Le premier amour, enfin, pour être exact, pas le premier amour, pas la fille, les filles, qui me faisaient pleurer quand j’avais dix ans, que j’étais dans ma chambre et que j’écoutais des slows., ces chansons à deux balles qui me font hurler de rire aujourd’hui.
Non, mais il s’agit aussi de chansons que j’ai commencés à écouter juste après cette période, et que j’écoute toujours, avec peut-être encore plus de plaisir qu’à l’époque.
Parce qu’elles me « parlent » d’avantage.
Durant cette période, c’était la puissance d’interprétation qui m’époustouflait, cette capacité à vivre une chanson à 200%, à exprimer, simplement par la voix, une palette infinie d’émotions.
L’impression que, « Ne me quitte pas » terminé, une vie ne pourrait pas suffire à son interprète pour récupérer, pour ramasser le cœur et les tripes déposés à nos pieds.
Hier, au volant, « La quête » dans les oreilles, dans le cœur et dans les yeux, autour de moi la pluie, je réalisais que Brel est la personne que j’ai aimé le plus longtemps dans ma courte existence, et cela n’est pas près de s’arrêter.
Trop d’images, trop de souvenirs, trop de rêves (seules choses que les hommes réalisent, Brel dixit) qui s’arc-en-cielent dans ma tête lorsque le timbre de sa voix vibre au fond de mes oreilles, titillant mon âme (je sais, Gary le signalait il y a déjà de nombreuses années, le terme est passé de mode, mais bon, je suis un peu têtu).
« J’ai plaisir à te dire que la nuit sera longue à devenir demain […]
Ce soir comme chaque soir nous refaisons nos guerres […]
Nous parlons en silence d’une jeunesse vieille [..]
Et je te sais qui pleures pour noyer de pudeur mes pauvres lieux communs […]
Parmi quelques ivrognes, des amputés du cœur, qui ont trop ouvert les mains […]
Je ne rentre plus nulle part, je m’habille de nos rêves […]
Six pieds sous-terre, tu frères encore »
Guyotat, un écrivain qui trouve intéressant (même thérapeutique pour être exact) d’écrire avec, dans la main, ce que les bonnes gens gardent sous leurs habits, s’indigne parce que l’on peut lire, sous certaines plumes, que Brel était un des grands poètes de la langue française.
Il a raison, ce n’était pas seulement un poète, il savait que l’écriture n’était pas tout, loin de là, il connaissait l’importance de la vie, serpentant entre des méandres de souffrance et des instants de partage lumineux.
Il n’aimait rien tant que refaire le monde, la nuit, autour d’une table.
Le jour, comme il le disait à un de ses amis alors qu’il avait abandonné le tour de chant, il attendait la nuit.
Bien lui en prenait, car grâce à lui et à sa « cathédrale » flottante, j’ai appris à pêcher les étoiles, ce qui n’a pas de prix.
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