katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, août 25, 2010

assemblage maladroit de figurines éparses






Mes pieds, seulement équipés d'une paire de Birkenstock, aussi appelée Air Jesus, n’avaient pas hésité à braver la rosée pour me permettre de le photographier ; mais il s’était réveillé avant que je ne mène ma mission de manière satisfaisante. Il était allongé sur un banc, à une centaine de mètres de la gare de Vicenza, son corps exactement parallèle à sa guitare ; on aurait dit deux vieux amis assoupis dans la même position, ce qu’ils étaient.

J’aurais bien profité de l’occasion pour faire causette, mais mon train n’allait pas attendre que je trébuche sur l’écart entre mon envie de parler italien et ma capacité à assouvir cet élan, il se serait fait la malle avant que je parvienne à me dépêtrer de mon incapacité maladive à abréger une conversation.

J’ai donc fait mine de regarder complètement ailleurs. Ce type ressemblait à s’y méprendre à l’acteur qui, dans « O’Brother » des frères Cohen, a vendu son âme au Diable pour jouer parfaitement de son instrument.

L’univers déjanté de ces réalisateurs inclassables me poursuit souvent.

Il y a une dizaine de jours, ceci avait glissé dans mon oreille pressée : « Je suis un nihiliste, je suis une apologie du vide à moi tout seul » ; cette affirmation émanait d’une conversation entre deux hommes, à la table d’un café fribourgeois. Elle sonnait faux dans la quiétude matinale de ce jour de marché, mais elle me mettait en tête une fameuse réplique du Big Lebowski, ainsi que le lot de souvenirs qui va avec.

Bien des scènes cocasses y sont rattachées, dans lesquelles gesticulent différents potes, la tête et les épaules secoués d’éclats de rire précieux.

J’ai passé quelques heures à Vicenza, pour rendre visite à Jane, une dame qui, quand je l’ai rencontrée il y a cinq ans, avait trois fois mon âge. Quand je suis avec elle, mes souvenirs prennent une autre dimension: ils deviennent un petit tapis où traîne un assemblage maladroit de figurines éparses ; face à lui : un parc trop grand où des statues hésitent entre rires et soupirs.

Je suis à présent dans le train qui va à Vintimiglia, mon regard se porte parfois en direction de la mer, mais je tente de ne pas le faire avec trop d’insistance, histoire de ne pas incommoder les amoureux assis à mes côtés. Ils se « tchouffent » avec allégresse, comme dirait ma grand-maman.

Rodrigo Fresan, à propos du dernier de ses ouvrages traduits en français : « Ce livre est un ensemble de messages émis simultanément, une trame qui n’aspire qu’à être une suite de moments merveilleux contemplés en même temps. »

Mes déblogages ont ceci cristallisé sur le front.

Je me suis réveillé en Italie, je m’endormirai en France ; passant de l’un à l’autre, je pense aux coups d’éclat, pas marqués du sceau de l’intelligence, de leur plus haut (ir)responsable politique du moment. Ces deux types, qui ont pour dénominateur commun la vulgarité, seraient sans doute bien mal pris s’il leur était demandé de disserter sur le nihilisme, mais ils sont de véritables apologies du vide.

« L’écrivain doit être incorrect, seule façon de créer, surtout à notre époque de trouilles molles, de singes triporteurs et de censures médiatiques omnipotentes. » écrit J.-N. Schifano, dans Le vent noir ne voit pas où il va, des pages qui s’attaquent à Berlusconi.

L'écrivain doit être incorrect. Une définition de plus venant confirmer que Foglia en est un, et pas des moindres.

Pendant ma trêve électronique, j’ai dit une fois à la musaraigne qu’il m’arrivait d’avoir envie de poster juste un lien vers ses chroniques, tellement elles me semblent impérieuses. On ne peut pas faire un parc national pour cet homme, une impossibilité qui ne serait ni luxembourgeoise, ni canadienne, ni italienne ; ou alors peut-être les trois ; non, il n’y a rien qui permette de protéger ce genre d’espèce en voie de disparition, même pas convaincre le comité olympique de retirer le curling de la liste des sports d’hiver.

Je crois que ce n’était pas en réponse à ça, mais Anne m’a dit que si Massimo, avec qui la voir danser le tango constitue une définition tout à fait acceptable de la Beauté, s’habille tout en noir, c’est parce qu’il ne peut pas imaginer que son corps soit coupé en deux. Je me demande, constatant combien d’existences doivent faire fi de considérations essentielles, si ce n’est pas là que réside un certain salut personnel : dans le refus d’être scindé en son milieu ; par l’ambition, par la pression, ou par toute une tripatouillée de termes aux mêmes relents.

De là à avoir l’impression que cela passe par l’habillement, vu mon garde-shorts de mendiant, il y a des âneries que je ne devrais pas proférer.

« Nous sommes entourés de suicides énergétiques », dit en substance Léandre, dont la lenteur et la douceur sont des bienfaits prodigieux, des pichenettes au nez du « tout tout de suite » qui nous étouffe.

Dans la scène d’ouverture du « Big Lebowski », un type met la tête du « duc » dans la cuvette en lui demandant où se trouve l’argent ; il ne lui laisse pas le temps de répondre, la replonge ; quand Jeff Bridges peut parler, il dit qu’il ne sait plus exactement, mais qu’il serait sans doute judicieux qu’il retourne voire au fond des toilettes, les billets doivent forcément être quelque part par là.

L’éditorialiste du « Monde », aujourd’hui, déplore que l’économie n’ait pas changé plus en profondeur, après la crise, plutôt que de dresser d’illusoires garde-fous. Ce qui s’est passé, en fait, c’est exactement la scène d’ouverture du « Big Lebowski »; le deuxième degré, et donc l’humour, en moins.

Ces lignes de Martin Page, sur son blog, alors qu’il avait passé quelques jours chez Max :

« Marcher maintenant, pour moi, c’est convoquer Lisbonne, […]. Quand je voudrai ralentir mon pas, prendre le temps, ne pas succomber aux injonctions d’urgence et de stress, je penserai désormais à Lisbonne, pas loin d’être la ville où je me sens le mieux, une des villes en tout cas. Parfois une ville me sert à mieux vivre dans une autre. »

Je ne vais pas seulement y penser, mais y retourner bientôt ; sa folie, que la beauté figée helvétique a d’autant plus mise en perspective, me manque.


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lundi, août 02, 2010

ce qui clapote en nous






Un épervier passe, me laissant trop peu de temps pour l’admirer ; il était apparemment allé profiter des tartes succulentes de l’Auberge aux quatre vents. Je continue de courir, absorbé par quelques uns de mes refrains intérieurs ; j’arrive au pont de Grandfey, que je traverse poursuivi par mes divagations. C’est alors que je remarque, sur un des piliers, une inscription qui m’intrigue.


Je la lirai à mon retour.



Il y a quelques semaines, nous avions traversé ce même pont pour nous rendre jusqu’à l’ermitage de la Madeleine, avec Anne et Andrea. Un endroit fascinant, creusé entre le XVème et le XVII ème siècle dans les parois qui surplombent la lac de Schiffenen. En plus d’être parcouru par la dévotion qu’il a fallu pour créer ces galeries, on y marche sur des vagues de molasse attestant de l’existence de dunes de sable, et de l’existence de la mer à Fribourg, il y a environ vingt millions d’année.



Juste après cette petite escapade, Andrea s’est rendue en Bosnie une dizaine de jours ; elle en est revenue, m’a-t-elle écrit, sans bien savoir si une partie d’elle était restée là-bas, ou si un pan du pays était venu avec elle. « Ou alors j’ai trouvé l’équilibre. Qui sait. » Elle ajoutait, un peu plus loin, qu’elle avait des larmes aux yeux parce qu’elle sentait qu’elle sentait.




Elle ne savait pas quoi, mais elle sentait qu’elle sentait.


J’ai relu son message plusieurs fois, j’aime quand une certaine poésie parvient à toucher au plus juste de ce qui clapote en nous ; je quête ces instants où quelques mots s’accordent avec les gouttes douces-amères sur nos tempes.


Quand ce que l’on ne sait pas n’a pas besoin d’être déchiffré pour nous enrichir.


Léandre a voulu me portrai(ra)turer, l’autre jour ; il m’a dit, une fois terminé, que dessiner est risqué ; sans doute, comme écrire, comme lire ; comme aimer ; mais ce sont des risques riches.


Le souffle accordé au paysage, je fais demi tour en pensant à des vers de « L’identité obscure » de Jacques Ancet, des lignes où il est question d’un coureur qui ne sait plus s’il a encore ses jambes, et où « on cherche demain entre des mots qui disent hier. »


S’y étire ceci, aussi :


« (…)


tu marches sur les mots comme sur un pont de planches,


à chaque pas tu crois tomber, (…) »


J’ai ces tâtonnements suspendus au cœur.


En traversant, je cherche l’annotation sur les piliers, celle que, sans lire, j’avais déchiffrée, elle disait que le suicide ne résout pas les problèmes, mais qu’il leur met un terme.


Elle a disparu.


Il y en a une autre, dont je ne sais pas si elle la remplace ou si elle m’avait simplement échappé :


« Ne me parlez pas d’amour et de paix, parlez-moi de vous et moi. »

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