Les journaux d’hier me regardent, tout déconfits, leurs mille yeux, habituellement inexpressifs, sont chargés de reproches parce que je n’ai même pas réussi à les parcourir.
Au sortir d’un week-end à suspendre le monde par les pieds, que ceux qui prétendent qu’il n’en a pas besoin veuillent bien ne jamais remettre les leurs (de pieds) par ici, après des heures de féerie entre Berne, Lausanne et Fribourg, je peine à reprendre prise avec la réalité, cette entité bien floue que tout adulte qui se respecte doit manger sans sourciller, même si cela démange au niveau du nez avant de retourner l’estomac.
Ces moments de douce folie, comme plein d’autres vécus depuis quelques années, ont été rendus possibles par Romain Gary, ce clown lyrique qui se promène souvent dans mes pa(ra)ges.
« Teresina se tient à l’intérieur, et mon songe ne se risque jamais à ouvrir la porte du carrosse, car j’a toujours eu au plus haut point le souci du réalisme et je crains que, malgré tous les soins que j’ai apportés à mon œuvre, il n’y ait personne à l’intérieur. Je prends grand plaisir aussi en compagnie des Tziganes et je m’arrête toujours, le cœur serré, devant leurs roulottes, mais là non plus je ne me risque pas à entrer, car il faut savoir être prudent et habile lorsqu’on a affaire à la réalité et que l’on veut éviter ses rudes manières. »
Je me laisse porter par ce moment de songes soyeux, arrosant l’arbre de mes rêves, enchevêtrement de solitudes, livré aux livres, et de besoin de rencontres et d’échanges (Benoît m’a écrit, ce matin, après deuxième visionnement de « Into the wild », cette phrase dont il m’avait déjà parlé : « Happiness is real only if it is shared » / « Le bonheur n’est réel que s’il est partagé »).
Branches amies/ennemies qui se réconcilient dans l’écriture, ce prolongement de l'âme qui me brûle les doigts. A la recherche d'une bien-âmée.
Michèle Desbordes se cachait dans ma théière, hier après-midi, elle s’est immiscée en moi, accompagnée d’un Läckeril, pour mieux m’embraser le cœur. L’ouvrage (« Les Petites Terres ») qu’elle a confié, depuis sa retraite étoilée, aux caprices d’une hirondelle, va accompagner « L’emprise » dans le baluchon des livres qui me caresseront la nuque lorsque je me consacrerai plus sérieusement à faire vivre le papier. Bientôt, tout bientôt.
« […], il n’y aurait plus un dossier pour une chose ou une autre, des bribes, des morceaux d’écriture en attente dans des boîtes, des cartons à développer le moment venu, tels ces morceaux de moi qui parfois ont tant de mal à s’accorder, ma réticence et mon penchant tout à la fois pour la fiction ou malgré mon goût de la phrase courte et sèche cet emportement, cette façon de ne plus pouvoir s’arrêter une fois la phrase commencée car il semble bien qu’alors ce soit la seule façon de dire, le temps qui n’en finit pas, le temps immobile et tout ce qui sans cesse recommence. Il y aurait ce qui vient d’un coup, d’un seul tenant, moi soudain rassemblée, paroles et silences, comme une grande phrase que j’aurais envie de dire, ininterrompue malgré ses points, ses virgules, ultime concession au lecteur pour qu’il ne s’égare ni me maudisse trop, je veux le voir aller jusqu’au bout et qu’arrivé au bout il ait envie d’y revenir, de recommencer comme il m’a dit, il m’a écrit qu’il faisait. »
Libellés : Littérature, Pensées vagabondes