Sometimes a person never comes back. Parfois une personne ne revient jamais.
Premier dimanche du
mois. Marché aux puces à la Reitschule. Parterre bariolé Des
curieux qui se mettent au diapason des curiosités. Que l'idée soit
d'acheter une tondeuse à gazon, une tronçonneuse, un disque ou des
lunettes, pour têtes ou pour toilettes, il devrait y avoir quelque
chose en mesure de remplir ce rôle. Si la volonté est juste de
flâner pour brasser ses pensées, l'endroit s'y prête également.
Il y a trois mois,
c'était une matinée ensoleillée qui avait lancé ces festivités
dominicales alors que la nouvelle année était tout juste arrivée.
Il y a trois mois, j'étais passé en courant, tout content; j'allais
rejoindre des amis déjà en train de jouer avec une balle et un
filet, dans un entrepôt rempli de sable; petite note estivale
au-milieu d'un hiver rigoureux.
Il y a trois mois,
levé à l'aube, j'avais écrit d'une traite un déblogage intitulé
"Un affectif de l'infime".
Il y a trois mois,
je me réveillais, puis écrivais, puis buvais mon café, puis
lisais, puis traînassais, puis sortais baskets aux pieds et sac de
sport sur le dos, puis jouais au volley, puis mangeais une part de
gâteau des rois, puis.
Il y a trois mois,
pendant ce temps, pendant cet enchaînement de "puis", ma
maman se laissait tomber dans le puits où elle se morfondait depuis
des années, convaincue que la lumière, la concernant, ne serait
plus, pour toujours, qu'une vue de l'esprit; une vue embrumée d'un
esprit troublé et ankylosé. Elle décidait que le combat était
perdu, que ses doigts et son corps meurtris n'aspiraient plus qu'à
une chose: du repos.
Il y a trois mois,
pendant que je me sentais pleinement vivant dans différentes
configurations, ma maman, percutant le fond d'un puits asséché,
entrait dans le mystère de cette mort dont elle avait déjà une
main sur l'épaule, espérant ainsi rebondir ailleurs, loin de la
solitude et de l'obscurité.
Sometimes a person never comes back. Parfois une personne ne revient jamais.
Mon déblogage ne
devait pas prendre cette direction. Je pensais parler encore de
nombre d'instantanés interceptés outre-méditerranée. Au hasard:
un ponton croulant, ainsi que les barques dans son giron, sous des
filets de pêche indolents; un petit mec, dans les toilettes de
l'aéroport, disant à son pote, s'éloignant de l'urinoir: "It's
too high for me!"; des stations d'essence qui s'improvisent
partout, à grand renfort de bouteilles en plastique, grâce à du
carburant venu illégalement de Lybie et d'Algérie; un de mes oncles
très croyant me disant que pour lui "la politique c'est le
Diable"; un autre tentant, dans un français balbutiant, à
l'aide d'une élocution approximative, de me raconter l'histoire du
Youssef du Coran; la maison d'un de mes cousins, bâtie dans une
zone, à l'ouest de Tunis, où il n'y avait que des moutons et des
cabanons, il y a cinq ans, et où maintenant les requins de
l'immobilier ont mordu à pleines dents, sans se soucier le moins du
monde des tas d'immondices s’amassant dans ce quadrillage foireux –
depuis le toit de chez lui, au petit matin, surplombant une partie de
la ville, scrutant l'horizon pour choisir où aller courir, je me
suis rétracté du fait de grappes de chiens pullulant un peu partout;
ils auraient ri au nez de la petite caillasse visant à les effrayer,
je n'aurais alors pas donné cher de mes mollets; pas que.
Sometimes a person never comes back. Parfois une personne ne revient jamais.
C'est cette phrase,
qui fait face à qui s'installe dans le lieu d'aisance, chez des
amis, qui a décidé d'être le refrain de lignes à venir. Ainsi
s'étire-t-elle. Je suis parti de chez eux avec une carte postale sur
laquelle figure une main, tenant un crayon, s'apprêtant à
contrecarrer le règne du blanc. "Tu penses que c'est une
main qui écrit ou qui dessine?!?" m'a demandé Dominic, les
siennes faisant les deux à merveille. Je ne sais pas, mais je sais
qu'elle est le prolongement et l'expression d'une tête qui tente de
concilier la boue et le bleu de son environnement; je ne sais pas,
mais peu importe, je sais que ces deux gestes sont beaux et
importants. Je sais que ma maman s'en est allée parce que les deux
lui étaient devenus difficiles et que, du coup, je vais continuer,
avec une motivation renouvelée, à envelopper mes pas et ma voix
dans un doux mélange des deux.
Sometimes a person never comes back. Parfois une personne ne revient jamais.
Je viens de m'imprégner de deux livres fabuleux: D'autres chemins d'Enis Batur et Pourquoi être heureux quand on peut être normal de
Jeanette Winterson. Deux livres dans lesquels lecture et écriture se
donnent à voir et sentir comme centre névralgique, comme
indispensable carte d'un monde par moments fuyant, hostile ou opaque;
comme une carte qui est l'anti-thèse d'un GPS en ce qu'elle refuse
toute programmation. Ce n'est pas une carte que l'on consulte pour
savoir comment aller quelque part, c'est à peine une carte qui vous
dit où vous êtes, mais dès que vous avez repéré quelque chose
qui pourrait être votre emplacement, vous êtes déjà ailleurs.
C'est une carte qui
est mille cartes en une. C'est une carte qui est mille et une nuits.
C'est une carte qui est 101 dalmatiens. C'est une carte qui est
l'armée des douze singes. C'est une carte qui est 28 grammes.
C'est une carte qui
vous dit que toujours une personne ne revient jamais, que cette personne c'est vous, que cette personne c'est votre voisin, que cette personne c'est chaque être humain. C'est une carte qui vous dit que ceci
s'appelle la mort, et que c'est précisément parce que la mort
veille qu'il faut tenter, chaque jour, de débusquer dans la vie des
bribes de merveille.
"Je n'avais personne sur qui
compter, mais T. S. Eliot m'a aidée.
Du coup, quand les gens disent que
la poésie est un luxe, qu'elle est optionnelle, qu'elle s'adresse
aux classes moyennes instruites, ou qu'elle ne devrait pas être
étudiée à l'école parce qu'elle n'est pas pertinente ou tout
autre argument étrange et stupide que l'on entend sur la poésie et
la place qu'elle occupe dans nos vies, j'imagine que ces gens ont la
vie facile. Une vie difficile a besoin d'un langage difficile – et
c'est ce qu'offre la poésie. C'est ce que propose la littérature –
un langage assez puissant pour la décrire."
Jeanette Winterson
vous passe le bonjour.