katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, décembre 26, 2007

Le souhait d'un étang de mots soyeux

L’élan des arbres a été figé par un écho de blancheur, le regard se laisse déporter par cette quiétude enneigée. Mon imagination embrouille mes souvenirs, à moins que ce ne soit le contraire. Fidélité au rêve, infidélité à l’oubli.

Un incertain Jésus a essayé d’effacer la nuit, un jour, sur des terres aujourd’hui rongées par le cancer que l’humanité traîne avec elle : la soif du pouvoir, la faim de posséder, le besoin de croire.

Chaque année, célébration de cette naissance censée donner du sens et constituer notre essence, de ces deux vertus, nous ne voyons que l’absence, criante. Déchirante.

« Parler sans fin de ce qui se dérobe sans fin est une jouissance en regard de laquelle toutes les autres ne sont rien. »

Le soleil éclabousse mes pensées, invitant mes yeux à prolonger leur dérive vers d’autres rives. Ainsi soit-il. Ainsi sautille-je jusqu’au bus qui m’emmènera longer le lac de Gruyère, accompagné de deux Christian que j’aime, Bobin et Garcin.

Un livre du premier nommé vient de paraître, « La dame blanche », la première citation a été délicatement puisée dans ces pages qui murmurent la vie et la mort d’Emily Dickinson.

« Certaines personnes sont si ardemment présentes à elles-mêmes que, devant elles, on se découvre douloureusement une âme. Emily porte à son visiteur une attention qu’il ne s’est jamais porté à lui-même. […]. L’intelligence n’est pas de se fabriquer une petite boutique originale. L’intelligence est d’écouter la vie et de devenir son confident. »

Le second accompagne mes réflexions depuis que j’ai lu « Le vol du pigeon voyageur » et « La jubilation des hasards ». Il s’agit cette fois d’un petit texte, « L’autre monde », sur un tableau de Courbet intitulé « Cerf courant sous bois ».

« L’autre monde est à la fois le lieu de l’accomplissement et de l’impuissance, de la plénitude et de l’enfermement, de l’intime et du lointain. Il est immémorial et muet – comme les rêves, comme la mémoire involontaire. »

Quelques heures plus tard un linceul a étouffé le sourire solaire, ne sévit plus qu’un froid inquisiteur qui m’escorte jusqu’à la cathédrale Saint-Nicolas où sont programmées des Vêpres de Noël en grégorien et en polyphonie. Soif de musique qui touche l’âme.

« Je ne suis pas un notable, voudrait crier ce prêtre, ni votre complice, je ne suis pas le ministre de votre sécurité, je mets en question votre honorabilité mondaine, vos appétits masqués par de bon sentiments, votre philanthropie même, vos arrangements avec le ciel. Un dérangeur de votre ordre, voilà ce que je suis plutôt, l’homme de la Parole c’est-à-dire de l’insurrection contre les préjugés au nom même de la fidélité. »

La voix de Jean Sulivan, prêtre atypique qui a aussi été journaliste, est avec moi par l’entremise de son livre « Le plus petit abîme ». Des remous intérieurs qui ne sont pas sans rappeler le récent étonnement que l’on a pu ressentir en prenant connaissances des doutes qui ont accompagné mère Thérésa sa vie durant. Une revigorante douche de l’institutionnalisme religieux.

« Le bois de son cercueil sera le même que celui de son berceau. Toutes les sociétés colonisent le ciel. Emily ne veut faire partie d’aucune, surtout pas l’association des amis de Dieu. Si Dieu veut venir, il sait où la trouver. Que les bons élèves aillent à leurs belles cérémonies. Un saint n’est pas un bon élève. »

Bobin encore.

« La tyrannie du visible fait de nous des aveugles. L’éclat du verbe perce la nuit du monde. »

Bobin toujours.

En ce lendemain de Nativité, un minuscule présent me réjouirait, que toutes les personnes qui ont eu le courage de lire ce message jusqu’au bout déposent un seul mot, dans toute sa nudité, dans les commentaires.

Je fais le premier pas sur la glace d’un étang de paroles feutrées.

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lundi, décembre 17, 2007

Bide(t) identitaire

Il y a trois semaines, alors que je prenais le train après avoir tenté de me réconcilier avec les stades de football, une jeune fille est venue s'asseoir en face de moi. Elle a balbutié, avec l'aide de ses petites connaissances en français, pour me dire que mon sourire contrastait tellement avec ce qui l'entourait qu'elle avait considéré ceci comme une invitation.

Elle m'a alors un peu parlé de sa vie. Elle est kurde, habitait à Istanbul mais a rejoint son père qui a eu des problèmes avec la justice turque à cause de certaines de ses activités politiques.

Au moment de nous séparer, arrivés à Fribourg, elle m'a demandé une adresse pour m'écrire et pour s'entraîner dans la langue de Camus.

Nous nous écrivons tous les jours quelques lignes. Nous nous sommes également retrouvés une fois, ce qui m'a donné l'occasion de la voir pleurer. Elle était en train de me montrer des amis musiciens qu'elle ne va pas revoir pendant longtemps.

Comment répondre lorsqu'elle me demande pour quelles raisons la tristesse semble inonder cette Suisse ou tout semble "facile"?


Comment jongler avec la minuscule poignée de mots français qu'elle connaît (elle plonge avec avidité dans son dictionnaire pour combler le fossé) pour aller à l'essentiel?

Qu'est-ce que l'essentiel?

Comment expliquer que, malgré cela, je n'ai jamais vécu aussi intensément cette affirmation de Gary: "La barrière des langues, c'est quand on parle la même langue, impossible de se comprendre"?

Avec elle, derrière mon clavier ou une tasse de thé, il me suffit simplement de contredire le gris alentour pour être.

Comme toujours, dans ma vie, il faut que la littérature s'en mêle, que l'écriture s'emmêle, alors, aujourd'hui, j'ai lu "La poursuite de l'ombre" de Mehmed Uzun, un roman qui retrace la vie de Memduh Selim, un intellectuel kurde engagé.

J'ai pris conscience à quel point mon aversion des drapeaux est rendu possible par le fait d'une naissance qui m'en a conféré deux par trop empressés de briller de mille feux sur la scène internationale.

Bonjour monsieur Zine el Abidin Ben Ali, bonjour Excellence Suisse.

Qu'en est-il lorsque une identité, au lieu d'être multiple, est refusée dès la naissance?

Lorsque votre langue est interdite, pratiquement maudite?

Tout ceci se débat dans ma tête, se déballe sur le papier, mais je m'emballe, j'ai beau jeu, moi qui me suis vu demander, à différentes reprises, si je suis argentin, afghan, italien,...

J'étais assis sur un banc lorsque je me perdais dans ces ébats identitaires, dans ces messes basses non réglementaires, un chien s'est alors approché de moi.

Il me regardait avec curiosité, venait de plus en plus près.

Il pouvait sentir mes pieds.

Il a levé gaiement la patte, a pris son temps, visiblement content.

On ne m'avait encore jamais pris pour un urinoir.

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dimanche, décembre 09, 2007

Tête à lac

Cet après-midi, des instantanés d’insouciance ont défilé devant mes yeux alors que mes pas s’empierraient sur les rives du lac.

Je me revoyais d’une altitude d’une petite douzaine d’années, un ballon sous le bras et des rêves alors bien plus en phase avec ceux que d’autres faisaient pour moi. Une facilité sur les bancs de l’école qui semblaient me promettre aux ambitions les plus folles.

Pourtant, malgré une conduite exemplaire (que je voulais et revendiquais telle) je me souviens d’avoir demandé un jour à ma maman si elle se rendait compte que je pleurais presque tous les jours. Ce qui était vrai.

Uniquement pour des futilités et des caprices d’enfant, c’est certain, mais le fait est que, dès qu’une contrariété se présentait, on ne pouvait plus m’arrêter, une impressionnante fontaine asthmatique.

Tu veux une baffe pour savoir pourquoi tu pleures ?

Cet après-midi, des instants ânés de médisances ont filé devant mes yeux alors que mes pas empiraient sur les rives du lac.

Puis, lorsque mon grand-papa s’en est allé, le monde m’a rattrapé. De modèles à suivre absolument, les adultes qui m’entouraient sont devenus des personnages étranges et étrangers que, comme Brel, je regardais de loin en me demandant s’ils étaient imbéciles seulement avec les enfants, ou s’ils étaient imbéciles tout court. J’ai vite répondu.

Ayant élucidé ce mystère, je décidais de faire mon possible pour ne plus pleurer. L’incohérence et l’inconsistance des grandes personnes ne valaient pas la peine que je me mette dans cet état pour eux.

Je me suis alors mué en cynique taquin, pour le désespoir de ma grande sœur. C’était plus fort que moi.

Tu veux une baffe pour arrêter de te marrer ?

Dimanche, en fin d’après-midi, un instinct d’aîné bienveillant s’est faufilé devant mes yeux alors que mes pas respiraient la dérive du lac.

Le vent et la pluie investissent mes yeux, me donnant l’illusion rafraîchissante de n’être pas entièrement asséché en mon faible intérieur, me faisant croire que ma plume n’est pas seule capable de larmoyer. Larmes royales. Lame loyale.

Tout ce qui me maintient debout, quelques amis, course à pied, littérature, musique, amour de la solitude et de la nature, amour de la solitude et de la nature, littérature, musique, course à pied, quelques amis, comment le glisser dans la poche des jeunes (j’ai l’impression d’avoir, en alternance, 5 ou 95 ans, mais je me sens loin, tellement loin, de la tranche 15-30 ans) que je croise ?

Tu veux une baffe pour arrêter de te la raconter ?

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samedi, décembre 08, 2007


"Ce que je veux, c'est trouver l'autre de ma déraison"

Ananda Devi, Indian Tango

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vendredi, décembre 07, 2007

Pis ta mère, elle est biologiste?

Il y a une petite dizaine d’années, Tony Blair et Bill Clinton exprimaient leur désir, dans un communiqué commun, de voir le séquençage du patrimoine génétique de l’homme mis dans le domaine public. Le monde était en droit de s’attendre à des résultats pharmacologiques tout simplement prodigieux. On allait inventer une pastille à prendre lorsque certaines pulsions se manifesteraient de manière trop insistante au bureau à la vue de sa secrétaire, par exemple.

Mais non, la télécommande magique qui nous permettra enfin d’être de vrais humains, vous n’avez pas envie d’aller au travail aujourd’hui, appuyez sur la touche 7, vous aimeriez oublier que vous êtes la femme de votre mari, pressez la touche2, vous souhaiteriez ne plus vouloir noyer votre voisin, utilisez la touche étoile, continue de se faire attendre.

Alors il convient d’investir (400 millions pour la Suisse, il faut être à la pointe) dans une nouvelle discipline révolutionnaire, la biologie systémique, qui ouvre la voie à la biologie de synthèse.

Du chinois ?!? Pas du tout, c’est simple comme bonjour.

« Ces techniques permettent une véritable dissection du vivant pour en comprendre les composants et leurs modes d’action. Les techniques classiques d’analyse avaient conduit à un éparpillement de la vision que les biologistes avaient de la cellule et des organismes vivants. L’analyse était précise mais on ne comprenait pas les interactions et les interdépendances. »

Comprendre les interactions et les interdépendances, voilà le fin mot de l’histoire. Et ne pas s’éparpiller, parce qu’autrement on ne s’y retrouve plus.

J’ai trouvé cela drôle parce que, le même jour, je lisais « La littérature en péril » de Tzvetan Todorov, livre dans lequel il déplore que les études littéraires soient aussi techniques, nécessitant tout un vocabulaire linguistique spécifique, plutôt que de s’interroger sur le texte, sur ses « messages », sur ses ouvertures.

C’est fou ce besoin de connaître les constituants et les détails mécaniques sur le bout des doigts, négligeant complètement ce petit truc en plus, ou en moins, qui fait que des années à étudier la versification ne permettent pas de devenir Baudelaire ; omettant qu’on ne comprend pas comment entrer en transe, même aujourd’hui où il a été prouvé qu’effectivement, images du cerveau à l’appui, certaines personnes en méditation n’ont plus de sensations spatio-temporelles.

Je pensais divaguer encore en amenant « Chien blanc » dans la discussion, mais j’ai un peu la flemme alors je laisse le mot de la fin à Christian Bobin, des lignes subtilisées dans « L’épuisement » :

« Lire pour se cultiver, c'est l'horreur. Lire pour rassembler son âme dans la perspective d'un nouvel élan, c'est la merveille. »

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dimanche, décembre 02, 2007

Poisseux Noël

Un étrange écho de gris s’est emparé du ciel, les morceaux de tissus qui maquillent ma nudité accompagnent mes pas dans une quête de feu, sur ordre de ma théière, qui me traîne jusqu’aux portes de mes voisins. Personne. Seule PJ Harvey rythme mon errance dominicale. Je retourne alors près de la fenêtre, m’étant tout d’abord amoureusement emparé d’un livre de Pascal Quignard, un de mes compagnons de solitude préféré. Un des rares membres de ma famille recomposée que je ne peux pas lire n’importe où.

Sa voix, feutrée, et son regard, crépusculaire, requièrent une alcôve de sérénité.

« Ceux qui aiment ardemment les livres constituent, sans qu’ils le sachent, la seule société secrète exceptionnellement individualisée. La curiosité de tout et une dissociation sans âge les rassemblent sans qu’ils ne se rencontrent jamais. »

Un thé en voie de refroidissement réjouit mon palais, quelques épices viennent se joindre à ce ballet de douceur.

« Leurs choix ne correspondent pas à ceux des éditeurs, c’est-à-dire du marché. Ni à ceux des professeurs, c’est-à-dire du code. Ni à ceux des historiens, c’est-à-dire du pouvoir. »

Cette semaine, j’ai commencé, chez Fahrenheit, ma participation à la chaîne de dessillement des paupières. Grâce à cinq heureux francs, j’invite les lecteurs à se procurer « Les fourmis de la gare de Berne », petite nouvelle de Bernard Comment qui, réfléchissant sur notre billet de mille francs, le bout de papier le plus précieux du monde, montre l’eugénisme latent du culte de l’excellence et de la productivité que l’on nous fait gober.

Fermer les yeux, encore un peu d’épinards « bio », une morce de série B, une lampée de journaux gratuits. Vous avez gagné un écran plat.

« Ils ne respectent pas le goût des autres. Ils vont se loger plutôt dans les interstices et les replis, la solitude, les oublis, les confins du temps, les mœurs passionnées, les zones d’ombre, les bois des cerfs, les coupe-papier en ivoire. »

Monnaie fiduciaire. Se basant sur la confiance accordé à celui qui l’émet.

Ce sont des souvenirs des cours d’histoire du gymnase, le terme de confiance m’avait déjà semblé impropre. Aujourd’hui je le trouve franchement sale.

« Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses. Ils s’entre-lisent dans le silence, à la lueur des chandelles, dans le recoin de leur bibliothèque tandis que la classe des guerriers s’entre-tue avec fracas sur les champs de bataille et que celle des marchands s’entre-dévore en criaillant dans la lumière tombant à plomb sur les places des bourgs ou sur la surface des écrans gris, rectangulaires et fascinants qui se sont substitués à ces places. »

Il est bientôt temps de se gaver pour célébrer la naissance du Christ. En attendant le grand jour, il faut jouer des coudes et vider son porte-monnaie pour prendre place dans le ménage et sur le manège. Tourner le plus vite possible, histoire de ne pas réfléchir à tout ça. Ou quand la gestion douloureuse du foie, gras de préférence, permet d’éloigner la question de la foi.

Même pas besoin de dinde pour vomir.

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