katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, novembre 29, 2013

la pertinence de la pluie



"Si j'étais soluble dans l'eau, tel un savon de vieux lavoir, je me laisserais fondre ici, rejoignant la mémoire du lac et ses molécules brassées qui ont visité l'univers. Un peu de moi aurait la pertinence de la pluie qui ruisselle sur la Dent d'Oche; un peu de moi serait mêlé à la nourriture des perches qui garnissent vos plats. J'entretiendrais vos nerfs, vos muscles et je saurais vos émotions. Enterré avec vous, j'irais engraisser des vers de terre que les merles extirperaient voracement. Évaporé dans l'air, j'appartiendrais modestement à la fulgurance des éclairs, à l'embrasement des couchants et je neigerais sur la ville."

Pierre-Laurent Ellenberger

Attente au Bar de l'Amiral

Edition d'Orzens

mercredi, novembre 27, 2013

ce que le vivant exalte en plénitude




"De ces trois poètes, je ramène l'idée que la vraie résistance se tient toujours auprès de la beauté. Je veux dire auprès de ce que le vivant exalte en plénitude. Le sentiment de la beauté naît de l'émotion que l'on éprouve en percevant soudain la plénitude d'une présence."

"La beauté est ce qui réinvente subitement le regard et qui, durant sans doute un bref instant, relie tout soudain la conscience à la totalité des ombres et des forces de l'esprit."

Patrick Chamoiseau

Césaire, Perse, Glissant
Les liaisons magnétiques

éditions Philippe Rey



dimanche, novembre 24, 2013

relever le col du monde






"les feuilles mortes
tiennent conseil
sur les trottoirs de l'avenue
fomentent sous un banc
palabrent devant le bistrot
escamotent le pavé de la révolution

des employés de la voirie
armés de souffleuses
effacent le tableau
interrompent le bal

la directive dit la poésie au compost"




"le vallon s'agite sous le foehn
les vignes partent en farandole
le cheval hennit sa solitude
le chien jappe une fausse chasse
le voisin nettoie ses outils
la voisine console sa dernière rose

c'est le temps de changer de chemise
laver celle des jours sombres
recoudre un bouton aux amours
et relever le col du monde

on dit que novembre est un mois à vivre"



pierre-andré milhit

la garde-barrière dit que l'amour arrive à l'heure

éditions d'autre part

vendredi, novembre 22, 2013

cette agrégations d'ombres








Il y avait, flottant à la surface de cette agrégation d'ombres qu'est le Léman en hiver, un hippopotame en bois. Une mouette lui poinçonnait le dos. Propice à la rêverie, cette vision fit passer par ma tête tout un maelström, à ne pas confondre avec Stromae, d'instantanés:

les eaux de la Thièle, débouchant brunâtres dans le lac de Neuchâtel, autre mosaïque d'obscurité huileuse

l'allée de peupliers se reflétant dans les champs détrempés, mélangeant tout: ciel, terre et rivière; hérons, arbres et moi; petit moi qui courais l'âme déployée

Javier Mascherrano qui dit que le football est la dynamique de l'impensable

la dame toute vieille et toute chou, assise au fond de sa banquette turquoise, dans le café du Chat Rouge, à Vevey, équipée de lunettes de compète, qui lisait du bout des lèvres, des yeux et du cœur un article sur Federer, le faisant en laissant échapper un bruit étouffé ressemblant fort à un ronronnement

des p'tits mecs qui, après avoir tapoté dans un ballon, étaient allé s'asseoir pour discuter entre potes, leur dialogue muet s'inscrivant dans le joyeux bordel des feuilles qui tourbillonnaient, vertes, jaunes, rouillées, entonnant l'automne descendant sur les Hommes; l'autoroute n'était pas loin, bourdonnement léger, balafre durable et pratique dans le paysage; puis les deux colinets avaient recommencé à jouer, chacun son but, western familier de mon enfance; au début du sentier bétonné que j'étais alors sur le point d'emprunter, à la recherche de quelque goûter biscuité, était inscrite une injonction fredonnant une autre relation à je, à tu, à ils, à nous, à vous: Priorité aux piétons


Prenant place dans le train, je sortais mon calepin pour y noter des bribes de ce qu'un tronc inspiré m'avait soufflé, me disant une nouvelle fois qu'écrire est pour mes doigts dessiner le fil d'équilibriste sur lequel j'ai marché, je marche, je vais marcher.

Je pensais donc noter ces fragments de douceur, mais c'est la violence de l'échange, à mes côtés, qui m'a happé:

"Elle me disait qu'elle voulait voir son bébé, mais il est mort il y a deux mois, tu comprends, mec, il y a deux mois, et les médecins ne lui ont rien dit. Elle chialait,mec, j'avais envie aussi, j'te jure mec, mais plus elle insistait, plus elle chialait et plus j'étais à deux doigts de la baffer, mec, pour qu'elle arrête, pour que tout arrête, pour que ça cogne en dehors et plus dans ma tête. Elle me soûlait grave, mec, tu comprends, elle me soûlait mais je savais que c'était pas elle, que c'était tout le reste, tout autour, toute cette vie de merde qu'on essaye de tuner, mec, mais c'est juste du maquillage et des mensonges. De la tricherie aussi, mec, oui, de la tricherie. Je voulais pleurer, mec, je voulais la baffer et moi avec, je voulais gueuler stop et tout recommencer autrement, mais c'était pas possible, tu comprends, mec, c'était pas possible. Elle arrêtait pas de se toucher les mains et moi j'voulais lui les faire bouffer, ses mains, mec, alors qu'il aurait simplement fallu les prendre et les caresser, mais j'pouvais pas, mec. J'pouvais pas."

dimanche, novembre 10, 2013

nous brûlions, je crois




"Chère Alice. Votre lettre timbrée du bureau de poste de la place Jeanne-d'Arc, m'a rappelé une promenade que nous avons faite un soir par là, il y a quelques années. Nous nous sommes beaucoup promenés alors; nous cherchions quelque chose que nous aurions bien pu trouver, avec un peu de chance. Nous brûlions, je crois...
Je n'écris plus, je pense à peine. Les médecins m'interdisent tout travail avant six mois. Je ressemble à mon ombre."

henri calet, lettre du 7 juillet 1956. Il meurt le 14 juillet à 3h du matin. Il avait, dans son agenda, entouré d'un large trait rouge le 13 et le 14.

peau d'ours

Editions Gallimard, Collection L'Imaginaire

mercredi, novembre 06, 2013

de vieux morceaux de vie




"Au fond, l'enfance est une valise, qu'on trimbale avec soi sans y prêter trop attention, où traînent de vieux morceaux de vie, des inquiétudes, des désirs, des fantasmagories, des illusions, des bévues, on a perdu les clés, on s'apprête à forcer la serrure, et tout à coup ça s'ouvre, ça ne demandait qu'à s'ouvrir."

Bernard Comment

Entre deux 
Une enfance en Ajoie 

Biro éditeur

samedi, novembre 02, 2013

un besoin intérieur délicat


"Des pierres, des feuilles, un nuage. Lumière, couleur et son. Tandis que les mots creusent la notion de "spectre", en passant par le spectroscope ou le spectrographe, ils en cernent aussi le domaine familial: fantôme, revenant, image aperçue pendant le sommeil ou dans le noir, sou l'emprise de la peur. N'avais-je pas dit: il ne suffit pas de regarder, de voir? L'on devrait chercher un moyen de développer un angle, une sorte de vision intérieure. Un entrebâillement, une fêlure, une fente secrète, par laquelle aller au-delà des cinq sens."

Enis Batur

D'autres chemins, traduit du turc par Ferda Fridan

Editions Actes Sud

vendredi, novembre 01, 2013

ce qui s'absente déjà de nous


"Voici les langueurs de l'automne
Ce qui s'absente déjà de nous
quand du trouble de l'âme
les images sont captées
C'est le sang qui s'en va
après avoir apposé ses rides
sur les yeux
C'est la terre désarçonnée
découvrant les étendues de la perte
Et c'en est ainsi des racines
qui sommeillent ou s'éveillent
dans le roulis aveugle
des saisons évasives"

Abdellatif Laâbi

L'automne promet

Editions de La Différence