katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mardi, juillet 27, 2010

soulever un univers





Un triangle gris ; une partie de la gare en constitue le plus petit côté, les deux autres sont formés par un centre commercial et un communication centre ; sur le panneau où figure le nom de la place, il y a une publicité Rolex.


Constatant cela, j’ai retourné Robert Walser dans sa tombe ; pour la forme ; parce que lui, détaché comme il l’était, n’aurait probablement que fredonné un haussement d’épaules ; il y aurait vu une confirmation de plus du ridicule qui nous entoure.


J’étais à Bienne, j’attendais le train qui m’emmènerait à Delémont, début du périple en direction de Chalon-sur-Saône. Où se tenait un requinquant festival d’artistes de la rue. Où passait, il y a 70 ans, la ligne de démarcation ; qui n’a rien à voir avec la faculté de scorer de Klose, Villa, Forlan ou Higuain ; il était question d’autres balles, d’autres filets aussi.




Il y avait à l’époque à Bléré, qui se trouvait aussi sur la frontière entre zone libre et zone occupée, un éclusier qui inondait sa barque, la journée, pour qu’elle échappe à la vigilance des Allemands ; puis il s’en servait, la nuit venue, pour faire passer des clandestins.


De petites vagues de Résistance scintillaient alors à la surface du Cher.


A Chalon, la rue débordait de spectacles, les espaces verts de tentes, les visages de lumière ; la créativité s’offrait à qui voulait, souvent simplement à qui passait.



Selon les spécialistes des nouvelles technologies, Facebook est devenu, avec 300 millions de membres, le troisième état de la planète ; j’ai lu cette information le même jour que celle qui m’apprenait que la Cour Internationale de justice a reconnu l’indépendance du Kosovo.


Le virtuel a pris une telle place dans notre trouble réalité, qu’il s’autorise même à redéfinir un terme aussi délicat que celui d’état ; cela a le droit de nous mettre dans tous les nôtre, d’états.


A Chalon, il y avait des danseurs qui réinventaient l’espace publique en faisant vibrer leurs corps sur la façade d’un musée, les spectateurs assistaient à cela allongés par terre ; il y avait des spectacles de marionnettes où la belgitude gagnait ses lettres de noblesse ; des concerts tellement déjantés que les films de Kusturica en seraient presque devenus anodins; il y avait des types qui réglaient la question d’une bière renversée par inadvertance en jouant à feuille, caillou, ciseau ; il y avait des acrobates qui se muaient en human beatboxers ; il y avait la possibilité de passer une heure qui resterait longtemps gravée sur les pages poésie du livre de ses souvenirs.




Amazone a annoncé que le livre numérique a dépassé le livre relié ; Alexandre Jardin a signé un contrat avec Orange, il est question de proposer aux abonnés de lire un roman pendant sa rédaction ; l’idée est de rendre les téléphones portables plus humains, d’en faire des objets e-mouvants.


Il est possible d’y sentir les relents de nauséabonds sables mouvants électroniques.


A Chalon, j’ai lu un petit livre de Christian Garcin, une nouvelle qui m’a rappelé combien j’aime le fantastique dont cet écrivain drape le quotidien. La préface de cette ouvrage, rédigée par Christophe Fourvel, s’ouvre sur la mort de Fabien Barthez, le poisson rouge de Christian Garcin. On est tout de suite dans le bain, la tête sous l’eau ; on en ressort le visage couvert de mousse, tout contents de souffler comme des gosses pour s’en débarrasser ; en vain.




La sensation que ce monde - étouffé par les joujoux géniaux qu’il se construit, le nombrilisme qui le sous-tend et les faux problèmes qui le régissent - me crache à la figure une ligne de démarcation ; j’ai vite choisi mon camp.


A Chalon, j’ai lu aussi un article de Jean Starobinski sur Kafka, un article qui date de l’année où la ligne de démarcation disparaissait, les Allemands envahissant la zone libre suite au débarquement allié en Afrique du Nord, l’Italie profitant également d’étouffer un peu plus la France.


« L’art de Kafka est d’une trempe inégalable. Il soulève un univers. Le lecteur est entraîné dans un monde entre la veille et le songe. La conscience n’est pas disloquée ; elle ne se disperse pas, mais elle se concentre en un lieu mystérieux d’où nos proportions paraissent faussées. »


Kafka admirait la prose de Robert Walser ; Christian Garcin a écrit un roman qui s’intitule « La jubilation des hasards » ; Christophe Fourvel glisse sur le papier des mots qui, pour son plus grand plaisir, lui échappent parfois ; Jean Starobinski voulait faire, avec Nicolas Bouvier, un livre sur le corps et ses représentations.


A Chalon, alors que des histoires me parvenaient de partout, l’Histoire me traversait grâce à des pages où elle apprend à douter ; à Chalon, j’ai bu de rafraîchissantes lampées de la vie qui se moque des écrans, celle qui sera le plus à même de s’adapter à la catastrophe devant quoi on se tient, sans pouvoir deviner à quoi elle ressemblera.

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dimanche, juillet 18, 2010

anachroniques de l'éphémère






Ce type m'intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



Il m’a tout juste accordé un hochement de tête quand je l’ai salué pour lui demander si je pouvais m’asseoir en face de lui, n’a pas davantage desserré les dents quand, après un éternuement, j’ai prononcé une des formules d’usage.



Ce type m’intrigue, il découpe des articles de journaux, prend des notes, laisse son regard cheminer dans un labyrinthe imaginaire, qui se déplace apparemment à la même vitesse que le train ; peut-être même un peu plus vite ; j’ai aussi remarqué qu’il s’est presque démis la nuque pour parvenir à déchiffrer ce que je lis.



Ce type m’intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



Troublé par cette sensation, je sors mon calepin ; il y a un moment que je n’ai pas écrit, contrarié par des vents circulaires.



Revenir à ce précieux sanctuaire, il tempête dans mes doigts.



Je devrais davantage m’ancrer dans la terre, m’a-t-on dit ; j’ai peur d’alors perdre les élans qui m’encrent dans la mer.



Même s’ils sont puisés dans l’amer ?



Oui, sans hésitations.



Verseau, signe d’air; mais mon verso aime se dessiner dans l'eau ; écrire, m’agenouiller dans l’Océan qui relie ma tête et mes pieds ; qui les recouvre parfois.



Demeurent, quand l'eau abandonne le rivage, des coquillages inconnus à la recherche d’oreilles fatiguées.



Ce type m’intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



Dans le lit qui faisait face à celui de Béatrice, à l’hôpital, se trouvait une dame souvent délaissée par sa tête ; elle(s) errai(en)t d’un moment d’absence à un autre. Son mari, aussi « coincé » ici, mais quelques étages plus bas, passait parfois la voir. Leurs échanges oscillaient entre absurde et tragédie ; quand le second registre prenait le dessus, s’échappaient d’obscurs éclats. En voici un, resté figé dans mon oreille qui s’égarait : « On en a vite marre de souffrir. »



Garrocher : jeter des petits cailloux à des fins propitiatoires.



Ecrire : garrocher en esprit, au rythme de ses paupières.



Passant une soirée à Neuchâtel pour regarder un match de la Coupe du Monde – délicieux Danemark-Japon -, j’ai écouté avec bonheur Xavier me parler de l’époque où, comme personne n’avait de téléphone portable, l’habitude était, pour certains jeunes de Bevaix, d’appeler depuis chez soi la « cabine du verger » ; si quelqu’un répondait, il était l’heure d’aller prendre un bain d’amitié.



Jean-Pierre Le Goff, suite à l’affaire Anelka, a parlé, dans « Libération », d’adultes « mal finis », avançant notamment le fait qu’il n’y a plus de service militaire à même de transmettre le sentiment d’appartenance à une communauté ; l’armée considérée par un sociologue comme rite indispensable pour passer à l’âge adulte; peut-être qu’il a regardé les matchs avec Eric Besson et Alain Finkielkraut; le fait est que, pourtant fort peu porté à quelque vulgarité que ce soit, je leur servirais volontiers la phrase qui a lancé le débat.



Ce type m’intrigue car il pourrait être moi, le sourire en moins, la bedaine en plus.



En quelques semaines, des élèves m’ont demandé si j’étais Grec ; un type pas complètement étanche, à la recherche d’une glace, m’a demandé si j’étais Italien; l’ami d’un ami m’a pris pour un Libanais ; une dame a pensé que je faisais partie de l’Ensemble Kaboul, qui venait émerveiller l’église St-Michel ; un milan, avant de disparaître dans les entrailles d’un nuage, m’a pris pour un des pigeons qu’il venait d’effrayer.



Cette multiplicité m’irrigue.



Derrière le type bizarre qui me fait face, derrière ce miroir déformant, une dame lit ; je crois déchiffrer le titre de l’ouvrage : « Chroniques de l’éternité ». Je souris, je me dis que c’est exactement le contraire de ce que je sculpte en silence. Ce qui me donne une idée pour emballer mes pensées sens dessus dessous, elles pourraient avantageusement s’appeler : « anachroniques de l’éphémère ».

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