l'écho est mon voisin
Dong, dong,
Quand je prends place au bureau – théière et tasse à ma droite déjà prêtes à l'emploi-, je ne distingue dans un premier temps que l'église de Sâo Estevão et une ligne lumineuse - Montijo, Moita, Barreiro -, provenant de l'autre côté du Tage ; cet horizon pointilliste passe exactement à hauteur de mes yeux, dans le reflet léger que susurre la vitre.
dong, dong,
Lorsqu'il fera jour, se profilera Palmela et son château, sur une colline derrière les villes tout juste égrenées. L'appel étant puissant, nous sommes allés y promener notre curiosité, ceci en synchronisation totale avec cinq cars de personnes dont je ne m'avance pas trop en supposant qu'elles étaient toutes nées pendant la première moitié du siècle dernier. Hormis notre présence, ils devaient se sentir bien jeunes, crapahutant comme ils pouvaient, certains avec grand peine, dans ce site marquant plusieurs siècles au compteur. J'ai posé la question à un papy qui me regardait avec insistance.
« Tu sais, je peux encore te mettre un pied au cul mon p'tit gars. »
dong.
Là je sais pas trop comment écrire les vibrations de la cloche, mais le fait est que
Cinq heures sonne.
Lisbonne ne se réveille pas encore, oh que non.
Dong, dong, dong,
Par endroits, le trait lumineux, auquel le fleuve dessine une écharpe d'un noir profond, tremblote. Illusion d'optique ?!? Caprice électrique ?!?
dong, dong.
A ma gauche, j'ai collé quelques images – le FC Rond, la musaraigne toute petiote dans une bassine, Gustave Roud,... - et une chronique de Lobo Antunes intitulée Tout ce qui croît a besoin de beaucoup de temps pour croître. Un paragraphe y est mis en évidence :
« Le secret d'écrire est d'être strabique, avoir un œil sur le ballon et l'autre sur les joueurs. Quand j'étais petit, j'étais épouvanté par le fait que les yeux des lézards étaient indépendants l'un de l'autre, mais quand j'ai commencé dans cette vie je me suis découvert lézard sur une pierre, aux aguets, tout tranquille, tournant les pupilles vers différents endroits, friand de la mouche d'une phrase. »
Dimanche, pour ne pas perdre nos bonnes vieilles habitudes, nous sommes allés nous promener dans un cimetière que l'on ne connaissait pas encore, celui de São Jão. Il existe depuis 1833, suite à une épidémie de choléra – Lisbonne serait-elle donc un magnifique mouchoir en tissu, dont la mission est d'essuyer, à intervalles plus ou moins réguliers, des catastrophes ?!? -. Il abrite le premier crématorium de la ville. Il est situé sur une colline, dans la partie nord-est de la ville. Il est en étages, des niveaux plutôt « éclectiques » comme le signale une plaquette ; le terme m'a d'abord paru déplacé, mais en fait non, il convient bien. Remarquons tout de même que la hiérarchie, celle qui poursuit les hommes jusque dans leur ultime retranchement, est « respectée ». Somptueux caveaux à l'entrée, dans la partie supérieure ; zone « mixte » lorsque l'on commence à s'éloigner ; tombes les plus pauvres en bas, tout tout en bas.
Pour nous rendre entre ces longs murs délimitant le périmètre sépulcral, nous avons traversé quelques coins qui sont des morceaux d'une Lisbonne d'un autre temps ; ce qui les diffère d'autres fragments anciens, c'est une sorte de « position-limite ». Ils ne sont pas insérés dans un petit ensemble, en mutation ou pas, mais représentent plutôt des sortes de frontières fantômes. Celle-ci donne sur une ouverture (une saignée?!?) effectuée pour faciliter le transit, à savoir une route qui, du bord du fleuve, se rend dans un quartier débordant d'immeubles ; ces derniers, comme le suppose leur configuration, débordant de gens.
Des deux côtés de cette route, des lambeaux de ce qui a existé, et subsiste laborieusement aujourd'hui.
Pour mieux me représenter la nécropole et ses prolongations, je suis allé courir sur le monticule qui lui fait face ; il permet d'avoir plus ou moins une vue d'ensemble. Il s'agit de la mairie de Beato, on y trouve aussi, notamment aux bordures, des enclaves donnant sur avant.
Avant quoi ?!? Bonne question. Vous auriez dit après ?!? Je pense que ça marche aussi. C'est sans doute pour cela que j'aime tant laisser filer mes idées entre tombes et ruines en tous genres.
Je suis incapable de dater mon attrait pour les friches. D'ailleurs peu importe, mais à présent, je suis comme attiré – qui est le pôle positif ? négatif ? - par ces zones ayant parfois été le centre d'une activité frénétique, pour n'être plus maintenant que des décharges d'histoires ayant mal fini.
Metáfora.
Metafórica.
Vous distinguez les accents ?!? D'abord sur le « a », puis sur le « o ». Ces subtilités de prononciation me réjouissent le palet et l'oreille. Capter cette musique, parvenir à créer une certaine intimité avec les mots à trois syllabes s'accentuant, de manière contre intuitive, sur la première (chávena = tasse, pássaro = oiseau, ...), voilà des défis stimulants.
Mais là je pars aux fraises sans vous ménager une transition dans les règles de l'art.
C'est que je suis une désarticulation non réglementaire.
"Je sème de mes mains.
Je plante avec mes reins;
Muette est la pluie fine."
Hier, je suis sorti pour aller m'acheter quelques stylos. Tac Tac Tac ; c'est moi qui descends les escaliers de la maison. Nnnnyyyy ; l'ouverture de la boîte à lettres – rien, je peux savoir ce que vous attendez?!? -. Yeah man; salutations habituelles avec notre pote qui surveille les coulisses du château ; son rire monte jusque chez nous, il nous refile une patate de première qualité. Oh la la ; je passe devant Portas do Sol. Kézako ?!?; Une exposition sur la torture pendant la dictature, effectuée, Salazar était féru d'Histoire, dans un lieu qui servait à ce genre de sévices depuis la période islamique. Hop hop hop ; je slalome aussi vite que faire se peut dans la zone commerciale de la Baixa et du Chiado. Ben mon vieux ; ce que je me dis en confrontant mes tympans à un marteau-piqueur. Vous vous reposez parfois ?!?; m'enquiers-je au près d'un autre de mes potes, en permanence à faire des cafés délicieux au Largo do Coutoleiro.
Puis je m'assieds sur un banc, au miradouro de São Pedro de Alcântara, je pose à côté de moi le Jornal de Letras, sur lequel figure le senhor doutor Lobo Antunes. Il a une dissymétrie prononcée au niveau du visage : l'oeil gauche, plus bas, semble sombrer dans son cœur déchiré ; le droite volète dans une nuée de voix fantômes. Le strabisme comme outil pour écrire, me répète-t-il.
Un petite plume, moitié blanche moitié grise, passe par-dessus mon épaule ; elle toupille au nez et à la barbe des secondes.
Le titre du livre de Lobo Antunes qui sortira l'année prochaine est déjà arrêté, il vient du poème Entraperçue de René Char :
"N'est pas minuit qui veut".
Les deux vers qui précèdent, les voici :
"Dans un sentier étroit
J'écris ma confidence."
Le dernier:
"La brume est ma suivante."
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