Le souhait d'un étang de mots soyeux
L’élan des arbres a été figé par un écho de blancheur, le regard se laisse déporter par cette quiétude enneigée. Mon imagination embrouille mes souvenirs, à moins que ce ne soit le contraire. Fidélité au rêve, infidélité à l’oubli.
Un incertain Jésus a essayé d’effacer la nuit, un jour, sur des terres aujourd’hui rongées par le cancer que l’humanité traîne avec elle : la soif du pouvoir, la faim de posséder, le besoin de croire.
Chaque année, célébration de cette naissance censée donner du sens et constituer notre essence, de ces deux vertus, nous ne voyons que l’absence, criante. Déchirante.
« Parler sans fin de ce qui se dérobe sans fin est une jouissance en regard de laquelle toutes
Le soleil éclabousse mes pensées, invitant mes yeux à prolonger leur dérive vers d’autres rives. Ainsi soit-il. Ainsi sautille-je jusqu’au bus qui m’emmènera longer le lac de Gruyère, accompagné de deux Christian que j’aime, Bobin et Garcin.
Un livre du premier nommé vient de paraître, « La dame blanche », la première citation a été délicatement puisée dans ces pages qui murmurent la vie et la mort d’Emily Dickinson.
« Certaines personnes sont si ardemment présentes à elles-mêmes que, devant elles, on se découvre douloureusement une âme. Emily porte à son visiteur une attention qu’il ne s’est jamais porté à lui-même. […]. L’intelligence n’est pas de se fabriquer une petite boutique originale. L’intelligence est d’écouter la vie et de devenir son confident. »
Le second accompagne mes réflexions depuis que j’ai lu « Le vol du pigeon voyageur » et « La jubilation des hasards ». Il s’agit cette fois d’un petit texte, « L’autre monde », sur un tableau de Courbet intitulé « Cerf courant sous bois ».
« L’autre monde est à la fois le lieu de l’accomplissement et de l’impuissance, de la plénitude et de l’enfermement, de l’intime et du lointain. Il est immémorial et muet – comme les rêves, comme la mémoire involontaire. »
Quelques heures plus tard un linceul a étouffé le sourire solaire, ne sévit plus qu’un froid inquisiteur qui m’escorte jusqu’à la cathédrale Saint-Nicolas où sont programmées des Vêpres de Noël en grégorien et en polyphonie. Soif de musique qui touche l’âme.
« Je ne suis pas un notable, voudrait crier ce prêtre, ni votre complice, je ne suis pas le ministre de votre sécurité, je mets en question votre honorabilité mondaine, vos appétits masqués par de bon sentiments, votre philanthropie même, vos arrangements avec le ciel. Un dérangeur de votre ordre, voilà ce que je suis plutôt, l’homme de
La voix de Jean Sulivan, prêtre atypique qui a aussi été journaliste, est avec moi par l’entremise de son livre « Le plus petit abîme ». Des remous intérieurs qui ne sont pas sans rappeler le récent étonnement que l’on a pu ressentir en prenant connaissances des doutes qui ont accompagné mère Thérésa sa vie durant. Une revigorante douche de l’institutionnalisme religieux.
« Le bois de son cercueil sera le même que celui de son berceau. Toutes les sociétés colonisent le ciel. Emily ne veut faire partie d’aucune, surtout pas l’association des amis de Dieu. Si Dieu veut venir, il sait où la trouver. Que les bons élèves aillent à leurs belles cérémonies. Un saint n’est pas un bon élève. »
Bobin encore.
« La tyrannie du visible fait de nous des aveugles. L’éclat du verbe perce la nuit du monde. »
Bobin toujours.
En ce lendemain de Nativité, un minuscule présent me réjouirait, que toutes les personnes qui ont eu le courage de lire ce message jusqu’au bout déposent un seul mot, dans toute sa nudité, dans les commentaires.
Je fais le premier pas sur la glace d’un étang de paroles feutrées.
Libellés : Littérature, Pensées vagabondes