acacia des fièvres
je me couchai moi-même,
pour être la racine de la graine, 
et de bois et de sève
mon corps se fit.

Maintenant,
il pleut à l'intérieur de moi,
sur mes feuilles demeurent des gouttes,
suspendues entre un Soleil et un autre.

En moi poussent
des chants et des ombres
et je ne sais pas
si ce sont des ailes ou des mots.



Yeux prématurés


Bien avant moi,
mes yeux
déshabillaient le monde.

Ce qui était linge
tomba dans un abîme obscur,
aile désolée sous la pluie.

Et ce n'était pas du linge,
c'était l'âme de gens,
des rêves à la recherche du temps.

Courbée dans la marge,
la laveuse sait:
ce n'est pas de linge qu'elle s'occupe.
C'est le fleuve en soi qu'elle lave.

Et dans son ventre,
où la lumière s'agenouille,
parfois se désentortille
la tresse aveugle du Temps.

Pour cela, maman,
mes yeux sont les tiens.

Et ils ne servent pas à voir.

Tout juste à se rappeler.

Ce qui avant d'être lumière
fut mot et corps.


Encore Mia Couto, dans le même recueil

dimanche, juin 14, 2015

L'habitant

             (à mon père)


Si tu es parti, je ne sais pas.
Parce que tu te trouves ici,
comme tu l'as toujours été.

Cette tienne,
tant nôtre, présence
remplit d'ombre la maison
comme si tu créais,
à l'intérieur de nous,
une autre maison.

Dans le silence distrait
d'une véranda
qui fût ton unique château,
s'entend encore l'écho de tes pas
faits non pas pour cheminer
mais pour caresser le sol.

Sur cette véranda tu t'assieds
avec cette manière si délicate de mourir
comme si tu nous enseignais 
une autre manière de vivre.

Si le pas est aussi céleste
le voyage ne compte pas
si ce n'est par le poème qui nous habille.

Les lieux que tu as cherchés
n'ont pas de géographie.

Ce sont des voix, ce sont des sources,
des fleuves sans désir de mer,
du temps qui échappe à l'éternité.

Tu habites à l'intérieur,
sans dieu ni adieu.





Un poème de Mia Couto, extrait du recueil "vagas e lumes", paru à l'automne 2014 aux éditions Caminho.