katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

vendredi, août 09, 2013

un endroit où poser la tête












La vieille dame était à moitié sur la route, le bus à moitié sur le passage-piétons; ayant remarqué qu'elle était déboussolée, le chauffeur s'était arrêté, avait descendu la vitre. On ne comprenait pas ce qu'il lui disait, mais on voyait qu'elle ne répondait pas vraiment, qu'elle parlait pour elle, pour faire taire quelques bourdonnements dans sa tête. On devinait qu'elle était à moitié en déroute. Elle était finalement montée, était allée s'installer tout à l'avant, avait dit au chauffeur qu'elle était un peu perdue. Après cinq minutes:

"J'ai rendez-vous à la place Bel-Air, c'est là que vous allez?!?"

"Non, c'est là que vous étiez."

"Ah, bon ben alors je vais faire le tour avec vous. J'ai pas l'habitude, vous comprenez?!? Mais les billets, le samedi, sont valables une heure, c'est juste?!?"

Un peu derrière, une jeune fille, très calmement, disait à quelqu'un, au téléphone, de ne pas hurler. Elle ressemblait à une caissière de la Migros, qui avait pris dix minutes pour déplier tous les tickets de caisse chiffonés, dans sa corbeille à papier. Le motif: un mec, qui avait d'abord dit ne pas avoir besoin du sien, après l'avoir observé pendant 30 sencondes, s'était ravisé, des fois que le truc qu'il avait pris en action ne soit plus bon.

C'est pas bientôt fini, ce cirque.

Dans le train, alors que, vis-à-vis de moi, se trouvaient trois jeunes affublés de piercings, tatouages et gadgets désopilants, qu'ils parlaient pub et autres créations vomitives de ce siècle au début duquel je radote, en face, une dame lisait la Bible, récitant des passages tout bas, comme des mantras à même de la protéger. Je lui ai souri en prenant une pastille à la menthe, me disant que nous faisions la même chose : on tentait de se rafraîchir comme on pouvait.

Parfois ça marche, parfois ça péclote. Quoiqu'il advienne, on continue notre trotte.

Parlant foulées, on les a enchaînées, avec Mollets et mister Marc; on s'est mis une pleine rasée de crêtes du jura dans les mirettes et dans la carcasse. Douleurs et bonheurs en tous genres auront fredonné à nos côtés pendant notre périple. On a serré les dents par moments, manqué perdre nos mâchoires à d'autres; c'est que le Creux-du-Van, en fin d'après-midi, avec un pain façonné mains et un fromage de chèvre made by Maïté, on peut dire, si vous me passez l'expression, que ça le faisait. Ca le faisait bien, très bien même.

Détails épicés par ici.

Ces dernières semaines, je suis pris, pour différentes raisons (au-milieu de quoi plane aussi un peu de déraison), dans une sorte de mouvement perpétuel. Un terme qui me rappelle Pavel Nedved, l'infatigable milieu-de-terrain tchèque, qui a gagné le Ballon d'or en 2003. C'est assez rare que ce prix consacre un joueur de son acabit pour que je m'en rappelle. Ce type était au service du collectif, un "gratteur", comme on dit, doublé d'une aisance technique et d'une vision du jeu qui lui permettaient de ne perdre que très peu de ballons. Pavel, salut mec.

J'ai pensé à lui, à ses harcèlements sur le porteur du ballon, à sa justesse dans le placement, à sa subtile lecture du jeu, en parcourant des pages d'un de ses compatriotes, Jaroslav Seifert, poète de son état, Prix Nobel de Littérature en 1984. Il a écrit ceci dans "La chanson d'un intermède".

"[...]

Mais la vie ne marche pas sur la pointe des pieds;
parfois, elle nous secoue dans tous les sens
et frappe des pieds.

[...]

Et pourtant, je connais des vers
puissants comme une incantation de l'enfer
qui défonceraient les portes du paradis.
Je les ai chuchotés à des yeux surpris.

[...]"

Nedved me venant d'abord en tête, j'ai ensuite rigolé en me disant que c'est peut-être ce que le Brésilien Cafu lui avait chantonné, la fois où il lui avait fait manger trois sombreros (sans que le ballon touche le sol, on le fait passer par-dessus la tête de son adversaire; qui devient chèvre) de suite, l'air de rien.

C'est pas bientôt fini, ce cirque.

Une fin d'après-midi, alors que j'arrivais à Montreux, je m'étais dit que j'allais enfin m'asseoir un moment sur la petite terrasse couverte se trouvant au bord du "raidillon" que je gravis pour me rendre chez Jean-Luc. La seule table libre (il n'y en a que trois en tout) était encore mouillée des averses intermittentes de la journée. Était assis à une autre le sosie de Tabucchi. J'ai dû faire un effort pour ne pas paraître trop surpris. Après avoir demandé si ça ne le dérangeait pas, je me suis assis en face de lui. On s'est toisé gentiment, puis avons parlé de livres, des surprises de la vie, du Chili. J'ai vite été conquis. Il est parti avec mon adresse et, évidemment, le titre de quelques bouquins que je n'avais pu m'empêcher de lui recommander. Déformation passionnelle loin d'être occasionnelle.

Pour ses 80 ans, j'ai embarqué ma grand-maman dans deux jours de vadrouille. De Fribourg à St-Moritz en passant par le col du Julier, puis retour ferroviaire avec courtes escales à Coire et St-Gall. Cela m'a permis d'apprendre, entre autres, que "les martinets ressemblent aux hirondelles, mais sont plus grands, tout noirs et ont les ailes comme des avions. A Champagne, il y en a vers chez Bernard, mais pas au village. Peut-être qu'ils sont là parce qu'il y a l'Arnon tout près."

"T'as vu comme les arbres sont tout maigrichons, ici! Impressionnant la hauteur qu'ils doivent pousser pour avoir un peu de lumière!!"

J'ai appris à repérer le cri du Choucas, à apprécier que la campagne, par endroits, pouvait être comme "faite au pinceau".

Parlant d'un article que nous avons concocté avec Luca, elle m'a dit qu'elle avait envie de le lire, mais que sans ses lunettes, "les lettres dansaient".

Ce papier sur Pierre-Laurent Ellenberger, paru dans "La Cité", m'a motivé à davantage me consacrer à d'autres projets d'écriture, dont la plupart auront Luca pour compère et repère.

"Ton origine est dans ce que tu vas faire. " Sophocle dixit.

Piazzolla à Galliano, après l'avoir entendu jouer un tango avec Nougaro: "Un musicien doit puiser dans son terreau culturel. Vous jouez trop à l'américaine." Après quoi Galliano retourna s'imprégner davantage de bals musettes et autres guinguettes, pour trouver un son et une manière de déplier les notes qui soit plus proche de ce qui mijote en lui.

Dans "Rosa Mystica" de Salaferte, duquel il n'y a pas grand chose à retirer, un mot, tout de même, est venu me caresser la joue; Google ne sait qu'en faire; remettons-nous en à sa douceur: "le clapèlement de l'eau." Comme un clapotis qui hèle.

André Gide à Eugène Dabit, suite à la lecture de son manuscrit intitulé "Hôtel du Nord", dans lequel l'écrivain, issu d'une couche populaire qui avait peu voix au chapitre ès publications, se proposait de donner à voir et sentir l'ambiance et les historiettes de ce lieu miteux tenu par ses parents: "Il y a un tas de paillettes d'or dans votre récit, des phrases ininventables qui parfument la page entière."

Des phrases ininventables qui parfument la page entière, j'y fonce la tête la première.

Du coup, je ne serai plus beaucoup par ici; ou peut-être si, mais juste pour y copier quelques extraits de livres que je parcourrai, pour y déposer quelques photos que je grappille paresseusement tout au long de l'année, pour, de temps en temps, partager avec vous des saynètes qui m'effleurent.

C'est pas bientôt fini, ce cirque.

Aux alentours de minuit, rentrant d'une expédition pendant laquelle beaucoup de souvenirs avaient croisé le fer, au gré du courant de l'Aar et du sommeillant du lac de Zürich, mes pas ont suivi, à rebours, une piste composée de cœurs dessinés à la craie. Tous les cinquante mètres, une inscription amoureuse en suisse-allemand. Chaque fois je me retournais, dans la mesure du possible la déchiffrais. Cela s'arrêtait tout près de chez moi. Ne m'était donc pas destiné.

Longeant ce sentier éphémère, j'avais fait une pause, m'étais assis sur un banc, devant le sympathique café Parterre. J'y avais noté quelques impressions fugaces, avais laissé se nuager sur le papier des bribes de ma journée. Avais relu quelques poème de Manuel Antonio Pina, grand homme avec qui je vous ai déjà bassiné quelques fois. 

Ceci, ci-dessous, est de lui; voici, voilou:

"Só quero um sítio onde pousar a cabeça.
Anoitece em todas as cidades do mundo,
acenderam-se as luzes de corredores sonâmbulos
onde o meu coração, falando, vagueia."

"Je veux juste un endroit où poser la tête.
La nuit prend place dans toutes les villes du monde,
s'allument les lumières de corridors somnambules
où mon cœur, parlant, flâne."