la terre te murmure son véritable nom
L'envie était simplement d'aller prendre quelques photographies du terrain de foot enneigé et de ses environs. "Je reviens tout de suite", ai-je dit à ma grand-maman.
C'était sans compter sur une espèce d'attraction vers le revers inexistant de ce tableau engorgé de blanc.
J'ai commencé à longer l'Arnon, avec de nouveau ce milan royal à la carrure imposante qui me toise souvent au départ et à l'arrivée de mes déroulements de foulées. De la cime d'un arbre ou d'un piquet en bordure de route.
Dans le sous-bois, les frimas étaient moins agressifs, mais au retour, par le bas des vignes, il fallait composer avec cette poudre de neige que la bise chassait pour la souffler au visage, pour la siffler aux oreilles, improvisant d'imposantes congères.
"J'ai eu peur que tu perdes ton nez", me dira la Cri-Cri quand j'arriverai une bonne heure et demi plus tard. "T'es pas un peu fou?!! Qu'est-ce que t'as foutu, avec une cramine pareille, on n'a pas idée!!!"
Et pourtant si, tellement d'idées et de pensées qui défilaient dans ma tête pendant que je défiais le froid et ses sentiers encombrés. Presque une sensation mystique, la même qu'en écoutant, à la lueur d'une bougie, des chants grégoriens à l'orée du matin.
Saisir les expressions de ma grand-maman et les contours de la place de jeu de mon enfance entre les doigts, le plus délicatement possible, les déposer dans un herbier imaginaire, regarder de plus près les rainures des feuilles, leurs veines et déveines, c'est aussi une manière de prendre soin de la disparition de ma maman, de celles et ceux qui l'ont précédée, de celles et ceux qui s'effaceront ensuite.
Prendre soin d'une disparition pour que, précisément, ce n'en soit pas complètement une.